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Motion de censure avortée : autopsie du fiasco de l’opposition – Par Bilal Talidi

A. Benkirane (PJD) et derrière lui D. Lachgar (USFP). Le fiasco de la motion de censure révèle surtout une méfiance enracinée entre les directions du PJD et de l’USFP, remontant à la crise de formation du second gouvernement Benkirane en 2017.
Alors que les conditions politiques semblaient réunies pour transformer, comme jadis, une motion de censure en procès du gouvernement d’Aziz Akhannouch, l’opposition a échoué à transformer l’essai. Bilal Talidi revient sur cet échec derrière lequel se dessinent des fractures internes, une méfiance tenace entre partis et un passé non soldé qui constitue le vice (à peine) caché de l’opposition.
Une occasion manquée pour l’opposition
L’échec de l’opposition marocaine à déposer une motion de censure contre le gouvernement d’Aziz Akhannouch ne peut se comprendre sans une lecture politique qui remonte aux sources. Ce n’est pas l’absence d’arguments dans la gestion gouvernementale qui a fait défaut, mais plutôt l’incapacité de l’opposition à capitaliser sur le moment politique.
La tentative a été torpillée de l’intérieur. Le groupe parlementaire socialiste a brusquement mis fin à la coordination entre les forces de l’opposition, accusant le Parti de la justice et du développement (PJD) de ne pas vouloir aller jusqu’au bout et de noyer la démarche dans des querelles de procédure.
Une fracture venue de loin
Les autres composantes de l’opposition – notamment les groupes du Progrès et du socialisme, et du Mouvement populaire – ont été surprises par cette décision unilatérale, prise sans concertation. Le désaccord portait, officiellement, sur un seul point : qui devait présenter la motion sous la coupole du Parlement. Plusieurs pistes de compromis étaient à l’étude, mais l’initiative socialiste a coupé court à toute tentative de consensus.
Dans un communiqué, le groupe socialiste a rappelé les tensions qui avaient accompagné une précédente tentative de motion en 2023, en pointant à nouveau du doigt le PJD, accusé d’avoir torpillé l’initiative à l’époque. Du côté du PJD, la réaction s’est fait attendre. Son chef de file parlementaire, Abdellah Bouanou, a seulement interrogé les raisons réelles du retrait socialiste : ‘’cédait-il à des pressions ou agissait-il dans le cadre d’un arrangement non révélé’’ ?
Une crise de confiance chronique
Cette impasse révèle surtout une méfiance enracinée entre les directions du PJD et de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), remontant à la crise de formation du second gouvernement Benkirane en 2017, que le PJD persiste à imputer à l’intervention d’Idriss Lachgar, leader de l’USFP. Depuis, les suspicions n’ont jamais été levées.
La tentative de motion de censure était encadrée institutionnellement par les groupes parlementaires, et non les directions partisanes. Mais le désaccord sur la forme cachait un contentieux plus profond, où chacun soupçonnait l’autre de manipulations politiques. Le PJD aurait été prêt à céder sur la forme, à condition que l’USFP ne soit pas à l’avant-garde. L’USFP, de son côté, n’envisageait qu’un seul scénario : conduire l’initiative. L’impasse était donc inévitable.
Une opposition en crise existentielle
Derrière cet épisode, c’est la crise existentielle de l’opposition marocaine qui s’expose. Une partie de ses composantes donne l’impression de vivre avec un pied dans la majorité, tandis que le passé conflictuel entre certains partis continue de saper les perspectives d’un front uni. Les tentatives de construire l’avenir sont minées par les dettes du passé.
Certains commentateurs interprètent l’échec de la motion comme une victoire du gouvernement. Or, celui-ci n’a vraisemblablement rien fait de particulier pour neutraliser la manœuvre. Ce sont les défaillances internes de l’opposition qui l’ont sauvée.
Aziz Akhannouch n’a donc pas eu à tester la cohésion de la majorité ou à éprouver le niveau de discipline et de loyauté des directions et des députés des partis la composant. La désunion de ses adversaires à fait le travail à sa place. Cet échec est intervenu à une année des élections, un timing qui a transformé la motion de censure en simple manœuvre électorale. Au terme de la course, l’USFP semble se repositionner pour un rapprochement avec la majorité, dans une logique de retour au gouvernement, estimant que ce choix représentait l’avenir auquel elle aspire à prendre part.