société
A Gaza, l'économie de la débrouille pour échapper à la misère
Photo prise le 13 avril 2023 montre la diplômée palestinienne Amani Shaath, 25 ans, travaillant dans son kiosque de restauration rapide sur le front de mer de Gaza. Les opportunités étant rares dans la bande de Gaza, qui subit un blocus paralysant imposé par Israël depuis 2007, et la pauvreté atteignant un taux de 53 % selon le Bureau central palestinien des statistiques, nombreux sont ceux qui trouvent d'autres moyens de gagner leur vie. (Photo par MAHMUD HAMS / AFP)
Dans les allées des marchés de Gaza, Islam Abou Taïma, dont les diplômes n'ont été d'aucune aide, scrute les recoins à la recherche de bouts de carton dont elle se servira pour fabriquer des jouets qu'elle tentera de vendre, dans l'espoir de sortir sa famille de l'indigence.
Les occasions d'emploi sont maigres dans la bande de Gaza, langue de terre de 2,3 millions d'habitants coincée entre l'Egypte, Israël et la mer Méditerranée, minée par une succession de guerres, et sous blocus israélien depuis la prise de pouvoir du mouvement islamiste Hamas en 2007.
Le taux de chômage y était de 45% fin 2021, selon le Fonds monétaire international (FMI), et culmine même à 73,9% parmi les diplômés du supérieur âgés de moins de 29 ans, d'après le Bureau central des statistiques palestiniens.
Mère de cinq enfants, Islam Abou Taïma, 39 ans, a étudié la littérature anglaise, mais cela ne lui a pas permis de trouver un emploi. Son époux, avec qui elle vit dans un logement sans eau ni électricité dans le camp de réfugiés d'Al-Shati, à Gaza, est aussi sans travail.
"Il a eu l'idée de fabriquer des jouets car les enfants n'arrêtaient pas d'en demander et il ne peut pas en acheter", explique-t-elle. "Il a commencé à faire des vélos et des petites voitures (en carton) pour qu'ils jouent avec. Ils étaient contents".
Sur un trottoir d'un quartier plus aisé du centre de Gaza, elle vend pour cinq à dix shekels (1,24 et 2,48 euros) des villas et des voitures de papier.
"Tout ce que nous rêvons de posséder, nous le fabriquons", confie-t-elle à l'AFP. "Mon mari a pensé à fabriquer des vieux avions et des cabriolets comme en conduisent les personnes célèbres. Ca lui permet de sortir de sa dépression".
Pour elle, aller de marché en marché en quête de bouts de carton n'est pas toujours facile. "C'est difficile de marcher dans la rue car les gens me dévisagent, ils demandent +Mais pourquoi tu récupères du carton?+".
Même si elle écoulait tout son stock, elle ne parviendrait pas à obtenir les 450 shekels (112 euros) nécessaires à payer le loyer. "L'objectif, dit-elle, est d'aider ma famille à vivre".
- Petite pépinière -
A Deir al-Balah, plus au centre de la bande de Gaza, Alaa et Salama Badwane ont transformé leur toit en petite pépinière.
"Nous l'utilisons car nous manquons d'espace", explique Salama Badwane, 40 ans, entre les pneus peints en rouge et vert qui servent de pots à cactus mais surtout à aloe vera.
Lui est en charge de tailler cette plante pour en récolter la sève. Son épouse Alaa, 37 ans, l'utilise ensuite pour faire du savon dans un atelier de fortune, chez eux. L'idée lui est venue en consultant des sites internet sur la cosmétique naturelle, en vogue à Gaza, explique-t-elle.
Le couple, qui vend ses produits à des pharmacies locales, ne rentre pas encore dans ses frais mais espère faire de ce savon "made in Gaza" l'équivalent du renommé savon à l'huile d'olive de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
"La situation est difficile mais l'opinion des gens est positive et encourageante", déclare Mme Badwane.
- Entrepreneuse -
Faute de perspectives à Gaza, Amani Shaath est elle parvenue à émigrer en Turquie, où elle dit avoir travaillé pendant quatre ans dans la restauration rapide, avant de rentrer afin d'aider sa famille au quotidien.
La jeune femme de 25 ans, diplômée en comptabilité, n'a pas trouvé d'emploi dans ce secteur et a ouvert en février un stand de hamburgers sur la corniche, le front de mer où le tout Gaza se presse pour prendre l'air et se restaurer.
Dans son petit kiosque, elle prépare et vend ses sandwichs 15 shekels (3,70 euros).
Ces dernières années, les échoppes de ce type se sont multipliées sur la promenade. Mais, dans un territoire conservateur, rares sont les femmes qui y travaillent.
"Le premier jour, les gens m'ont regardée avec étonnement. Ca m'a fait un choc et j'ai eu peur que le projet échoue", se souvient Amani Shaath. "Puis ils ont commencé à venir et m'ont encouragée, surtout parce que je suis une fille", ajoute-t-elle.