Benkirane, portrait d’un leader islamiste et chef de gouvernement en quête de majorité

5437685854_d630fceaff_b-

7564
Partager :

« Travailler avec lui n’est pas simple. Ce n’est pas un homme de dossiers. C’est un petit peu la culture du Msid. Il est plus dans l’oralité que dans l’écrit »

Ce lundi 10 octobre, Abdalilah Benkirane peine à cacher sa joie. Sa nomination au poste de chef de gouvernement par le Roi qui le charge de former un gouvernement est une réponse à une nouvelle consécration. Après la victoire aux législatives du 7 octobre où le PJD a fait mieux qu’en 2011, le leader des islamistes est de nouveau à la manœuvre, aux commandes du pouvoir et investi de la mission de former une majorité et une équipe ministérielle. « Ma carrière politique n’est pas terminée », avait-il prédit au soir du scrutin. Et il n’a pas eu tort.

Abdalilah Benkirane lors de sa nommination, le lundi 10 octobre 2016. Crédit Photo : MAP

A l’évidence, l’usure du pouvoir n’a pas atteint celui qui a passé 5 ans à la tête du gouvernement portant l’habit (et la cravate) de chef de gouvernement. En rempilant pour un deuxième mandat, grâce à une confiance renouvelée du Souverain, il exauce un souhait ardent. « C’est exactement ce qu’il voulait. Et les pjdistes le savent. Sans lui, la victoire n’aurait pas atteint ce niveau. En interne, ceux qui rêvent de lui succéder sont les premiers à l’admettre », confie un Pjdiste du premier cercle.

Benkirane est sans conteste le meilleur VRP de ses frères et sœurs du parti de la lampe. Ses sorties intempestives, ses dérapages incontrôlées, ses surenchères gratuites sont sa marque de fabrique. Au point que PJD et Benkirane se confondent pour ne faire plus qu’un. « Le PJD, c’est lui. Il a mené son parti une première fois jusqu’à la victoire. Et il l’y a maintenu malgré cinq ans passés au pouvoir et un bilan plutôt maigre. Ses méthodes de communication qui tiennent souvent de l’instinctif y sont pour beaucoup », analyse ce politologue de la place.  

« Je n’ai pas de maison » …

Le temps politique est au populisme. Et Abdalilah Benkirane l’a parfaitement compris au point d’exceller dans cet exercice. Aux derniers meetings d’une campagne électorale menée tambour battant, son auditoire a eu droit aux déclarations les plus improbables mais ô combien porteuses. « Je n’ai pas de maison. Je n’ai pas de biens. Ce que je vous demande mes frères, c’est de me creuser une tombe à ma mort », lance-t-il à Agadir, Larache ou encore Salé dont il est le député depuis 1997. « Le peuple applaudit à tout rompre et s’identifie à cet homme de pouvoir aussi pauvre que lui et qui ne s’est octroyé aucun privilège. Benkirane sait parfaitement agir sur ces cordes sensibles qui parlement à ceux qui votent. Et il calibre son discours en fonction de cela », commente cette spécialiste en communication politique en rappelant que le SG du PJD qui est né à Rabat dans le quartier populaire « Akkari » et s’est toujours présenté comme un fils du peuple. Et peu importe qu’en vérité il n’est pas si pauvre que ça et appartenait avant de devenir chef de gouvernement à la classe moyenne supérieure, sauf que son train de vie se tisse dans une simplicité qui confine à la radinerie.

Reste que les faits ne résistent pas à la communication politique. Si le leader islamiste et ancien de la chabiba islamya sait flatter les bas instincts surtout dans les franges les plus conservatrices de la société marocaine, ses postures relatives aux libertés individuelles, aux droits des femmes, à l’acception de l’Autre ont mobilisé le camp des démocrates tout au long de son premier mandat. « C’est grâce au déni des droits des femmes porté par Benkirane et son gouvernement que le mouvement féminin a retrouvé une nouvelle vie. Les Marocaines n’ont jamais autant battu le pavé que sous son gouvernement », témoigne cette activiste de l’association démocratique des femmes du Maroc.  

Un brut de décoffrage

Abdalilah Benkirane s'adapte, sait capter l'instant, multiplie les messages à qui de droit. Il a aussi et surtout l'intelligence du moment politique. Il effraie par ses déclarations intempestives, dérangeantes, inattendues. « Il est brut de décoffrage », expliquent ses proches. « Mais il a le cœur grand comme ça », s'empressent-ils d'ajouter. Entre l'intelligence du moment et l'opportunisme politique, il n'y a qu'un pas que le leader islamiste n'hésite pas à franchir. Alors que son parti est classé premier aux élections de 2011,  il annonce que le PJD n'interdira pas la vente d'alcool au Maroc. « Il y a d'autres priorités plus urgentes », justifie-t-il. Il le sait, cela rassure les modernistes, les producteurs, les touristes, les chancelleries. 
Dans le même temps, l'ancien de la Chabiba islamya, cette organisation islamiste clandestine qui s'en était prise violemment aux mouvements de gauche et serait responsable de l'assassinat de l’Ittihadi Omar Benjelloun, n’a jamais hésité à dire tout le mal qu’il pense de la culture et ses espaces de débauche et de cet art qu’il ne considère pas comme propre. Il convoque Ibn Taymya dans ses meetings, se dit proche des Frères musulmans qui se sont empressés de féliciter le PJD pour sa victoire du 7 octobre.

Ce n’est pas un homme de dossiers

Ses adversaires politiques sont unanimes. L’homme est manœuvrier, démagogue, populiste et colérique. « Travailler avec lui n’est pas simple. Ce n’est pas un homme de dossier. C’est un petit peu la culture du Msid. Il est plus dans l’oralité que dans l’écrit », résume un ministre d’une formation politique alliée.

Le pouvoir a-t-il changé Abdalilah Benkirane ? Ses proches assurent que non et mettent en avant son goût inchangé pour les choses simples, loin des lambris et des dorures. « Il ne s’est jamais senti aussi bien que dans sa maison du quartier des Orangers », croit savoir ce fidèle du leader du PJD.

Le goût des choses simples… sauf que le pouvoir crée des habitudes nouvelles surtout celle de vouloir asseoir un pouvoir encore plus vaste et hégémonique.