chroniques
Sahara : nouvel environnement, nouvelle stratégie (l’Auftragstaktik )
Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain
Le dossier du Sahara marocain a connu un tournant important aussi bien au niveau des mutations dans la gestion politique de ce dossier, qu’à celui des changements qui ont affecté l’environnement régional et international favorable à une éventuelle résolution définitive de ce problème qui n’a que trop duré.
Il faut admettre que la diplomatie royale est pour l’essentiel dans l’accumulation des succès dans ce dossier couronnés par la reconnaissance officielle des Etats Unis d’Amérique de la marocanité du Sahara, un acte politique majeur et déterminant en raison évidente du poids américain sur la scène internationale.
Cette affaire, dossier très sensible relevant du « domaine réservé », a connu jusque-là un traitement classique marqué par une rétention compréhensible dans un environnement régional et international inamicale aggravé par un climat politique intérieur tendu et l’existence même de quelques voix qui sympathisant avec les thèses séparatistes.
Le développement des nouvelles technologies de l’information de la communication ont fini par rendre difficile le maintien de ce dossier dans les arcanes du Palais ou des ministères de souveraineté. Désormais tous les dossiers chauds trouvent leur chemin au monde virtuel véritable champ de bataille de points de vue et d’intérêts opposés quand ils ne sont pas franchement hostiles.
A l’heure actuelle, l’approche exclusiviste se retrouve dépassée non seulement parce que le consensus national autour des constantes de la nation ne pose plus aucun vrai problème, notamment lorsqu’il s’agit de l’affaire du Sahara marocain, mais aussi parce que la maturité politique des Marocains est telle qu’ils exercent sur les réseaux sociaux une vraie diplomatie parallèle offensive et sans merci face aux attaques qui visent l’intégrité territoriale du Royaume.
Pour bien mettre à profit ces évolution du citoyen acteur, le Maroc officiel se doit à son tour de changer e » comportement en vue de dépasser l’approche bureaucratique rigide pour une approche stratégique souple impliquant les différents intervenants dans ce dossier, non pas comme un simple instrument de résonnance, mais comme un être doué d’intelligence capable d’apporter un plus à la réflexion et représenter un bonus à l’action. Ainsi il aidera non seulement au décongestionnement des services classiques responsables de la gestion de ce dossier, mais contribuera à l’accélération du rythme diplomatique officiel et officieux.
Le stratège allemand Moltke (1800 – 1891), à son époque déjà, avait élaboré ce qu’il a appelé l’« Auftragstaktik » qui implique l’octroi d’une certaine liberté d’action aux autres responsables (subordonnés) déconcentrés. La diplomatie marocaine gagnerait à s’en inspirer en octroyant aux autres organismes et chercheurs qui travaillent en parallèle de nouvelles latitudes dans le but de faire connaitre, en étant correctement informés, la question au plus grand nombre de personnes et des lobbies influents dans le processus de prise de décision dans plusieurs pays.
Selon Motlke, Auftragstaktik veut dire que les directives devaient définir les intentions du commandement et laisser une large marge d’initiative aux subordonnés. Cette définition reflète un modèle de commandement décentralisé qui vise à développer l’agilité et la réactivité des autres intervenants dans le dossiers du Sahara marocain tout en fixant un objectif claire et bien déterminé qu’on peut désigner comme « but politique suprême de l’Etat ».
En outre, l’Auftragstaktik (Mission Command) consiste en une adhésion active et non pas uniquement acclamative, à une finalité commune et à des objectifs communs. Cette option stratégique, sans pousser jusqu’à adopter la maxime du roi Frédéric le Grand - « je paye mes officiers pour qu’ils sachent à quel moment ils doivent commencer à désobéir » - doit promouvoir l’indépendance du jugement et stimuler intelligence du responsable déconcentré (surtout au niveau des ambassades) tout en définissant les limites de la marge de manœuvre en application de ce qu’a si bien développé le général français Vincent Desportes : « Un ordre doit préciser tout ce que le subalterne ne peut pas décider, mais rien que cela ».
On peut avancer avec certitude que le personnel diplomatique, les organisations politiques et les intellectuels marocains ont capitalisé une connaissance importante des aspects techniques et politiques du dossier du Sahara leur permettant de bien participer et soutenir toute forme de discussions officielles et officieuses. Sachant que ce qui vaut dans cette optique pour les citoyens marocains et leurs élites, le vaut encore plus pour le personnel diplomatique professionnel appelé et tenu à jouer un rôle plus dynamique tout en observant les directives et les orientations des services centraux. Il s’agit d’agir en étroite collaboration et coordination avec les décideurs qui ont une visibilité transcendante et un angle d’analyse plus large, sans que les questions sur lesquelles le diplomate professionnel en poste à la centrale ou l’étranger ne peut décider handicapent les espaces où il peut innover et faire preuve d’initiative. En d’autres termes libérer les professionnels de l’attitude inhibante de n’agir que couvert d’un ordre expresse et la société civile de n’agir qu’assurée d’être dans l’air des grands décideurs.