Cinéma, mon amour ! » de Driss Chouika - ''LA TERRE'' CLASSE SECOND MEILLEUR FILM DANS L’HISTOIRE DU CINEMA EGYPTIEN

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Scène de La Terre - Youssef Chahine est certainement l’unique cinéaste arabe qui a été capable de traiter ses thèmes aussi bien sur un ton dramatique qu’humoristique

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« Quand j’écris et qu’une bonne idée passe à ma portée, je me mets à danser tout seul comme une andouille ». Youssef Chahine.

 la Terre Al Ard 1969 rŽal : Youssef Chahine Collection Christophel - Aflam

Isat Alalaili et Nagwa Ibrahim dans Le Terre

Qui, parmi les cinéphiles des générations du siècle dernier ne connait pas Youssef Chahine, le plus incisif et le plus prolifique des cinéastes arabes ? Il aura été l’un des cinéastes arabes dont les films ont fait le tour du monde et ont été les plus distribués dans le monde arabe. Je me rappelle toujours de sa tonitruante rencontre ave Souheil Benbarka au complexe Dawliz en 1990, j’y étais alors responsable de la programmation, rouspétant haut et fort contre le distributeur de ses films au Maroc qui ne lui a jamais rien payé alors qu’il exploitait ses films depuis “La terre“ (1970) jusqu’à “Le destin“ (1997), en passant par “Le moineau“ (1972) et “Adieu Bonaparte“ (1985), pour ne citer que ceux qui ont eu le plus grand succès au Maroc à l’age d’or des 260 salles de cinéma ! Chahine était furieux et les promesses de Benbarka de régler le problème, alors directeur du Centre Cinématographique Marocain, ne suffisaient pas à le calmer.

« La terre », classé second parmi les meilleurs films egyptiens de tous les temps,  après “La volonté“ de Kamal Selim (1939), sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 1970, dresse un saisissant tableau de la dure vie dans un village égyptien du Nil dans les années 30, vivant sous le joug de la tutelle colonialiste britannique et l’exploitation à outrance des riches propriétaires terriens.

Dans ce film, la symbolique de l’eau occupe une place importante. Les paysans du village se voient imposer une drastique réduction de l’irrigation de leurs champs de coton, déjà éprouvés par la sécheresse. La situation va empirer et dégénérer en conflits entre les personnes et les communautés. La rudesse de la vie des paysans va s’ajouter à la répression brutale des forces de l’ordre pour rendre la vie du village encore plus dramatique. Ainsi, à la symbolique de l’eau s’ajoute une symbolique plus politique, faisant allusion à la défaite de l’armée égyptienne dans la désasteuse guerre des six jours de 1967 qui allait précipiter la chute du mythe Nasser. Cette défaite, comme le colonialisme, a été vécue comme une humiliation. 

ENTRE ALLEGORIE ET NEO-REALISME 

De par sa construction dramatique et ses choix esthétiques, “La terre“ est à la fois un film néo-réaliste et allégorique. Le réalisateur, tout en mettant en lumière la force d’une communauté aspirant à vivre dignement en travaillant sa terre dans des conditions humaines convenables, recourt à la métaphore pour mettre en valeur le droit d’un peuple de vivre librement et dignement. Là, Chahine a approfondi son traitement habituel des rapports humains, et aussi politiques. Le film, adapté du roman de Abderrahman Cherkaoui, fait implicitement référence au passé historique de l’Egypte sous le protectorat britannique, puis sous la monarchie entre les années 20 et la révolte de 1952.

Construit sur le mode d’un réalisme classique, qui fait sentir d’une manière subtile la terre jusque dans sa boue, le film décrit d’une manière humaine saisissante la situation de la communauté d’un petit village du Nil. Cette description réaliste de la vie du village, vécue comme une source de frustration sociale, est accentuée par la comparaison contrastée avec la vie au Caire, vue symboliquement comme un rêve d’une vie citadine bien meilleure. Le contraste est effectivement bien frappant : le village représente une rude ruralité où les gens triment à mort juste pour survivre, alors que Le Caire est la grande ville où il fait bon vivre dans la joie et l’opulence. Surtout que Chahine maitrise bien l’art de construire des personnages attachants dont le magnifique jeu d’un casting de rêve a contribué à rendre sublime même dans son allure tragique : Mahmoud Elmligui, Isat Alalaili, Yahia Chahine, Ahmed Hamdy, Nagwa Ibrahim... 

RICHESSE THEMATIQUE ET ESTHETIQUE  

Ce film, à l’instar de la plupart des films de Youssef Chahine, est d’une richesse thématique et esthétique saisissantes, limpides et cohérentes. Les personnages sont adaptés et construits d’une manière convaincante. Le spectateur parvient aisément à suivre les péripéties de l’histoire et l’évolution de chacun des personnages ainsi que le sort qui lui est réservé. Ce film est d’une grande finesse narrative. Un spectacle cinématographique d’une crédibilité sans faille qui, tout en procurant un plaisir immense, invite à une saine réflexion sur la condition humaine des petites gens face à la cruauté de l’exploitation et la répression.  

En plus, Youssef Chahine est certainement l’unique cinéaste arabe qui a été capable de traiter ses thèmes aussi bien sur un ton dramatique qu’humoristique. Il reconnait d’ailleurs que « Le rire est la meilleure arme des égyptiens. Ils ont toujours combattu l’oppression par la boutade. Si vous voulez savoir ce qui se passe dans ce pays, marchez dans le pays un quart d’heure et vous allez entendre des blagues, des rires vraiment gras. C’est le peuple qui rit le plus et c’est pourtant un des plus misérables. Le rire est une arme pour éviter la dépression ».

FILMOGRAPHIE SELECTIVE

Youssef Chahine (1926 - 2008) a été le plus productif des cinéastes arabes, avec un record inégalé de 41 films. A titre indicatif, en voici une sélection :

“Le fils du Nil“ (1951) ; “Ciel d’enfer“ (1954) ; “Gare centrale“ (1958) ; “Saladin“ (1963) ; “Le choix“ (1970) ; “Le moineau“ (1972) ; “Alexandrie pourquoi ?“ (1978) ; “la mémoiore“ (1982) ; “Adieu Bonaparte“ (1985) ; “L’émigré“ (1994) ; “Le destin“ (1997) ; “L’autre“ (1999) ; “Le chaos“ (2007).

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