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Les Forces Armées Royales du Maroc : 69 ans d’histoire, d’évolution et de défense nationale – Par Hassan Zakariaa

Le Roi Mohammed VI visitant en 2017 l’hôpital de campagne des Forces Armées Royales (FAR) déployé à Juba, dans le cadre d’une mission humanitaire au profit des populations de la République du Soudan du Sud. L’armée marocaine s’est affirmée au fil des décennies comme un acteur de paix et de coopération sur la scène internationale
Par Hassan Zakariaa
69è anniversaire de la création des Forces Armées Royales (FAR) du Maroc, et retour sur l’épopée de cette institution pilier de la défense nationale. Depuis 1956, l’armée marocaine n’a cessé d’évoluer sur les plans structurel, technologique, social et stratégique pour défendre la souveraineté du Royaume et contribuer à la stabilité régionale et mondiale. De sa fondation par Mohammed V aux réformes ambitieuses menées sous Mohammed VI, en passant par les conflits marquants sous Hassan II, l’histoire des FAR est celle d’une armée en constante modernisation, et engagée au service de la Nation.
Naissance d’une armée nationale (1956) : la vision de Mohammed V
La naissance des FAR remonte au lendemain de l’indépendance du Maroc en 1956, lorsque le roi Mohammed V décide de doter le jeune État d’une armée nationale souveraine. Le 14 mai 1956, il charge son fils, le prince héritier Moulay Hassan (futur Hassan II), de former le premier noyau des Forces Armées Royales. Cette vision de Mohammed V jette les bases d’une armée moderne et unifiée, intégrant d’anciens soldats marocains des armées coloniales française et espagnole, ainsi que des membres de l’Armée de Libération qui avaient combattu pour l’indépendance.
Dès ses premières années, la nouvelle armée doit relever des défis de taille. À l’interne, il s’agit d’assurer la sécurité et l’unité du pays fraichement libéré du joug colonial. À l’externe, le Maroc aspire à parachever son intégrité territoriale : en 1957-1958, des volontaires marocains lancent ainsi la campagne d’Ifni pour récupérer les enclaves toujours occupées par l’Espagne. Ce conflit, connu sous le nom de guerre d’Ifni, voit la FAR soutenir ces combattants avant qu’une offensive hispano-française ne mette fin à l’insurrection en 1958, après quoi une partie des résistants est intégrée au sein des FAR. Parallèlement, à peine créée, l’armée marocaine s’illustre déjà sur la scène internationale : dès 1960, le Maroc envoie un contingent de Casques bleus lors de la crise du Congo. Cette première participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU voit deux bataillons des FAR (infanterie et parachutistes) déployés au Congo entre 1960 et 1964 pour aider à rétablir la paix. L’engagement précoce des FAR sur le terrain onusien inaugure une longue tradition de contributions marocaines aux missions de paix dans le monde.
Sous Hassan II : les FAR au front des conflits régionaux
Accédant au trône en 1961, le roi Hassan II hérite d’une armée structurée qu’il va rapidement engager dans la défense de l’intégrité territoriale du Maroc. Les FAR jouent un rôle central dans les conflits régionaux qui marquent les premières décennies post-indépendance. En octobre 1963, la jeune armée est mise à l’épreuve lors de la guerre des Sables contre une agression de l’Algérie, un bref conflit frontalier né de différends sur les limites sud du Maroc. Malgré des pertes des deux côtés, les FAR réussissent à repousser les incursions, contrainte par ordre du souverain à laretenue et ce conflit se conclut par un cessez-le-feu et une médiation arabe, asseyant la crédibilité de l’armée marocaine dans la défense du territoire national.
