L’AILLEURS DE NOS PEINTRES DE ABDEJLIL LAHJOMRI : De la modernité avant toute chose*…

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De la modernité avant toute chose et pour cela la postérité, au-delà de la mort, a signé les œuvres de Melehi, pour l’éternité, de son vivant.

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L’Ailleurs de nos peintres : ''un ‘'ailleurs'’, [est] l’effort de Baudelaire de s'emparer de lui-même...réaliser son Altérité en s’identifiant au monde tout entier''.

Ce crédo, notre ami Melehi* ne l’aurait pas renié. Peintre, pédagogue, de son propre aveu un peu idéologue, c’est l’affirmation de cette modernité qu’il recherchait, en quittant l’Ecole de Tétouan pour Rome, New York et Casablanca, et l’inscrire, dès son retour, comme irréversible, brisant ainsi, par la peinture, tous les tabous. A Rome, il expérimenta tout : ‘’l’action painting’’, ‘’la peinture organique‘’, ‘’le collage‘’ et découvrit la doctrine Zen. Cette philosophie, affirme- t-il ‘’ (lui) a permis de se dégager de toute méthode académique et de toute tradition coloriste‘’. Aux Etats Unis, se révélèrent à lui ‘’la relation de l’artiste américain avec la société‘’, ‘’la recherche de l’ identité ‘’, ‘’le sentiment du continent ‘’. Grâce à cela, il décida de s’identifier au continent africain. Toutefois, dans ses recherches c’est le motif de l’onde qui s’imposa à lui : ‘’l’onde -musique, l’onde - mouvement, l’onde- vibration, l’onde- sensualité, l’onde – sérénité’’, comme s’imposa à lui la rupture audacieuse d’avec ‘’une absence culturelle‘’ pour, en urgence, trouver dans son pays la culture ‘’qui lui manquait là- bas’’.  Surtout, urgemment, rompre avec l’enseignement conventionnel et comme le dit Edmond A. El Maleh ‘’nettoyer les yeux de ses élèves, leur apprendre à regarder ce qu’on appelle à tort les arts populaires, alors que c’est l’art tout court ‘’. Adepte fervent de l’école du Bauhaus qui affirmait ‘’qu’il n’y avait aucune différence entre l’artiste et l’artisan‘’, elle ‘’le mit, confessa-t-il, en paix avec lui-même’’. Ce mouvement va l’encourager à considérer l’art comme une modernisation de l’artisanat.  Et puis, ce fut le choc (le terme est son terme), celui provoqué par la publication du livre ‘’La Peinture Arabe‘’ de Richard Ettinghausen par Skira à Genève en 1963, qui le convainquit qu’il existait un autre univers artistique, un univers de signes et de symboles qui était son univers, son ‘’ailleurs’’ baudelairien qu’il portait en lui et qu’il ignorait. Dès lors son combat artistique fut de démystifier l’aura qui entourait l’artiste, de clamer que ce n’était pas le peintre qui peignait mais le peuple, que l’inspiration, comme don du ciel, était une aberration et que l’art était à la portée de tous. Et ce furent le manifeste ‘’Formes et Couleurs ‘ qu’il signa avec Farid Belkahia et Mohammed  Chebaa, l’étonnante et déroutante  exposition de la place Jamaa El Fna  à Marrakech en 1969, les revues ‘’Souffles‘’ et ‘’Intégral’’ et  enfin  Asilah où l’art envahissait, l’été de  chaque année, les  murs des ruelles, comme les vagues ondoyantes  de ses œuvres , étincelantes, vives, joyeuses, chatoyantes allaient envahir les cimaises des galeries nationales et des musées internationaux .

 Melehi, ‘’soufi’’ ?

 Devant un visiteur médusé, qui s’étonnait de cette obsession répétitive de l’onde, il expliquait, serein, que la répétition était une attitude soufie, un acte religieux, que chaque artiste avait son enivrante obsession et que cette onde, inlassablement mouvante, était son obsession à lui. Ainsi calligraphia-t-il le nom d’Allah.

 Melehi, ‘’conteur’’ ?

 Au même visiteur, conquis, il  apprit comment lire dans une de ses œuvres leur passé commun,  oublié par une mémoire endormie, l’introduisant dans la légende, lui confiant  que cette œuvre  représentait  une pyramide, qui  évoquait Marc Antoine, époux de la fabuleuse Cléopâtre, père de Cléopâtre Séléné, épouse de Juba II, et que ce Roi Maure fut  leur  Roi dans leur pays, dans les temps immémoriaux du roman national qu’il fallait réécrire. 

Ainsi fut Melehi, séduisant par sa didactique si humble, si humaine, son engagement social si émouvant quand, par exemple, il décelait dans les tapis les souvenirs enfouis d’une modernité à réinventer.

 Adieu, l’ami. 

De la modernité avant toute chose et pour cela la postérité, au-delà de la mort, a signé tes œuvres, pour l’éternité, de ton vivant.

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* L'espace "Les coupoles" du Palace Es Saadi à Marrakech accueille une exposition rétrospective en hommage à l'artiste-peintre Mohammed Melehi, décédé le 28 octobre 2020, est ouverte au public à compter d’aujourd’hui 30 décembre.