Une édition critique de Mein Kampf : Historiciser le mal

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Le focus va bien au-delà de la personnalité d'Hitler : il aide à mieux comprendre le nazisme dans son ensemble

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Voici quelques jours à peine - le 2 juin, précisément- a paru la première édition critique de Mein Kampf d’Adolf Hiler. Une nouvelle traduction sous le titre "historiciser le mal, une édition critique de Mein Kampf (éditions Fayard, Paris, 896 p.). De quoi susciter et nourrir une véritable bronca dans certains cercles politiques et intellectuels. 

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Depuis plus de cinq ans, ce brûlot antisémite et raciste, publié pour la première fois en 1925-1926 est tombé dans le domaine public, sa réimpression étant interdite depuis 1949. Dans la perspective de la fin du copyright, le 31 décembre 2015, une fièvre éditoriale a conduit un institut de Munich à lancer une dizaine d'années auparavant un vaste chantier scientifique mobilisant une équipe d'historiens. Son rendu ? Deux volumes de 1.000 pages sous le titre "Hitler, Mein Kampf, eine kritische Edition". En France, ce travail a été également préparé par les éditions Fayard et a donné lieu à partir d'une coopération franco-allemande à la présente édition.

Un livre à étudier

Que Mein Kampf soit une source fondamentale pour comprendre l'histoire du XXème siècle n'est point contestable : tant s'en faut. Ce livre -là a en effet joué un rôle fatidique dans le développement du national, socialisme, du nazisme donc, dans la préparation du génocide et des crimes contre l'humanité qui, tragiquement, ont endeuillé l'Europe et le monde entier. Ce livre, est à l'étudier. Même si son contenu est ce qu'il est, il faut le contextualiser, le critiquer, le déconstruire ligne par ligne, accompagné de commentaires issus de la recherche actuelle. Un passé tragique, assurément ; mais il faut s'y confronter pour comprendre pourquoi les Allemands ont pu suivre l'auteur de Mein Kempf jusqu'à sa chute en 1945. 

Pour savoir où l'on va, il est indispensable de comprendre d'où l'on vient. Ce livre est utile, nécessaire pour lutter contre l'obscurantisme, le complotisme et le refus de la science et du savoir en des temps de crise, marqués par la montée des populismes. Il fallait montrer et souligner que ce texte est très daté ; il a représenté l'ultranationalisme, le pangermanisme, l'antisémitisme tels qu'ils s'exprimaient avec toute la radicalité, en Allemagne dans les années 20. Le focus va bien au-delà de la personnalité d'Hitler : il aide à mieux comprendre le nazisme dans son ensemble. C'est en effet la bible du nazisme, une espèce de catalogues d'intentions. Au départ, sa diffusion est restée modeste ; il a ensuite circulé - des personnalités comme Churchill et De Gaulle l'ont lu. Il deviendra un ouvrage fondamental à partir du moment où le nazisme a à ce point bouleversé l'histoire de l'Europe au 20ème siècle. 

Démythifier un texte répulsif

Cette nouvelle édition est salutaire ; sa densité livresque fournit un vecteur de profondeur dans un monde plus pressé que jamais de parvenir à des conclusions. Elle se propose de "démythifier" un texte répulsif. L'annotation critique est précise à cet égard, l'analyse historique aussi. L'une et l'autre encadrent comme des vigies le propos d'Hitler. Elles permettent de saisir les enjeux ; elles pointent également du doigt les incohérences. Et les mensonges. Entre les lignes, voilà bien un rappel sonnant comme un avertissement. C'est qu'en effet seul le savoir peut - et pourra - faire rempart aux raccourcis les plus funestes. Il donne forme et contenu aux questionnements de l'époque. Il met en exergue cette responsabilité de tous : le devoir de mémoire. D'une autre manière, il s'agit de donner un caractère historique aux évènements pour mieux les dénoncer, justement. Un mot résonne : "historiciser"...