Culture
« Cinéma, mon amour ! » de Driss Chouika - MOHAMED-ABDERRAHMAN TAZI, PARCOURS D’UN CINEASTE DU TIERS MONDE
En 1952, à peine 10 ans, il est tombé sur ce qu’il appelait « un mur avec des images en mouvement. On y projetait une publicité d'Aspro (Merci Aspro. L’image cinématographique va ainsi devenir, très vite, le principal attrait de l'enfant M-A. Tazi
« Filmer c’est un désir de partager des préoccupations sur notre patrimoine, notre mémoire collective et notre société dans sa quotidienneté ». M-A. Tazi
Quand la majorité des producteurs marocains avaient décidé, en mars 2012, de créer la Chambre Nationale des Producteurs de Films (CNPF), le comité de préparation avait lancé une consultation auprès des membres pour choisir un premier président du Conseil d’Administration à proposer à l’Assemblée Constitutive. Alors, très vite et spontanément, un nom a surgi et s’est imposé de fait. C’était celui de Mohamed-Abderrahman Tazi, le réalisateur du mythique et phénoménal “A la recherche du mari de ma femme“ (1993). Effectivement, l’apport de M-A. Tazi au sein de la CNPF a été décisif jusqu’à ce jour.
Le succès inattendu de son troisième film, « A la recherche du mari de ma femme » (1993), record inégalé à ce jour du nombre d’entrées dans les salles de cinéma, va booster la carrière cinématographique de M-A Tazi
M-A. Tazi, à lui seul, est un monument de cinéma. Il est difficile d’en parler. Son parcours, riche de plus de six décennies de carrière, rend difficile le choix et l’ajustement des faits d’un tel itinéraire. Pour contourner cette difficulté et rendre la communication plus fluide, j’ai demandé à Mr Tazi de choisir, de mémoire, les événements les plus marquants de sa vie, tant professionnelle que sociale. C’est ce choix personnel qui a donné les principaux sous-titres du texte sollicité par la direction des Journées Cinématographiques de Carthage en hommage à M-A. Tazi, l’ami, le collègue et l’un des plus illustres pionniers du cinéma marocain (On peut voir le texte intégral sur le site des JCC 2022).
LA REVELATION DE L’ECRAN DU CINEMA
Stanley Kubrick avait bien dit, à juste titre, que « L’écran est un support magique. Il a tellement de force qu’il peut retenir l’attention en transmettant des émotions et des humeurs telles qu’aucune autre forme d’art ne puisse lutter ».
M-A. Tazi se rappelle d'un événement qui a été, bien spontanément, la cause première de sa découverte de l’écran du cinéma et l'attrait qu’il va exercer sur lui jusqu’à l’envoûter. Cela s’est passé en 1952, il avait à peine 10 ans. L’image cinématographique va ainsi devenir, très vite, le principal attrait de l'enfant M-A. Tazi pour l'image. Il était tombé sur ce qu’il appelait « un mur avec des images en mouvement. On y projetait une publicité d'Aspro (Merci Aspro) ». Effectivement, dans le temps, et cela a continué jusqu’au années 60, des caravanes cinématographiques sillonnaient le pays, à travers villes et villages, et jusqu’aux bleds les plus reculés, pour projeter des films grand public, entrecoupés par des publicités et les actualités officielles.
Le cinéaste va d'ailleurs confirmé cet engouement pour le cinéma par un fait vécu. Dans son court métrage « Images volées », qui a fait partie des cinq courts métrages produits par le CCM à l’occasion du centenaire du cinéma en 1995, il a capté, par le “regard“ de la caméra, les regards de ces enfants “Voleurs d’images“, ceux qui collectionnaient les photogrammes que les projectionnistes coupaient des films et vendaient pour quelques sous.
De là s’était confirmée la vocation de M-A. Tazi et son orientation effective vers le domaine du cinéma, et l’audiovisuel en général.
FAIRE L’IMAGE DU PREMIER FILM MAROCAIN
Très vite à l'IDHEC, Tazi s'oriente vers la section prise de vue avec le souci de participer au développement du pays par les moyens audiovisuels et faire des films de vulgarisation, d'information et de formation.
Après le diplôme obtenu à l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques de Paris (IDHEC), spécialité Directeur photo, il rejoint l’équipe des “Actualités Marocaines“ que le Centre Cinématographique Marocain produisait, et qui étaient projetées une fois par semaine dans les salles de cinéma, avant le film. Quelque temps après, il a eu l’opportunité et la chance d’être le directeur photo du tout 1er long métrage de fiction marocain “Vaincre pour vivre“ (1967) de Ahmed Mesnaoui et Mohammed Tazi Ben Abdelwahed, le tout 1er rôle du chanteur et compositeur Abdelouahab Doukkali, dans lequel il joue le rôle de Karim, fils de menuisier, qui « décide un jour de quitter son village du Rif et de s’aventurer dans la grande ville de Casablanca où il doit vaincre, d’abord pour vivre, ensuite pour s’exprimer ».
Il enchaine, en tant que directeur photo, avec le film « Wachma - Traces » (1970) de Hamid Benani. Mais « Wachma » aura été une expérience bien particulière où il a participé également comme sociétaire-coproducteur dans une première coopérative culturelle. Avec un groupe de cinéastes qui comprenait Hamid Benani, Mohamed Sekkat, Ahmed Bouanani et lui-même, ils avaient constitué le groupe “Sigma 3“ qui devait coproduire, à tour de rôle, le film de chacun des membres du goupe.