Quelques années plus tard, un défi bien plus vaste attend les FAR : la question du Sahara occidental. Après avoir par des manœuvres politico-diplomatiques magistralement menées par le roi Hassan II, les Espagnols au départ en 1975, le Maroc récupère ses provinces sahariennes mais fait face à une guérilla du Front Polisario soutenu par certains pays voisins. Durant la longue guerre du Sahara (1975-1991), les Forces Armées Royales déploient des dizaines de milliers d’hommes dans pour protéger les villes et populations du Sud. Sous le commandement personnel de Hassan II, l’armée construit à partir de 1980 un vaste mur de défense fortifié de plus de 2 500 km, ce qui change la donne stratégique en verrouillant l’essentiel du territoire. Cet énorme chantier militaire, associé à la combativité des soldats marocains, finit par isoler les combattants adverses et contribue à l’instauration du cessez-le-feu en 1991. Le coût humain et financier de cette guerre est lourd – à la fin des années 1980, environ un tiers du budget de la défense était englouti dans les opérations au Sahara – mais l’armée marocaine en sort aguerrie et plus expérimentée. Par ailleurs, le Maroc n’a pas hésité à prêter main forte à ses alliés durant cette période : contingent envoyé sur le front du Golan lors de la guerre du Kippour en 1973, assistance militaire au Zaïre (République du Congo) en 1977-78 lors des guerres du Shaba, etc. Ces engagements extérieurs renforcent le prestige des FAR et leur savoir-faire opérationnel.
Fidèles à leur devise et au Trô,e, les Forces Armées Royales ont aussi constitué sous Hassan II un rempart essentiel pour la stabilité du régime. En dépit de crises internes ponctuelles et de deux tentatives de coup d’Etat, l’armée est demeurée dans sa globalité fidèle et loyal, faisant front contre toute menace à l’unité nationale. Ainsi, au tournant des années 1990, les FAR sortent de l’ère Hassan II comme une armée aguerrie, fortement attachée à la défense du territoire et prête à entamer une nouvelle phase de modernisation.
Casques bleus et coopérations : le rayonnement international des FAR
Au-delà de la défense du sol national, l’armée marocaine s’est affirmée au fil des décennies comme un acteur de paix et de coopération sur la scène internationale. Sous l’impulsion des souverains successifs, les FAR ont régulièrement participé à des missions internationales de maintien de la paix, consolidant l’image d’un Maroc solidaire. À partir des années 1990 notamment, le Royaume déploie des contingents dans de nombreuses opérations de l’ONU : Cambodge, Somalie, ex-Yougoslavie, et surtout en Afrique (Angola, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Centrafrique…). Aujourd’hui, le Maroc fait partie des dix premiers contributeurs mondiaux aux missions de paix des Nations unies, avec des centaines de Casques bleus marocains engagés sur le terrain. Les militaires du Royaume sont appréciés pour leur professionnalisme, que ce soit pour surveiller des cessez-le-feu, protéger des civils ou déployer des hôpitaux de campagne dans des zones sinistrées. Preuve de cet engagement, le Maroc préside depuis plusieurs années le groupe de travail des pays non-alignés sur le maintien de la paix à l’ONU. En 2022, un Centre d’excellence de formation aux opérations de paix a même été inauguré à Benslimane, afin de former aussi bien les personnels marocains que ceux d’armées partenaires aux exigences modernes du peacekeeping (protection des civils, lutte contre la désinformation, égalité de genre, télémédecine, etc.).
