chroniques
Biden : Du Trump sans les clowneries et les frasques
Biden se trouve obligé de donner le change à cette Amérique profonde qui, dans un acte désespéré et d’une violence peu coutumière, n’a pas hésité à s’attaquer au Capitole
A l’automne dernier, en pleine campagne électorale américaine, j’ai signé des chroniques dans lesquelles j’émettais des réserves sur les espoirs attendus de l’élection de Joe Biden. J’ai claironné mon scepticisme en titrant un de mes articles : la victoire à l’arraché de Biden a un goût amer. Les événements qui se sont succédé depuis l’installation de la nouvelle Administration me font penser que j’étais en-deçà de la réalité.
Comme tout le monde j’étais obnubilé par le personnage grossier et grotesque qui présidait aux destinées de cette grande démocratie, et partant aux destinées du monde entier. Seul l’effacement de Trump importait plus que toute autre chose, mais nul ne s’embarrassait de savoir comment allait se faire cet effacement, et encore moins de savoir ce qui allait s’en suivre. De toute évidence nul ne doute du génie de l’Amérique, coutumière de sursauts spectaculaires et qui dénote de ses immenses capacités à rebondir en toutes circonstances.
Mais rien n’est venu depuis montrer comment, cette fois-ci, le leadership américain allait restaurer l’image idyllique que nous nous faisons de cette grande nation. Bien au contraire on assiste à un inquiétant enlisement qui confine au tragique. Car en dehors de quelques changements de forme ou de style, rien ne change sur le fond.
Apparemment Biden ne semble pas disposer à s’engager dans une réelle remise en cause de l’héritage de Trump. Combien même il le voudrait, il ne le pourrait pas. Il en serait incapable car il réalise, et toute son Administration avec lui, qu’il est un mal élu dans la mesure où il a bénéficié d’un vote sanction qui a frappé son prédécesseur. L’électorat américain s’est mobilisé comme jamais pour barrer la route à l’aventurisme de Trump. Tous les observateurs s’accordent à dire que cette mobilisation massive n’était pas un vote d’adhésion et n’avait rien à voir ni avec la personnalité de Biden et encore moins avec son programme, assimilé par beaucoup à une pâle copie de celui d’Obama.
Il ne le pourrait pas non plus, car en politicien avisé il sait que ses idées pour le renouveau du pays, à supposer qu’il en ait, restent très minoritaires dans l’opinion américaine. Il apparaît clairement que l’Amérique demeure profondément trumpiste. N’eût été le côté loufoque et burlesque du personnage, Trump aurait été confortablement réélu. Les 73 millions de voix qui se sont portées sur le Républicain, doivent rappeler à tout instant à Biden les limites de ce qu’il peut entreprendre.
, symbole de la Démocratie. La portée de cette jacquerie ne peut Biden se trouve du coup obligé de donner le change à cette Amérique profonde qui, dans un acte désespéré et d’une violence peu coutumière, n’a pas hésité à s’attaquer au Capitole se réduire à l’expression de la mauvaise humeur de quelques «fachos» en rupture avec la société. Ce n’était pas des hooligans qui saccageaient un stade de football parce que leur équipe a perdu.
La gravité de ce qui s’est passé à une semaine de l’avènement de la nouvelle Administration dénote d’une grave crise morale, peut-être existentielle qui secoue les USA. Ce n’est tristement que les premiers soubresauts, et bien malin celui qui se risquerait à deviner leurs prolongements.
Alors le cher Biden est non seulement obligé de composer avec cette Amérique-là, mais il aura besoin parfois de réactiver le style Trump. N’a-t-il repris à son compte, tout récemment, le slogan «America first !» quand on lui a posé la question sur les 60 millions de doses de vaccins non affectées. Il avait répondu, avec beaucoup d’aplomb que même si les laboratoires pharmaceutiques doivent servir l’Amérique en priorité, les 60 millions constituent un stock de sécurité pour protéger l’Amérique d’abord.
Singer Trump devient une nécessité. Et ce n’est pas par hasard qu’il a qualifié Poutine de tueur. L’insulte sonnait faux dans la bouche de Biden qui a habitué le monde depuis quarante ans à beaucoup de mesures dans le choix des mots. Là il fallait faire du Trump sans être Trump.
