Ni Francophobes ni francophiles – Par Naïm Kamal

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Le président français Emmanuel Macron accueillant le Chef du gouvernement marocain Aziz Akhannouch à la session de segment de haut niveau du Sommet de l’Océan unique à Brest, 11 février 2022 (photo Ludovic Marin/piscine via Reuters)

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Le quotidien français Le Figaro du 9 mai consacre toute une page au Maroc sous le titre, à lui seul contenterait la peine que s’est donnée le journaliste : « Dans quel jeu diplomatique s’est engagé le royaume du Maroc ? » L’accroche lui emboite le pas et livre les tours et détours de l’article : « En froid avec Madrid et à couteaux tirés avec Alger, Rabat, qui demeure sur ses gardes face à Paris, est obnubilé par le sort du Sahara occidental. »

A juste titre, l’auteur de l’article souligne que « le Maroc en a eu assez. Près de dix ans [en vérité depuis 2007 ] après avoir formulé son plan d’autonomie pour le Sahara sans obtenir la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur ce territoire disputé aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, le royaume a radicalement changé de stratégie. » Faudrait-il d’emblée relever que c’est l’Algérie aussi bien directement que par son proxy interposé qui dispute le Sahara au Maroc ? Pas très important, quand bien même cette assertion en dit long sur les intentions de son auteur.   

Des bifurcations et une finalité

A raison encore, il note que le Royaume « se détourne ostensiblement de ses alliés traditionnels [dans son esprit la France bien sûr NDLR], trop timorés à son goût, et cherche de nouveaux soutiens à partir de 2016. »

L’article se poursuit par la description du « bras de fer avec l’Allemagne, puis l’Espagne », sans préciser son aboutissement à l’avantage (relatif) du Maroc ; fait un détour par la guerre des « gazoducs, la nouvelle arme diplomatique » pour arriver à la finalité de toutes ces bifurcations : « Le Maroc et la France sont-ils fâchés ? »

Se faisant l’expression de la stupéfaction qui s’est probablement emparée de Paris, l’auteur de l’article s’étonne que « le Maroc tape du poing sur la table régionale » pour en déduire que « le bruit qu’il produit contraste avec le silence poli qui règne depuis quelques années sur sa relation avec la France. » Et tente une explication au mécontentement marocain en s’appuyant sur le discours du Roi Mohammed VI qui déclarait : «Aujourd’hui, nous sommes tout à fait fondés à attendre de nos partenaires qu’ils formulent des positions autrement plus audacieuses et plus nettes au sujet de l’intégrité territoriale du royaume».

Du vrai et du faux

Pour expliquer l’état actuel des relations entre le Maroc et la France, l’auteur cite « l’historien spécialiste du Maghreb Pierre Vermeren » qui argue :  «Macron n’a pas la fibre marocaine d’un Chirac ou de Sarkozy. Il y a une froideur inhabituelle dans cette relation particulière. Une distance s’est créée. La nouvelle génération de diplomates n’a pas la familiarité et la sympathie d’autrefois pour le Maroc.»

Grand bien leur fasse ! Mais, il faut l’admettre, il y a du vrai dans cette explication. Et aussi du faux. S’il est exact qu’avec Jacques Chirac les relations étaient presque familiales et avec Nicolas Sarkozy très amicales, la position de Paris n’en n’a pas été, pour autant, moins timorée dans l’affaire du Sahara, s’arrangeant seulement dans une posture commode à ce que le rapport de force diplomatique dans la sous-région maghrébine ne bascule pas d’un côté ou d’un autre.

Il est vrai aussi qu’une véritable césure s’est opérée entre les élites des deux pays, qui s’est particulièrement accentuée depuis l’arrivée d’Emmanuel Macon à l’Elysée. Cela se traduit parfaitement dans le peu de sympathie de Jean-Yves Le Drian, l’homme fort des relations extérieures françaises, pour le Royaume et son ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Son émule représentante à Rabat en est la parfaite illustration.

Ce Maroc qui a changé

Mais il est tout aussi vrai que les élites marocaines n’ont plus le même faible pour la France et s’ouvrent de plus en plus sur d’autres horizons. En témoigne l’anglophonie de plus en plus marquée de hauts responsables marocains dont le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, lauréat d’une université canadienne, ce qui explique, en partie seulement, l’hostilité que lui témoigne une certaine presse française et une revue locale franco-folle. 

A cette distanciation évolutive entre les deux capitales plusieurs raisons. Il y a bien sûr l’orientation diplomatique afro-africaine du Maroc qui n’est pas du goût de Paris, et il y a aussi la politique néocoloniale désormais décomplexée et sans retenue de la France qui déplait énormément aux capitales africaines. Il y a également les bouleversements qu’est en train de connaitre l’ordre mondial et il y a encore la politique culturelle française qui dort plus qu’il n’en faut sur ses lauriers, sans parler d’une politique des visas autant parcimonieuse que financièrement très lucrative. Et il y a bien d’autres choses.

Dont les écoles françaises très sélectives et excessivement chères qui continuent leur mission de « reproduction des élites », mais de moins en moins « haut de gamme ». C’est que la question au Maroc d’aujourd’hui ne se pose plus en termes d’attrait (flétrissant) pour le pays des lumières, ou de francophobes versus francophiles tel que fut le problème au lendemain de l’indépendance. Mais simplement d’intérêts bien compris, de respect réciproque, d’échanges mutuellement bénéfiques et de prise en compte des évolutions du monde et dans ce monde en ébullition, du Maroc.     

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