Parallèlement, les FAR renforcent leur coopération militaire régionale et internationale à travers des exercices conjoints et des partenariats stratégiques. L’exemple le plus emblématique est l’exercice African Lion, entraînement militaire multinational organisé annuellement au Maroc en collaboration avec les États-Unis depuis le début des années 2000. Cet exercice, désormais l’un des plus importants en Afrique, regroupe des forces de plusieurs pays (États-Unis, pays africains et européens…) et vise à améliorer l’interopérabilité, l’entraînement au combat et la préparation aux situations de crise. Il illustre l’excellente relation de défense entre Rabat et Washington – le Maroc étant désigné allié majeur hors-OTAN des États-Unis depuis 2004. Plus largement, le Royaume est un partenaire actif du Dialogue méditerranéen de l’OTAN depuis 1995, ce qui lui vaut des échanges réguliers avec l’Alliance atlantique en matière de formation, d’exercices et de renseignement. Les FAR participent ainsi à des manœuvres ou ateliers aux côtés d’armées alliées, renforçant leurs capacités tout en contribuant à la sécurité collective (lutte contre le terrorisme, sécurité maritime en Méditerranée, etc.). Enfin, la coopération sud-sud n’est pas en reste : sous le leadership de Mohammed VI, l’armée marocaine multiplie les partenariats avec des pays africains frères, que ce soit pour la formation d’officiers étrangers dans les académies marocaines, les entraînements conjoints ou l’envoi d’aide humanitaire et médicale (hôpitaux de campagne déployés récemment au Mali, en Guinée, au Mozambique ou au Liban lors de la crise de Beyrouth). Cet élan diplomatique et humanitaire renforce le rayonnement international des Forces Armées Royales, perçues comme une force de stabilité et de solidarité au-delà des frontières du Maroc.
Modernisation technologique et progrès social sous Mohammed VI
Depuis l’avènement du roi Mohammed VI en 1999, les FAR ont entamé une nouvelle phase de modernisation tous azimuts, à la fois technologique, organisationnelle et sociale. Conscient des enjeux du XXIè siècle, le souverain – qui est Chef suprême et Chef d’état-major général des FAR – n’a eu de cesse d’impulser des réformes pour renforcer la capacité opérationnelle de l’armée et améliorer le bien-être de ses membres. « Développer les capacités des FAR, toutes composantes confondues, et les doter de tous les moyens techniques modernes et des équipements nécessaires » figure ainsi parmi les instructions royales adressées aux Forces Armées, comme l’a rappelé Mohammed VI lors du 68è anniversaire des FAR. Cette orientation stratégique s’est traduite par d’importants investissements dans le matériel militaire au cours des deux dernières décennies : acquisition d’avions de combat de nouvelle génération (modernisation de la flotte de F-16, commande d’hélicoptères d’attaque AH-64E Apache dont les premiers exemplaires ont été livrés en 2023), renforcement de la défense aérienne (drones de surveillance et drones armés acquis auprès de partenaires stratégiques), modernisation des blindés et de l’artillerie, sans oublier la Marine royale dotée de frégates furtives ultramodernes et de patrouilleurs océaniques. L’objectif est de disposer d’une force dissuasive crédible et bien équipée, capable de faire face aux menaces contemporaines tout en continuant de remplir ses missions traditionnelles.
Parallèlement aux équipements, le capital humain fait l’objet de toutes les attentions sous le règne de Mohammed VI. D’importantes réformes sociales ont vu le jour pour améliorer les conditions de vie et de travail des militaires. L’Agence de logement et d’équipement militaires (ALEM) a, par exemple, permis la construction de milliers de logements pour le personnel. Entre 2007 et 2024, pas moins de 15 700 logements de fonction ont été construits et 79 500 unités d’habitation ont été mises à disposition des militaires et civils de la Défense, afin de faciliter leur accès à la propriété. Des aides financières de l’État ont bénéficié à des dizaines de milliers de familles de militaires pour acquérir un foyer, illustrant la Haute Sollicitude royale envers ceux qui servent sous les drapeaux. De même, les infrastructures militaires ont été modernisées : hôpitaux militaires de Rabat, Marrakech, Meknès et autres rénovés ou reconstruits, création d’un hôpital militaire à Agadir, modernisation du Service de santé militaire avec l’introduction de la télémédecine et d’équipements médicaux de pointe. Ces efforts visent non seulement à garantir des soins de qualité aux militaires et à leurs familles, mais aussi à renforcer la capacité des FAR à intervenir en soutien aux populations civiles en cas de catastrophe (on l’a vu lors du séisme d’Al Haouz en 2023, où les hôpitaux de campagne des FAR ont sauvé de nombreuses vies).
