A propos du sérieux de la démocratie

5437685854_d630fceaff_b-

Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur.

1
Partager :

 

L’adoption de la loi organique relative à la Chambre des représentants instaurant un nouveau quotient électoral ouvre la voie à de nouvelles idées déterminantes. Elle inaugure une nouvelle étape où les élites politiques seraient probablement amenées à opérer de profondes révisions pour interagir avec cette donne.

Certains considèrent déjà ce quotient comme un «massacre de la démocratie» du fait qu’il en torpille fondamentalement les bases. La mise en œuvre du nouveau quotient ne permettrait à aucun parti de prétendre à la prééminence électorale à l’issue de scrutin. De ce fait, les élites partisanes et leurs programmes deviennent sans objet, les considérations arithmétiques et techniques plaçant ainsi tous les partis sur un même pied d’égalité sans tenir compte des différences de poids électoral entre les formations en course.

D’autres estiment que la nature du système politique requiert le pluralisme. Ils considèrent dans ce sens que le recours aux considérations arithmétiques se justifie amplement lorsque l’hégémonie d’un parti devient un fait politique difficile à transcender par les seuls mécanismes de la compétition politique. Il y va à leurs yeux de l’essence-même du pluralisme.

Ces points de vue peuvent paraître simplistes du fait qu’elles tentent de répondre à un problème immédiat, dicté par ce que sera à la lumière du nouveau quotient la représentativité de chaque parti. Ceux qui s’estiment vainqueurs des élections crient au «massacre de la démocratie». Ceux qui sentent leur représentativité menacée, ou veulent se débarrasser d’un rival politique, font valoir le pluralisme et la lutte contre l’hégémonisme. Quitte à faire intervenir des procédés sans rapport avec la saine concurrence politique.

Récemment encore, les forces réformatrices et démocratiques étaient animées par une constante constitutionnelle, l’option démocratique, en adoptant la progressivité sur la voie de la démocratie dans le strict respect de l’environnement politique et de ses règles.

Sauf que cette conception traverse désormais une crise majeure où les postulats qui la fondent se voient remis en cause par le nouveau quotient électoral.

La régression que représente ce dernier menace de boucher l’horizon de la réforme, tributaire de l’accumulation démocratique, elle-même subordonnée au sérieux de l’opération électorale.

Les partis proches du Pouvoir n’ont pas de problème avec la modification du quotient électoral. Leur mécanique conceptuelle est à l’arrêt en raison des motivations qui ont poussé à leur création et justifient leur existence : mettre en œuvre le projet de l’Etat. Quelle que soit la situation, fut-elle une entorse à l’esprit de la démocratie, ils en épouseront les contours et le contenu.

En face, les forces radicales estiment aujourd’hui avoir en main une preuve solide qui conforte la pertinence de leur approche : A savoir qu’il ne sert à rien d’espérer le changement de l’intérieur des institutions, car ce jeu finit toujours par la dissolution des acteurs politiques et l’hypertrophie de l’autoritarisme.

En dehors de la thèse des radicaux, qui pourraient mettre à profit cet évènement, trois tendances lourdes, susceptibles de façonner l’avenir politique, se dessinent.

La première est celle des réformistes démocrates. Pour eux, ce quotient électoral n’est que l’aboutissement d’une série de régressions sur la voie de la réforme démocratique et le résultat de déviations des tenants de la participation à n’importe quel prix, qui, de concession en concession, ont débouché sur l’anéantissement de leur pouvoir de négociation pour se retrouver noyés dans le «non-sérieux démocratique».

La deuxième tendance estime qu’il appartiendra au temps de trancher. Les forces démocratiques n’ont donc plus qu’à faire preuve de patiente et de retenue en évitant toutes frictions avec le Pouvoir. Pour les adeptes de cette thèse, les entorses apportées à la démocratie finiront par démontrer leur inefficience et la voix de la sagesse amènerait le Maroc, comme auparavant, à revoir ses choix.  

La troisième tendance porte sur la reproduction d’une nouvelle version politique qui tienne compte de la nature de l’Etat et de ses exigences. Selon cette vision, la nature de l’Etat et la démocratie seraient antinomiques et la seule praxis politique possible serait que les partis fassent chambre commune avec le projet de l’Etat. A savoir qu’ils doivent revoir à la baisse leurs attentes démocratiques et se fondre dans l’Etat en se limitant à l’approvisionner en compétences pour contribuer à la mise en œuvre son projet.

Toutefois, faire valider semblables idées n’est pas une sinécure, tant grands sont ses défis pédagogiques. 

La ligne de la réforme démocratique est confrontée à l’épreuve du recrutement au sein d’une composition sociologique dont une importante constituante est peu encline à supporter le cout de cette ligne.

Tandis que la ligne de « la patience » doit faire face à attentes contradictoires. Elle doit à la fois gérer la pression d’une jeunesse avide de démocratie, et satisfaire une élite de jeunes qui veut que poursuivre coute que coute l’expérience gouvernementale. 

La situation est autrement plus complexe pour la troisième ligne qui doit résoudre le dilemme de revoir le modèle démocratique dans sa globalité, et de repenser la mission des partis de manière à les délester de leurs fonctions pour passer de partis participant au gouvernement et désireux d’en conduire l’expérience selon leurs programmes à de simples fournisseurs de compétences technocratiques.

 Mais si l’Etat a son propre projet et que les formations politiques doivent se contenter de s’y fondre, c’est la nature même des partis qui change. De forces de proposition engageant leurs propres cadres, ils se réduisent à une simple force d’appoint et de faire-valoir.

 

lire aussi