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Chronique d’un divorce annoncé – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
Le Maroc doit-il payer cher d’avoir une histoire et une culture. Coupable aux yeux de la France et l’Europe de sa différence avec les autres colonies.
Les Marocains vivent mal, très mal, l’acharnement de l’Europe sur leur pays. Pour beaucoup d’entre nous, nous avons l’impression que c’est la répétition des sombres années de la fin du 19ème et début du 20ème siècle. Une trentaine d’années pendant lesquelles l’Europe s’était liguée pour procéder au dépeçage de ce qu’on appelait l’Empire Chérifien.
La France a été la plus hargneuse et la plus déterminée à abattre cet empire. Elle n’était pas arrivée à le dominer aussi facilement que les autres colonies, car elle s’était trouvée face à un Etat-nation chargé d’histoire et à l’identité pleinement affirmée. D’ailleurs au final, le Maroc pour ne pas s’épuiser dans un combat très inégal et finir en simple colonie, a préféré signer un acte de protectorat pour 40 ans.
La vérité sur une acrimonie
La démarche intelligente du Maroc a été diversement appréciée. Si une minorité d’intellectuels, encore pétris des valeurs héritées des Lumières ont été admiratifs de notre culture, la quasi totalité de l’establishment français trouvait impardonnable les prétentions des Marocains à avoir une culture propre et à être une nation. C’est ainsi que le protectorat d’abord et l’opinion française ensuite n’ont cessé de nourrir une féroce hostilité à ce que notre pays incarnait et incarne toujours. À croire que les valeurs que nous incarnons plongent les Français dans un atavisme délirant remontant aux croisades.
Des journaux réputés «sérieux» comme Le Monde nous explique que le parti pris systématique en faveur de l’Algérie résulterait des blessures laissées par la guerre entre 1954 et 1962. Rien n’est plus faux ! On sait le mépris dans lequel les Français tiennent les Algériens. Si malgré tout ils ont une nette préférence pour ces derniers, c’est que le Maroc leur paraît infiniment plus redoutable du fait de sa personnalité affirmée. Le rapport au Maroc échappe à toute logique coloniale ou postcoloniale, mais ne peut échapper à la volonté hégémonique «civilisationnelle» de la France dans cette région du monde.
Le Maroc doit payer cher d’avoir une histoire et une culture. II sera toujours coupable aux yeux de la France et l’Europe pour sa différence avec les autres colonies. La différence, le mot le plus redouté par l’establishment français ! Il est à l’origine du fiasco de la laïcité dite à la française. Toute différence doit être gommée et l’assimilationnisme est l’unique voie du vivre-ensemble. Contrairement aux autres grandes démocraties, la France est l’unique pays qui s’obstine à rejeter le communautarisme à cause d’une supposée supériorité du modèle français sur le reste du monde. On comprend dès lors pourquoi un Maroc différent puisse gêner.
« L’ingénuité » marocaine
Pourtant, rares sont les pays qui, comme le Maroc ont réussi leur ouverture sur les autres cultures et civilisations. Il a fait preuve d’une intelligente porosité à toutes les valeurs venues d’ailleurs, notamment de l’Occident. Est-ce cette aisance du Marocain d’être, en toute circonstance, en harmonie avec son identité que redoute l’atavisme primaire d’une partie de l’intelligentsia européenne en général, et la française en particulier ?
Le dépeçage du Maroc a commencé avant, pendant et après la conférence d’Algésiras. Je ne reviendrai pas sur les détails bien connus des Marocains (et qu’on peut aussi retrouver facilement sur Internet). Ce qui est moins connu, c’est le grignotage de contrées entières par l’occupant français en dehors de la présence de puissances tierces, en l’occurrence de témoin gênant. Sous de fallacieux prétextes d’organisations administratives, de vastes territoires ont été rattachés indûment à l’Algérie, alors département français. Cette spoliation s’est faite sous le parapluie de la loi du plus fort. La volonté d’humilier le Maroc et de profaner son intégrité territoriale était manifeste.
Les Marocains ont eu la faiblesse de croire que les Algériens allaient leur restituer les territoires usurpés. C’était compter sans la nuisance française qui, d’une part défendait le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, et d’autre part empêchait l’accès aux documents attestant de manière formelle la marocanité des territoires spoliés. La guerre des sables en 1963 est la conséquence directe des agissements sournois de la France !