Côté formation, Mohammed VI a encouragé la montée en compétence des soldats et officiers. 2023 a vu la création du Centre Royal des Études et Recherches de Défense relevant du Collège Royal de l’Enseignement Militaire Supérieur. Les académies et écoles militaires royales (Académie royale militaire de Meknès, École Royale de l’Air, École Royale Navale, École Royale du Service de Santé Militaire, etc.) ont vu leurs programmes enrichis et des instituts spécialisés ont été créés pour préparer les forces aux nouveaux défis (cybersécurité, renseignement, opérations spéciales…). Le Maroc envoie également de nombreux officiers suivre des stages avancés à l’étranger (France, États-Unis, etc.), gage d’un haut niveau de professionnalisme et d’interopérabilité. En 2018, le Royaume a par ailleurs décidé de rétablir le service militaire obligatoire – supprimé en 2006 – afin d’impliquer la jeunesse dans la défense et de renforcer l’esprit citoyen. Depuis 2019, des milliers de jeunes femmes et hommes de 19 à 25 ans effectuent ainsi chaque année une formation militaire d’un an, acquérant discipline, compétences techniques et sens du devoir. Cette mesure a non seulement revitalisé les rangs de la réserve, mais elle contribue aussi au rapprochement entre l’armée et la société civile, en inculquant aux appelés des valeurs de patriotisme et de cohésion nationale.
La mise en place d’une industrie de défense nationale
Enfin, un chapitre majeur de la modernisation actuelle réside dans la quête d’une industrie de défense nationale. Le Maroc a lancé ces dernières années une politique ambitieuse pour développer la production locale de matériel militaire et réduire sa dépendance aux importations, dans un objectif de souveraineté. Une loi-cadre (n° 10-20) a été adoptée en 2020 pour encadrer ce secteur stratégique et créer un climat propice aux investisseurs. En 2023-2024, le gouvernement a validé la création de zones industrielles dédiées à la défense, où seront fabriqués des équipements militaires, armes et munitions. Des partenariats ont déjà vu le jour avec des acteurs internationaux : par exemple, une joint-venture avec le groupe belge Orizio pour la construction de drones et d’aéronefs légers, la société Maintenance Aero Maroc pour la maintenance d’avions militaires, ou encore un accord avec l’américain Lockheed Martin concernant la coproduction de composants avioniques. Cet élan industriel, encouragé au plus haut niveau de l’État, vise à doter le Maroc d’une véritable autonomie stratégique. À terme, développer une base industrielle et technologique de défense permettra non seulement de couvrir une partie des besoins des FAR avec du matériel « Made in Morocco », mais aussi de créer des emplois hautement qualifiés et d’exporter vers des pays amis. C’est un nouveau chantier de longue haleine, mais qui consacre la volonté du Royaume de maîtriser son destin sécuritaire et de renforcer sa souveraineté.
69 ans plus tard, les Forces Armées Royales du Maroc apparaissent ainsi comme une institution fortement ancrée dans son histoire et résolument tournée vers l’avenir. Des premières unités constituées sous Mohammed V à l’armée high-tech et engagée de Mohammed VI, en passant par les batailles décisives menées sous Hassan II, les FAR ont sans cesse évolué pour relever les défis de chaque époque. Armée de défense territoriale, elles sont aussi une armée de paix et de progrès, au service non seulement du Maroc, mais aussi de causes universelles. À l’heure où elles célèbrent leur 69<sup>e</sup> anniversaire, les FAR peuvent s’enorgueillir du chemin parcouru et des réformes engagées pour continuer la marche en avant. Leur histoire, riche d’enseignements, témoigne d’une adaptation constante aux enjeux stratégiques, d’une modernisation continue et d’un attachement indéfectible aux valeurs sacrées du Royaume. Autant d’atouts qui garantissent que, dans la décennie à venir, l’emblème rouge et vert des Forces Armées Royales flottera toujours fièrement, symbole de sécurité, de développement et de souveraineté nationale.