chroniques
Le Figaro Magazine ou la nostalgie du colonialisme pur et dur – Par Abdelaziz Tribak
Selon les envoyés spéciaux du quotidien français c’est une ville habitée par deux « ethnies », l’espagnole et la « musulmane ». Et d’où elle sort cette deuxième « ethnie » ? Mystère et boule de gomme ?
Quel « rajeunissement » nous offre une certaine presse française ces derniers jours ! Après « Le Monde » qui a appelé, dernièrement, à une sorte « d’expédition punitive » contre le Maroc, comme au bon vieux temps colonial où l’ont tapait sur des indigènes pour en effrayer d’autres… Et après cette histoire biscornue de ce « Pegasus » (sans ailes et qu’ils n’arrivent pas à faire voler)… L’honorable « Le Figaro Magazine» du vendredi 6/samedi 7 août 2021 nous a gratifiés d’un « reportage » trop mignon sur Ceuta (Septem Fratres en latin et Sebta en langue berbère( ?) avant de devenir Ceuta…)…
Un reportage qui flaire trop le « publi-reportage » (non déclaré, tant pis pour la déontologie) car il n’obéit à aucune nécessité d’actualité, si ce n’est celle d’essayer de vendre l’image « noble » et « chargée » de fortifications et d’immeubles «art nouveau, art déco »…d’une ville cicatrice/coloniale moribonde… une tentative « d’intubation » en quelque sorte pour insuffler vainement un hypothétique oxygène à cette « pimpante cité espagnole », dont les rues « trahissent un passé prestigieux » (Oui, elles résonnent toujours des pas des bottes franquistes)!
Le surtitre annonce en petits caractères « les enclaves, ces territoires en terre étrangère », mais le titre ôte toute « mauvaise » interprétation (pour les bailleurs de fond) : Ceuta- Un morceau d’Espagne au Maghreb. Vous avez bien lu, le Maghreb, pas le Maroc, Sebta pouvant être marocaine, algérienne, tunisienne, voire mauritanienne ou libyenne. Ou bien n’appartenant à aucun de ces pays, c’est juste une « autonomie » maintenant « une présence espagnole « sous le regard envieux des Marocains », avec des habitants « musulmans » dans leur moitié ! Quel exercice périlleux de funambulisme politique !
Donc, selon les envoyés spéciaux du quotidien français c’est une ville habitée par deux « ethnies », l’espagnole et la « musulmane ». Et d’où elle sort cette deuxième « ethnie » ? Le survol historique fait par les publi-reporters nous laisse sur notre faim. « Phéniciens, Grecs, Carthaginois, Romain, Vandales, Byzantins, Maures et Portugais se sont tour à tour disputé cette pointe dirigée vers la Méditerranée », nous dit un bandeau surplombant une carte du nord du Maroc montrant ces « bouts » d’Espagne au Maghreb (situés tous au Maroc bien sûr)… De toutes ces peuplades, il ne reste à Sebta que les Espagnols et quelques 40000 mille « musulmans » dont l’article ne nous dit pas s’ils sont des descendants de Portugais, de Grecs, de Carthaginois, de Vandales ou d’autres gentils envahisseurs… Rien, la moitié des habitants de la ville n’ont qu’une seule « origine » : leur religion, la musulmane, alors que les espagnols en ont une, l’Espagne ! Ainsi, « Le Figaro Magazine», pour les sous d’un publi-reportage, escamote le fait que cette moitié de population de la ville appartient bel et bien à son environnement ethnique et géographique qui n’a rien d’espagnol. C’est une terre marocaine, donc africaine, et les « musulmans » (euphémisme pour taire Marocains !) sont chez eux, et pas les Espagnols…
Et puis, si l’on sait d’où sont venus toutes ces peuplades qui se sont « disputé » cette pointe, l’article donne à croire que parmi ces envahisseurs figurent aussi les « Maures » qui seraient des extraterrestres ayant envahi cette terre, comme d’ailleurs ces « Musulmans » dont il cache l’origine. N’y a-t-il pas là falsification des données en plein jour, au 21ème siècle et alors qu’un simple clic sur le moindre moteur de recherche te dira que les « Maures », ce sont les habitants originaux de la région, une peuplade que nulle invasion n’a pu décimer ? Et qui sont toujours là dans leur environnement à Sebta, même si l’article, en écho à tous les milieux racistes de Sebta les réduit à leur religion.
