Quelques questions autour du droit des Kabyles à l’autodétermination – Par Bilal Talidi

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Manifestation pour l’indépendance de la Kabylie

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Le Représentant permanent du Maroc aux Nations-Unies Omar Hilale a livré à la réunion des Non Alignés (13 et 14 juillet) une importante déclaration qui augure un changement de tactiques du Maroc à l’égard de l’Algérie

Pour la première fois, Rabat a recouru au concept du droit du peuple kabyle à l’autodétermination, dans une démarche qui a fait entrer dans une hystérie collective le voisin de l’Est. Elle a commencé par demander des explications sur l’éventuel soutien de Rabat à l’indépendance de la Kabylie, puis par rappeler pour consultations son ambassadeur au Maroc, laissant entendre d’autres démarches possibles

Cette position a suscité un débat pour le moins houleux en Algérie et ailleurs, beaucoup moins au Maroc où certains n’ont tout de même pas compris que Rabat renvoie à l’Algérie sa propre démarche et cède à l’usage de la carte du soutien au séparatisme dans le rapport de forces entre les deux pays

Des élites panarabistes et unionistes ont été étonnées par cette position qu’elles ont appréhendée comme une fragilisation de la cohérence de la position marocaine observée pendant près d’un demi-siècle dans son rapport avec l’Algérie. Ces élites font prévaloir que le Maroc est resté constamment attaché à sa logique unioniste, toujours opposé à toute velléité séparatiste menaçant l’unité des entités arabes et maghrébines. La déclaration du Représentant du Maroc est donc perçue comme un renoncement à la position constante du Maroc et une réplique de la position algérienne consistant à soutenir le séparatisme et le morcellement de l’ensemble maghrébin

Une partie de ces élites marocaines a rejeté ce changement d’attitude, le considérant comme un glissement dangereux qui doit être rectifié de toute urgence. Selon cette thèse, toute instrumentalisation de la carte du séparatisme ne fragilise serait de nature à constituer une menace également pour l’unité territoriale marocaine. Les porteurs de ce point de vue en veulent pour démonstration que les appels à l’unité du peuple amazighe en Afrique du Nord ne s’arrêtent pas à ce que l’on appelle «le peuple kabyle», mais s’étendent au Rif marocain

Deux approches

Dans la discussion de cette question il convient de distinguer deux niveaux d’analyse. Le premier s’en tient aux idéaux, principes et valeurs que le Maroc a prôné pendant près d’un demi-siècle sans que pour autant cette approche ne parvienne à mettre l’Algérie et son comportement régionale au banc de l’interpellation. Le second niveau se rapporte à la réalité du terrain, à l’action diplomatique concrète forcément déterminée par les dynamiques politiques

Le Maroc s’est longtemps tenu au discours des principes et des valeurs, même quand il aurait pu énormément influer sur nombre d’évènements majeurs ponctuant le cours politique algérien. Mais à chaque fois il a préféré observer une stricte neutralité. Même qu’il a joué des rôles importants pour la stabilité de l’Algérie au moment où toutes les conditions favorables à l’instabilité étaient réunies. Il en est ainsi, pour ne citer que l’exemple le plus récent, durant toute la période du Hirak algérien qui se poursuit à ce jour. A aucun moment le Maroc ne s’est départi de sa ligne de neutralité, évitant scrupuleusement d’adhérer à une quelconque tactique favorable à une option qui pourrait servir ses intérêts

Mais il est possible qu’ait mûri chez les décideurs marocains la conviction que le discours des valeurs et l’attachement aux principes sont finalement improductifs. Qu’ils n’ont pas non plus amené les élites qui se gargarisent de principes et d’idéaux à interpeler l’Algérie sur ses agissements. Que les élites panarabistes et unionistes n’ont jamais quitté la confortable zone de la neutralité et de l’équidistance, sans jamais faire le procès de la politique « désunioniste » de l’Algérie. Les élites algériennes, y compris les plus critiques du pouvoir et les plus attachées à l’option unioniste, n’ont soutenu la position marocaine que rarement et très partiellement, préférant appuyer la thèse du pouvoir algérien. Il n’y a pas jusqu’aux aux élites islamistes algériennes, traditionnellement les plus sensibles au discours unioniste (Mouvement de la société pour la paix, Mouvement de la renaissance islamique, et autres), qui n’ont soutenu la thèse du pouvoir algérien en faveur du séparatisme, au lieu de faire valoir le discours des principes et des valeurs

Cette analyse a peut-être suffisamment mûri chez les décideurs marocains au point de représenter une position dissuasive de nature, dans les circonstances actuelles, à rétablir un certain équilibre dans les rapports avec l’Algérie

Brandir le soutien du séparatisme en Algérie (droit du peule kabyle à l’autodétermination) est assurément une carte de poids. Le pouvoir en Algérie l’appréhende d’autant plus sérieusement qu’il sait que la question est sur l’agenda de puissants centres de pouvoir internationaux et redoute de voir l’Algérie basculer à tout moment dans le cercle de leurs intérêts et actions immédiats, en raison de ses ressources énergétiques. Et c’est d’ailleurs uniquement dans ce sens qu’Alger a voulu percevoir la conclusion à Rabat de l’Accord tripartite (Maroc-USA-Israël) et l’a présentée comme une menace potentielle

De ce point de vue, le Maroc gagnerait à agiter cette carte en tant qu’option dissuasive pour établir l’équilibre et amener l’Algérie à revoir ses cartes. Car il n’y a aucune raison à ce que seul Alger peut se permettre. En même temps, il y a des précautions dont il faudrait bien tenir compte. C’est que l’utilisation de cette carte s’ouvre sur toutes les possibilités, y compris les plus incertaines, en ce sens que son usage n’est pas à sens unique et que ses implications pourraient être potentiellement incontrôlables. Elle pourrait également être utilisée par d’autres parties, de même que ses issues pourraient s’avérer préjudiciables pour les intérêts du Maroc, son unité et sa stabilité. Ceci est d’autant plus vrai que bien des acteurs internationaux nourrissent des plans bien plus grands qu’un simple recours à cette carte pour la dissuasion pour faire valoir des intérêts sous prétexte de lever une injustice ou défendre une cause

Dans la tension avec l’Espagne, le Maroc a produit un discours élégant, fort et dissuasif dans un langage serti de positions agiles, comme celle concernant l’indépendance de la Catalogne. Ce discours comportait en filigrane une menace subtile de soutenir la scission de la Catalogne si l’Espagne campait sur sa même position hostile à l’intégrité territoriale du Maroc, mais sans jamais trop tirer sur la corde au point de s’impliquer ouvertement dans le soutien du séparatisme

Avec l’Algérie, l’on a besoin d’une approche dissuasive qui déploie la logique de la réciprocité, mais avec un nouveau langage qui recourt certes à la menace, mais reste dans les limites des valeurs et des principes, sans céder à la tentation de s’impliquer dans des positions susceptibles de porter atteinte à l’image du Maroc et à sa crédibilité en tant que pays constamment mobilisé pour défendre l’unité des pays et de leur stabilité