Toujours dans la lignée de la politique de Trump, Biden s’est approprié la guerre commerciale enclenchée par son prédécesseur. Pire, il donne l’impression de chercher à l’exacerber aussi bien avec la Chine qu’avec ses supposés alliés.
Pour ce qui est de la Chine, tout le monde se rappelle la rencontre en Alaska entre diplomates américains et chinois. Ce fut une mauvaise pièce de théâtre d’une déprimante cocasserie. Les deux parties se sont défoulées en s’invectivant mutuellement comme le feraient des potaches dans une cour de récréation. Le ton est donné sur ce que seront à l’avenir les relations sino-américaines.
Sortie vainqueur de la guerre froide qui l’avait opposé naguère à la défunte URSS, l’Amérique escompte un autre succès dans la guerre commerciale qui l’oppose aujourd’hui à la Chine. Sauf que la situation est nettement différente et l’Amérique, pour assoir pleinement son leadership doit en même temps livrer bataille sur d’autres fronts, y compris ses propres alliés.
Sa volonté de régenter brutalement l’activité économique mondiale agace jusque dans les rangs de ses alliés inconditionnels. Les menaces de sanctions à l’encontre des entreprises qui opèrent en Iran pénalisent les pays prétendument alliés de l’Amérique. Les lourdes amendes infligées à des entreprises européennes s’apparentent plus à des hold-up, qu’à des sanctions pour de supposées infractions à la réglementation.
On comprend le désarroi où sont plongés les alliés des USA. Alors on assiste ici et là à des signes évidents d’un besoin d’émancipation de cette pesante tutelle. Le signe le plus spectaculaire est bien l’adhésion le 15 décembre dernier du Japon, de la Corée du Sud et l’Australie à la grande zone de libre échange qui regroupe plus de 2,3 milliards d’asiatiques autour de la Chine.
Le geste de ces trois inconditionnels de l’Amérique est d’autant plus audacieux que la nouvelle ZLE pourrait sonner le glas de la suprématie américaine du fait de la contraction inéluctable de la part des USA dans l’activité économique du monde. Ladite contraction s’accompagnera de l’affaiblissement du rôle du Dollar dans le commerce mondial, privant ainsi l’oncle Sam d’un arme redoutable qui lui permet de s’enrichir sur la dos des autres nations, en particulier ses propres alliés.
Poursuivant la politique de Trump qui visait à affaiblir ses alliés, le Président Biden vient d’adresser un véritable ultimatum à l’Allemagne pour qu’elle renonce au pipe-line Nord Stream 2 que les Russes ont construit pour alimenter en gaz l’Europe occidentale et particulièrement son cœur économique : l’Allemagne !
Il est de notoriété que ce pays a décidé, depuis le drame de Fukushima survenu il y a dix, une sortie ordonnée du nucléaire. Après qu’ils aient renoncé quelques années auparavant au charbon, puis au nucléaire, les Allemands se sont résolument engagés dans la domestication des énergies alternatives. Malheureusement ni l’éolien ni les solaires ne sont en mesure de compenser les manques occasionnés par les renonciations successives au charbon et au nucléaire.
En intimant aux Allemands l’ordre de se retirer du projet Nord Stream 2, presque achevé, les Américains n’ignorent pas que cela conduirait tout bonnement l’Europe entière à l’asphyxie. Ils ont beau chercher à faire croire que c’est une tentative assez musclée pour écouler leurs excédents de gaz de schiste, l’argument ne résiste pas à l’analyse quand on connaît le coût de la liquéfaction du gaz et de son transport.
L’attitude américaine obéit malheureusement à une toute autre logique. Elle reproduit cette mentalité yankee dépassée, obsolète, qu’on croyait réservée juste aux supremacistes blancs ou à quelques Américains nostalgiques d’une époque révolue inspirée par la seule morale du Far West qui a, sans nul doute, nourri la culture de Trump. Quand on retrouve les idées chez Biden, on devient dubitatif sur le sort peu enviable que nous réserve le leadership américain.