Mais, pour M-A. Tazi, c’était le début d’une longue carrière dans l’audiovisuel, cinéma et télévision, qui continue à ce jour, et dont la dernière création est le film sur la vie et l’oeuvre de la grande sociologue Fatima Mernissi, « La Sultane inoubliable ».
SUCCES INATTENDU D’UN FILM
C’est le succès inattendu de son troisième film « A la recherche du mari de ma femme » (1993), record inégalé à ce jour du nombre d’entrées dans les salles de cinéma, qui va booster sa carrière cinématographique. Le film raconte l’histoire d’« Un riche bijoutier de Fès, Hadj Benmoussa, polygame, semble gérer harmonieusement l’entente entre ses trois femmes jusqu’au jour où Houda, la 3ème épouse, jeune et belle, est répudiée pour la troisième fois... ».
Ce film est vite devenu un phénomène de société, attirant une grande foule de gens qui n’ont jamais fréquenté les salles obscures. Outre son traitement du thème de la polygamie, encore bien répandu dans la société marocaine, il a été bien servi par un casting de choix. Aux côtés de comédiens exceptionnels, Bachir Skirej, Amina Rachid et Naima Lamcharki, il y a eu aussi la participation qui a confirmé le grand talent de la jeune comédienne Mouna Fettou.
“Le grand voyage“, le premier long métrage de M-A. Tazi traite du thème de la dépossession. Avec la route et le voyage comme prétexte, les rencontres et les cafés comme jalons, le film se développe en une fiction progressive de la dépossession ». Présenté au 1er Festival National du Film en 1982, le film a eu le prix du meilleur scénario pour Noureddine Sail et le prix de la meilleure image pour M-A. Tazi (en ex-aequo avec M-A. Derkaoui pour “Les beaux jours de Chahrazade“ de Mostafa Derkaoui).
En plus de son succès auprès des critiques, son deuxième film “Badis“ a eu le Prix de la meilleure réalisation aux Journées Cinématographiques de Carthage (1990), le 2ème Prix au 4ème Festival du Cinéma Africain de Khouribga (1990) et aussi le prix de la meilleure réalisation au 3ème Festival National du Film de Meknes (1991).
LES ANNEES TELEVISION
M-A. Tazi n’a pas évolué exclusivement dans le domaine du cinéma. Il a élargi son activité de production et de réalisation à la télévision. Sa première expérience remonte aux années 80 quand Noureddine Sail lui avait proposé de collaborer à une émission sur le cinéma, produite pour le compte de TVM, la 1ère et unique chaîne de télévision marocaine à l’époque. Il a également produit et réalisé plusieurs programmes pour des télévisions espagnoles.
Plus tard, le même Noureddine Sail lui avait proposé d’assumer la responsabilité en tant que Directeur de la Production de la chaîne de télévision 2M. Puis, il a enchainé avec la production et la réalisation de plusieurs séries et téléfilms pour le compte des deux chaînes nationales, la SNRT et 2M. Il a également collaboré à des films tournés au Maroc. A ce titre, il a été délégué de production ou conseiller artistique sur des films de grands cinéastes comme Robert Wise, John Frankenheimer, John Huston…
PERTE ATROCE DE DEUX AMIS INTIMES
L’année 2020, avec cette terrible épidémie du Covid 19, aura été bien catastrophique, marquée notamment par la perte, à quelques jours d’intervalle, de deux amis intimes : « Noureddine Sail et Mohamed Drissi. Pour N. Sail, les gens qui connaissent nos rapports savent bien que les liens qui nous ont unis, tant sur le plan social que professionnel, sont incommensurables. Quant à Mohamed Drissi, peintre et photographe, les murs de ma demeure sont témoins de la considération pour sa peinture ; elles sont dans les recoins et les espaces de ma maison », précise Mr M-A. Tazi.
FETER SES 80 ANS ENTRE ENFANTS ET PETITS-ENFANTS
Pour fêter ses 80 ans, le 03 juillet 2022, M-A. Tazi a formulé le vœu de voir, réunis autour de lui, ses enfants et petits enfants. Et ce vœu à été exaucé. Bien plus, il a aussi pu voir, réunis autour de lui avec ses enfants et petits-enfants, ses amis intimes, avec qui il a pu partager beacoup de choses communes, socialement et professionnellement. Tout ce petit monde s’est retrouvé réuni, dans sa demeure à Tahannaout, dans une ambiance familiale et amicale inoubliable, à l’instar de son dernier film « Fatima, la Sultane inoubliable ».
LA RELEVE
M-A. Tazi se sent comblé en apprenant que sa fille cadette Kenza décrochera son diplôme de directrice de la photographie en octobre 2022, comme son père en 1967. « Telle fille, tel père », comme dit l’adage. Comble du bonheur, elle pourra ainsi assurer cette fonction dans son prochain film. En effet, après des études à Paris, puis en Allemagne, elle rentrera au Maroc à la fin de cette année pour entamer une carrière cinématographique au Maroc, seconder son père et aiguiser ses armes pour prendre sa relève le moment venu.
En résumé, M-A. Tazi est une valeur sûre dans l’histoire de la cinématographie marocaine et son nom restera gravé dana ses annales.
FILMOGRAPHIE (LM)
"Le Grand Voyage" (1981) ; "Badis" (1988) ; "A la recherche du mari de ma femme" (1993) ; "Lalla Hobby" (1996) ; "Les Voisines d’Abou Moussa" (2003) ; « Al Bayra » (2013) ; « Fatema la sultane inoubliable » (2021).