Donc, ces « Maures » venus de nulle part ont « contesté » Sebta aux Espagnols et aux Portugais (et aux autres) nous dit le pseudo-reportage, mais contrairement à ces derniers, ces « Maures » n’ont laissé aucune trace, et à en croire l’article même pas des descendants en la personne de ces « Musulmans » venus aussi de nulle part…
On pensait « Le Figaro » journal « libéral », quoiqu’on a tendance à oublier que le libéralisme s’est nourri des conquêtes coloniales, et se nourrit toujours de leurs conséquences. Mais dans ce faux reportage, « le Figaro » s’est transformé (Pour quelques euros de plus dirait Sergio Leone) en un porte-parole d’un colonialisme rance. L’article est presque « un éblouissement des sens », un hymne au colonialisme et à sa figure la plus militariste, fascisante même. Tout y passe, « le noble palais de commandement militaire », « les puissantes murailles royales», des fortifications et bastions modèle d’architecture militaire portugaise du XVIe siècle… Un « mille-feuille » superposé d’architecture de tous les occupants précédents… Ah, quand même « une porte califale » intacte avec des décorations arabes reste « dissimulée » dedans (comme si elle avait honte de sa présence sur son propre sol…).
Pour les nostalgiques de la période coloniale « l’aventure coloniale espagnole est partie d’ici. La garnison de Ceuta a servi de tête de pont pour acheminer des troupes en Afrique ». On dirait un safari dont les touristes viendraient découvrir les traces. Une aventure « trop mignonne » oui : des tonnes de bombes versées sur les indigènes presque sauvages, des milliers de morts autochtones, des villages rasés, un entraînement grandeur nature sur l’utilisation des armes chimiques… Très belle « aventure » sans aucun doute. Venez Mesdames et Messieurs admirer « le cantonnement du Tercio Duque de Alba 2ème de la légion espagnole »… Ces troupes qui rivalisent dans le prestige. Et ne pas oublier les « Regulares », ces « troupes légendaires de l’armée de terre » !
Hallucinant, on croit rêver, le très « libéral » « Le Figaro » qui fait l’éloge des troupes militaires les plus féroces de l’histoire ! Mais, il est vrai qu’elles n’ont « cassé » que de l’autochtone… L’article nous invite même (« coup de cœur ») à visiter le 28 du paseo Revellin où un gentil « colonel de légion dénommé Francisco Franco a habité le premier étage », celui qui « lança ses troupes contre la république espagnole, le 17 juillet 1936 » (Une autre « aventure » ?)… Mais rassurez-vous (chers Espagnols et Européens), leurs successeurs n’y sont là aujourd’hui que « pour défendre ce petit morceau d’Espagne perdu sur les côtes d’Afrique du Nord face à un royaume du Maroc qui le considère comme une relique coloniale ». Des « Maures » (« Moros ») perfides, en somme appelés seuls à goûter du prestige de ces armées…
Cela fait trente ans que je visite Ceuta (Avant le Corona), et je connaissais son passé franquiste, mais aucun Espagnol n’a jugé utile de me signaler où logeait Paco Franco, il paraît même que ses statues et ses traces sont ôtées de partout en Espagne en une sorte de sport national (de gauche); grâce au magazine « libéral » français cette lacune est comblée. S’il m’arrive un jour d’y retourner j’y jetterai un regard, « Le Figaro » a gagné un « curieux ». Mais qu’il ne compte pas sur moi pour y déposer une gerbe de fleurs !
Le reste du « publireportage » est plein de banalités où le flux « migratoire » de mai dernier n’est expliqué que par le besoin de la population marocaine environnante de remplacer le manque à gagner de la fermeture des « frontières » face à la contrebande. Et la revendication marocaine de ces deux villes spoliées le long d’une histoire coloniale européenne sanglante est réduite à des « escarmouches ». L’article nous signale en passant que les Nations Unies comme l’Union européenne « ne contestent en rien la souveraineté de Madrid sur ces territoires ». Seuls ces descendants d’indigènes, de « Maures » le font soutenus par d’autres indigènes de l’Union africaine, juste bons à massacrer ! Qu’il était bon le temps des Légions !
L’on se demande vraiment jusqu’à quel seuil de bassesse descendra une certaine presse française qui a quitté sa superbe pour s’abaisser au rang de thuriféraire de l’injustice coloniale la plus flagrante ?
9 août 2021