L’Ailleurs de nos peintres de Abdejlil Lahjomri : Bouchaib Habbouli, le ‘’soufi’’ des ruptures

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Œuvre Noir et bleu de B. Habbouli

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L’Ailleurs de nos peintres : ''un ‘'ailleurs'’, [est] l’effort de s'emparer de lui-même...réaliser son Altérité en s’identifiant au monde tout entier''.

Comme mon défunt ami, Edmond Amran Elmaleh, avant qu’une magnifique amitié ne le lie à Bouchaib Habbouli, je suis, peu familier de ce peintre étonnant.  Et c’est avec beaucoup d’humilité que je tente de parler de son œuvre en la découvrant. Je serais quelque peu présomptueux si je pensais pouvoir évoquer, disséquer, faire voir cette créativité « sublime » (le mot est de Edmond Amran Elmaleh et du poète Mohamed Loakira) mieux que ne l’ont fait ces deux fins connaisseurs de la peinture marocaine, ou mieux que ne l’ont dévoilée pour nous la faire admirer le ministre-écrivain Mohammed Achaari, l’auteur talentueux A. Najib Refaif, et les critiques perspicaces Hassan Bourquia, Rachid Bellabah.  J’ai envie de dire comme La Bruyère « Tout a été dit et l’on (je) vient trop tard ».

           Et pourtant les mots du critique n’épuiseront jamais les pulsations d’une œuvre picturale, ni n’expliciteront ce qu’elle dit ou dissimule dans la plénitude de ses vibrations. Et ceci est plus vrai pour Bouchaib Habbouli que pour tout autre créateur dans notre univers pictural. Je ne partage pas l’avis de Edmond Amran El Maleh quand il affirme « Encore une fois, on mesure la quasi - impossibilité de décrire une toile, une œuvre de peinture.  Les mots refusent à entrer dans la peinture une fois encore ». Il me semble que c’est plutôt la toile qui se refuse aux mots, parce qu’elle est riche de sensations mystérieuses, d’entités énigmatiques, de ces « non - encore – tentés » dont parle Mohammed Loakira et qu’aucun mot ne peut encore nommer, parce que le geste premier, fondateur l’a laissé en suspens, entre le dit et le non-dit pour que le regard soit libre d’y percevoir toutes les potentialités, tous les devenirs, tous les « sens - des toiles » à venir. 

             C’est pourquoi Bouchaib Habbouli est le peintre des ruptures. Rupture d’avec tout ce qui peut être emprisonné dans le langage, dans la pauvreté du lexique des critiques, des experts, des collectionneurs et des musées. Quelqu’un d’entre ceux-là peut-il nous éclairer en répondant à cette interrogation légitime de Mohamed Loakira à propos des « visages », « portraits » (mais sont - ce-là visages et portraits ?) : « Qui nous donne- t-il à voir ?  Et à cette non moins légitime question de Rachid Bellabah : « Mais que montrent ces visages ? ». Et Bouchaib Habbouli a eu raison de s’insurger quand le critique a cru bon de les comparer de bonne foi aux masques africains et amérindiens.

Il y a bien sur des pistes pour tenter d’y voir un peu plus clair dans les ténèbres qui se dégagent de cette œuvre et qui placent le spectateur selon l’expression heureuse de Rachid Bellabah dans « une zone de non – confort ».   Si l’œuvre de Bouchaib Habbouli est dominée par le « concept » du portrait ou du visage, habitée par la « fièvre des visages » selon Achaari : visages torturés, informes aux yeux vides, méconnaissables et non identifiables, ce n’est pas parce que B. Habbouli veut nous parler d’angoisse existentielle, de spleen, de mélancolie, de détresse, de tourments, mais surtout de cet autre « Je » qui est en nous. Le « Je est un autre » de Rimbaud, qui, lui, est insaisissable, fuyant, masqué, laid, dissimulé derrière nos égos de Narcisse aveuglés par le superficiel, l’éphémère, l’Inutile. Celui qui est « le ricanement « hideux » de la mort ». 

L’absence des couleurs (à part quand B. Habbouli s’est fait un jour « oiselier aux fleurs ») pourrait être une autre piste de déchiffrement possible pour comprendre la persistance de la couleur grise dominante, obsédante, envahissante qui caractérise l’œuvre marginale de ce peintre pourtant essentiel dans l’actuel flamboiement de notre univers pictural. C’est que la représentation du monde, chez ce peintre, nous situe dans cet espace intermédiaire entre une existence terrestre dérisoire et une existence éternelle, paradisiaque ou infernale, (c’est selon …) et que cet espace est continuellement gris, de la grisaille des obscurités de l’âme humaine, de ses turpitudes, de la noirceur de ses desseins inavoués.

  C’est pourquoi, B. Habbouli est selon Edmond Amaran El Maleh ce « sage » d’Azemmour, éloigné des villes tumultueuses et frénétiques, selon Mohammed Loakira « ce reclus des hauteurs », et selon moi, un peintre soufi, de ce soufisme serein, soufisme de dépassement qui s’oppose à la violence de son œuvre et de ses ruptures avec le monde des vanités et des fausses certitudes.

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