Justice et intelligence artificielle – Par Seddik Maaninou

5437685854_d630fceaff_b-

Les transformations technologiques placent les systèmes judiciaires face à des défis majeurs.

1
Partager :

À Casablanca, des magistrats venus de tout le continent africain se sont réunis pour débattre des enjeux cruciaux que pose l’intelligence artificielle au système judiciaire. Seddik Maaninou revient sur cette rencontre pour indiquer que si les technologies évoluent à grande vitesse, les participants ont rappelé que l’humain – qu’il soit juge ou journaliste – doit rester au cœur du processus décisionnel. Pour lui le débat est ouvert, et les formations deviennent une urgence.

Un tournant technologique pour les systèmes judiciaires africains

À l’invitation de la Widadiya Hassania des juges, j’ai participé à la conférence du groupe africain relevant de l’Union internationale des magistrats. La rencontre, organisée à Casablanca, s’est tenue sous le thème : « Pour un espace judiciaire africain indépendant ».

La séance d’ouverture a été marquée par plusieurs interventions, dont celle du président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, qui a consacré son allocution à la relation entre la justice et l’intelligence artificielle. Il a souligné que cette conférence se déroule à un moment charnière où le monde connaît des mutations profondes susceptibles de transformer radicalement son visage. Des transformations qui placent les systèmes judiciaires face à des défis majeurs. Il a appelé à trouver les réponses appropriées, dans la mesure où les institutions judiciaires pourraient subir des changements structurels importants du fait de l’introduction croissante de l’intelligence artificielle.

Cette préoccupation a dominé les travaux de la conférence, à laquelle ont assisté de nombreuses délégations africaines. La plupart des interventions ont porté sur l’impact incontestable de l’intelligence artificielle sur la justice, mais aussi sur les médias. C’est dans ce cadre que j’ai présidé la première session consacrée au thème : « Justice et médias à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle ».

Justice, médias et IA : un triangle sous tension

Les intervenants ont abordé cette problématique en profondeur, analysant les effets possibles sur la justice, et proposant diverses approches. Il en ressort qu’en dépit des avancées technologiques, l’intelligence humaine demeure un fondement essentiel pour résoudre les problèmes complexes.

Dans mon intervention, j’ai souligné que malgré la vitesse des transformations, le fondement du travail journalistique reste le droit à la liberté d’opinion, d’expression, d’accès à l’information et de sa transmission. En contrepartie, des règles juridiques et éthiques s’imposent pour garantir le respect des libertés d’autrui. J’ai insisté sur le fait que le journaliste cherche à étendre le champ de sa liberté pour informer l’opinion publique – ce qui, parfois, entre en tension avec la justice, notamment dans les cas de poursuites intentées par des plaignants. J’ai rappelé que toute intervention de la justice doit s’inscrire dans le cadre d’un procès équitable, reposant sur la présomption d’innocence et la confidentialité de l’instruction.

Les participants ont posé de nombreuses questions sur la responsabilité juridique dans le cas d’un recours à l’intelligence artificielle : que se passe-t-il si le robot commet une erreur ? Comment tenir compte de la situation sociale de l’accusé avant de prononcer un jugement ? Certains se sont même interrogés sur les risques de confusion entre justice humaine et jugements préétablis par des algorithmes, et sur l’influence que cela pourrait avoir sur l’équité des procès.

Former pour anticiper : une urgence partagée

Les diverses interventions ont montré à quel point cette question préoccupe les juges. Nombreuses sont les interrogations qui nécessitent davantage d’efforts d’interprétation, de débat et de formation. Une large réflexion doit s’ouvrir sur la formation initiale et continue, avec l’intégration de ces matières dans les cursus universitaires, notamment dans les facultés de droit.

Les délégations africaines ont salué l’initiative de la Widadiya Hassania des juges et ont appelé à organiser des ateliers spécialisés pour renforcer le dialogue, approfondir les débats et se préparer à s’adapter aux évolutions rapides et permanentes des technologies, qui impacteront inévitablement la justice selon des formes multiples et complexes.

lire aussi