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Décisions douloureuses – Par Seddik Maâninou
Faudrait-il vraiment s’obstiner à croire que le sort de la liberté et de la démocratie dans notre pays est tributaire de la poursuite de ces publications dont l’Etat supporte les frais de production et les salaires des journalistes ?
Seddik Maâninou, qui rejoint ici les rangs des chroniqueurs de Quid.ma, est au début des années soixante-dix un journaliste présentateur vedette de la télévision marocaine dont il deviendra directeur en 1978. Ses responsabilités ne l’empêcheront pas d’être de tous les évènements importants supervisant les équipes de la TVM autant que mettant lui-même la main à la pâte. Il restera dans l’histoire de la presse marocaine comme la voix en larmes rendant compte en direct du lancement de la Marche Verte. En 1984 il est nommé directeur de la communication au ministère éponyme où il achèvera sa carrière active au poste de secrétaire général. A ce titre il est aux avant-postes des chevilles ouvrières qui ont supervisé l’organisation du Colloque nationale sur la communication et les médias. Témoin privilégié de l’histoire marocaine en marche il est l’auteur d’un récit passionnant en six volumes des évènements vécus. Il est également l’auteur de trois autres ouvrages, Le Mouvement national, La République des Corsaires et Le Roi et le captif.
J’ai pris part, la semaine dernière, à une rencontre-hommage à la mémoire de l’ami feu Abdellah Stouky organisée par l’Académie du Royaume et une pléiade des amis du défunt. La cérémonie ne s’est pas contentée d’allocutions à la mémoire du disparu, auxquelles j’ai également contribué, mais elle a été surtout conçue en conférence pour traiter d’une série de problèmes dont pâtit le secteur de la presse et des médias sous les effets de la migration des lecteurs vers les plateformes des réseaux sociaux.
J’aimerais, avant d’aller plus loin, rappeler que la vente des quotidiens se situait, au début de ce siècle, à 350 mille exemplaires par jour, un chiffre que nous considérions déjà bien trop faible par rapport au nombre d’habitants. Actuellement, les ventes groupées de l’ensemble des dix-huit titres nationaux avoisine à peine les 30 mille copies, soit le 1/10ème de ce que les Marocains consommaient il y a vingt ans. Il s’agit d’une régression effrayante qui impacte fortement l’équilibre financier des éditeurs, qu’ils soient partis politiques, entreprises ou institutions.
L’Etat à la rescousse
Pour faire face à cette sérieuse problématique, l’Etat est intervenu à plusieurs reprises. Feu Hassan II avait décidé, dans les années 90 du siècle dernier, d’allouer un milliard de centimes au soutien de la presse. Dernièrement, l’Etat a consacré quelques milliards pour sauver le système médiatique du naufrage. Au plus fort de la crise du Covid-19, l’Etat a même pris en charge, et continue, les salaires des journalistes et soutenu les éditeurs, ce qui en a fait le pourvoyeur financier principal, sinon unique du secteur.
Les approches divergent quant à l’analyse des raisons de l’effondrement des ventes de la presse papier. Certains accusent les réseaux sociaux d’avoir préempté le secteur et phagocyté son lectorat, en raison de leur intrusion massive dans le domaine et la célérité quand ce n’est pas l’instantanéité de leur diffusion des informations. D’autres incriminent la crise financière et la faiblesse des ventes débouchant sur la fuite des annonceurs qui vient aggraver l’augmentation des charges liées au papier, à l’encre, et autres consommables. D’autres encore, estiment que les quotidiens ont perdu le lustre des années 80 lorsqu’ils se présentaient en journaux d’opinion dont les éditoriaux et les analyses jouissaient d’une large audience auprès de l’Autorité comme du grand public.
Analyses divergentes
Face à cette crise, analystes et semi-spécialistes ont rivalisé de propositions pour sortir le secteur de l’impasse. Les uns préconisent de privilégier le commentaire et l’analyse des événements et de s’ouvrir en toute liberté sur les préoccupations des gens, leurs soucis quotidiens et leurs intérêts immédiats, en s’appuyant, parallèlement aux supports papier, sur des pages électronique centrées sur l’information en continue, et accordant un espace conséquent aux questions sociales, culturelles et régionales par souci de proximité.
D’autres soutiennent que l’ère des journaux papiers est révolue et invitent à se rendre à l’évidence en axant les efforts sur des plateformes de communication électroniques professionnelles et sérieuses, à accès prépayé réservé aux abonnés. Pour étayer leur thèse, ils se réfèrent aux exemples du journal français Le Monde qui a drainé des millions de lecteurs via sa plateforme électronique, et à son confrère Mediapart qui, capitalisant sur son professionnalisme et son audace, n’est accessible qu’aux abonnés.
Profonde refonte
Un autre point de vue auquel j’adhère estime que le secteur des médias dans notre pays a besoin d’une profonde refonte et de décisions qui peuvent être douloureuses. Il n’est plus concevable que l’on soit l’unique pays au monde où des partis politiques persistent à éditer des journaux que personne ne consulte. Si bien que l’on se retrouve avec des journaux qui écoulent à peine des dizaines d’exemplaires, tandis que les plus ‘’puissants’’ ne réussissant à placer que quelques centaines.
Devant cette triste réalité, faudrait-il vraiment s’obstiner à croire que le sort de la liberté et de la démocratie dans notre pays est tributaire de la poursuite de ces publications dont l’Etat supporte les frais de production et les salaires des journalistes ?
Appel et proposition
Les réticences accommodantes à affronter la réalité, la propension à se complaire dans la générosité de l’Etat, voire la persistance dans l’exigence davantage de soutien étatique pour seulement poursuivre une production éditoriale inefficiente, dictent un sursaut collectif devenu urgence. L’organisation de nouvelles assises de la presse et des médias, similaires à celles des années 90, en vue d’examiner, de débattre et d’élaborer une nouvelle politique médiatique, se présente, les choses étant ce qu’elles sont, comme la voie appropriée pour sortir de l’ornière. Elles seules sont à même de fédérer des énergies créatives en mesure de procéder à une dissection précise de l’état des lieux dans une optique prospective tenant compte à la fois de l’évolution des outils modernes de communication et des mutations profondes que connait en permanence la cible des médias, l’opinion publique en l’occurrence.