La force du Maroc, héritier d’une longue histoire, est de ne jamais se méprendre sur ses forces. Il arrive ainsi à gérer l’adversité sans trop d’à-coups. Bien qu’englué jusqu’au cou dans l’affaire du Sahara, il a su éviter les pièges tendus par l’Algérie et ses protecteurs européens, notamment français. Mieux encore, il est arrivé à se reconstruire économiquement, et devient de ce fait menaçant pour certains intérêts, notamment en Afrique.
C’est plus que l’Europe ne peut supporter. L’Allemagne crie haut et fort qu’il faut freiner le développement du Maroc, et la France joue son va-tout avec l’Algérie pour le contrer systématiquement. Ce serait fastidieux de faire l’inventaire de de toutes les tracasseries occasionnées par le couple infernal franco-algérien. Mais chaque jour apporte son lot d’actes hostiles, au point que certains actes sont d’un pathétique déconcertant.
Chaque fois que la France est agacée par la désinvolture algérienne, elle réagit avec plus de sévérités contre le Maroc. Ainsi a-t-elle décidé de réduire de moitié les visas délivrés aux Algériens et aux Marocains et de 30% aux Tunisiens. La «peine» infligée au Maroc est disproportionnée. Si l’Algérie a répondu positivement avec 22 sur près de 8 000 (soit 3 /1000), le Maroc a consenti à plusieurs centaines de rapatriements de ses ressortissants pour un nombre de cas nettement inférieurs à celui de l’Algérie. Le ministre Bourita a bien expliqué, et les Français le savent parfaitement, que le ralentissement est dû aux procédures changeantes qu’impose la crise sanitaire. Mais rien n’y fait, pour la France il faut qu’à chaque fois le Maroc écope un maximum !
Syndrome de l’enfant gâté
Je ne suis pas là en train de jouer avec la victimisation, car les faits sont têtus et se répètent à cadences régulières. Quand ce ne sont pas des sanctions qu’on cherche à nous infliger, on multiplie les menaces à peine voilées. C’est ce qui se passe avec la Cour Européenne de Justice qui, par des arrêts intermittents et irréfléchis tente de nous rappeler notre vulnérabilité. Non seulement ce jeu puéril commence à trouver ses limites, mais il encourage le Maroc à regarder ailleurs, là où l’herbe est plus verte.
En effet le Maroc a noué de nouvelles alliances qui lui donnent davantage de hardiesse pour encaisser avec flegme les coups de boutoir de l’Europe. La belle assurance affichée par le Maroc ne provient pas que de ses nouvelles alliances, mais aussi et surtout de l’affaiblissement de l’ennemi algérien. Pour avoir trop couvé et favorisé l’Algérie au détriment du Maroc, l’Europe n’a pas rendu service à leur protégée qui connaît aujourd’hui le syndrome de l’enfant gâté : dilapidation de toutes les ressources pour foncer droit vers la clochardisation ! L’Algérie est en somme ce boomerang utilisé par les Européens contre Maroc, qui leur revient en plein visage.
L’obstination européenne est bien surprenante, car c’est du Vieux Continent que doit émaner la sagesse. Force est donnée de constater que c’est plutôt le Maroc qui fait preuve de lucidité, car il continue à percevoir l’Europe comme un partenaire respecté et respectable avec lequel on peut se construire une belle histoire d’amour. Mais apparemment cet élan est à sens unique car l’Europe ne semble pas disposer à abandonner l’esprit colonial et à s’émanciper d'une forme irraisonnée d’atavisme (un atavisme remis à jour malheureusement par le résurgence de l’islamisme).
Est-ce que cela constitue un cas de divorce ?
Dans tous les cas aucune faute ne pourrait être imputée au Maroc ! Nous sommes aujourd’hui un pays aguerri, et qui gagne en assurance. Il dispose de très nombreux atouts qui lui permettront de se passer de l’Europe. Difficilement, c’est sûr ! Mais il survivra quand même.
Nous sommes nombreux ici à refuser l’inéluctabilité du divorce, et nombreux aussi à espérer que l’Europe vive pleinement notre époque en admettant qu’un pays comme le Maroc puisse se hisser au plus haut niveau pour jouer le partenaire idéal.
Entre États ou groupe d’Etats, il est difficile que les divorces se fassent par consentement mutuel, car c’est les rapports de forces qui prévalent. Dans ce cas-là, la guerre avec ses lots de morts et de destructions n’est jamais trop loin. La junte militaire, qui a déjà détruit son propre pays, semble prête à franchir le Rubicon pour assouvir leur soif de démolition à l’extérieur des frontières. Et l’Europe ? Laissera-t-elle faire et précipiter sa propre déchéance ? Ou jouera-t-elle la raison en admettant que le Maroc devienne une composante essentielle de son renouveau ?