Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika - LES ANNEES 80, L’AGE D’OR DES CINE-CLUBS DU MAROC

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« Le cinéphile est celui qui sait que ce qu'il regarde est en train de disparaître » (Sege Daney).

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika : DE L'HISTOIRE DU CINEMA MAROCAIN

« Pourquoi ai-je aimé ce cinéma-là? Parce qu'au cinéma permanent s'est ajoutée l'idée de la vie permanente, d'un fond disponible sur lequel "s'enlevaient" les images. Parce que ce cinéma-là est le plus engagé socialement et qu'il me permettait de rendre au César du social ce qui lui revenait et auquel j'avais si peu d'accès. Accompagner le flux du temps, de la vie, mais aussi bien les contradictions dans leur devenir commun, un bout de temps. En finir avec ce qui ne finit pas, d'où les fins-miracles, les coups de force, les larmes à la fin. Partager du temps avec des personnages qui partagent l'image et son hors-champ. Passer le temps à le voir passer ». (« L'exercice a été profitable, Monsieur », Serge Daney, P.O.L, 1993).

Le 15ème Festival International du Film de Femmes de Salé a connu l’organisation d’un séminaire fort intéressant sur le thème “L’amour du cinéma au Maroc : de la cinéphilie à la critique“, modéré par l’écrivain et critique de cinéma Mohammed CHOUIKA, au cours duquel sont intervenus la Burkinabée Fatou Shula Gnanou, de la Fédération des Ciné-clubs du Burkina Faso, la sénégalaise Fatou Kiné Sene de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique, Mme Amina Saibari de la Fédération Nationale des ciné-clubs du Maroc (FNCCM), Mr Mohame Sof écrivain et critique de cinéma et moi-même qui ai présenté un témoignage pratique sur mon expérience au sein du Bureau National de la FNCCM.

Les participants ont présenté des interventions analytiques et thématiques riches et diversifiées sur les divers aspects du passage de la cinéphilie à la critique ainsi que leur évolution au Maroc et en Afrique, à partir des exemples du Burkina Faso et du Sénégal. Pour ma part, j’ai axé mon témoignage sur le parcours de mon expérience pratique au sein de la FNCCM de 1980 à 1990.

DE LA CONSTITUTION A L’AGE D’OR de la FNCCM

« Dans la vie d’un cinéphile, il est une époque inoubliable et merveilleuse : celle  où l’on découvre le cinéma » (Jean-Charles Tacchella). C’est ce qui m’était arrivé, à l’éoque du lycée à Marrakech, où deux professeures coopérantes cinéphiles, Mme Tailandier (Physique-chimie) et Mme Mange (Histoire-géographie), m’avaient offert la première une carte d’adhésion au ciné-club du cinéma Colisée et la deuxième des billets pour assister aux séances mensuelles de “Connaissance du Monde“ où des réalisateurs venaient présenter et débattre de leurs films documentaires 16 mm. La belle époque.

La FNCCM a été constituée en 1973 par un groupe de cinéphiles marocains qui avait à sa tête feu Noureddine Sail. Elle avait ainsi remplacé l’ancienne Fédération Marocaine des Ciné-clubs qui était constituée et dirigée par les cinéphiles français du Maroc. Très vite, la FNCCM s’était imposée comme l’une des associations nationales les plus actives et dynamiques dans le domaine culturel. Elle est arrivée ainsi, à la fin des années 70, à regrouper plus de quarantaine ciné-clubs répartis dans les grandes villes du royaume.

Ayant rejoint le Bureau National de la FNCCM en 1980, suite à la création par un groupe d’amis, du Ciné-club Cinéma Nouveau à Casablanca-Bernoussi/Ain Sebaa, j’ai été trésorier-adjoint puis trésorier, chargé aussi de la programmation et des relations extérieures. Ce début des années 80 avait connu une effervescence cinéphile incroyable qui avait fait porter le nombre des ciné-clubs affiliés à la FNCCM à 82 ciné-clubs répartis à travers le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, regroupant pas moins de 45.000 adhérents. Je me rappelle que cela avait fait écrire par un journaliste d’un quotidien national que la FNCCM était le plus grand “parti politique“ du Maroc, faisant allusion aux débats des films très politisés à l’époque au sein de la majorité des ciné-clubs. Sa remarque faisait également référence au fait que le plus grand parti politique de l’époque, l’Istiqlal, comptait environ 38.000 membres, talonné par l’USFP.

La FNCCM a été la première fédération de ciné-clubs dans le tiers-monde à avoir pu constituer un parc de films 35 et 16 mm dont elle avait acquis les droits de projection à travers le territoire national, soit offerts soit en contrepartie de prix symboliques dans le cadre de conventions avec les services culturels des ambassades étrangères ou d’organismes spéciaux, comme la Cinémathèque Française ou Sovexportfilm de l’époque. Nous arrivions a avoir ainsi une quarantaine de films par trimestre que nous répartissions, à tour de rôle, entre les deux zones Nord et Sud, comprenant chacune une quarantaine de ciné-clubs. Les films étaient exclusivement distribués par la FNCCM, en dehors du circuit commercial. Seuls quelques rares ciné-clubs louaient quelques films chez les distributeurs. Pour cela, nous obtenions des visas culturels sur simple présentation d’une fiche technique et un synopsis du film. Ce n’est que bien plus tard qu’il est devenu obligatoire de fournir au CCM une copie du film pour avoir un visa  d’exploitation, qu’il soit culturel ou commercial.

A partir de la saison 1981/1982, nous avions généralisé la préparation de fiches techniques avec des synopsis, qui accompagnaient les copies des films. Cela permettait aux animateurs des ciné-clubs d’avoir des données précises sur les films présentés.

C’était vraiment l’âge d’or de la cinéphilie au Maroc. Et le travail de la FNCCM a été appuyé et relayé par les suppléments culturels et les pages spéciales sur le cinéma, publiés par les quotidiens nationaux, ainsi que les publications spécialisées dont le précurseur a été justement la revue créée par la FNCCM, “Etudes cinématographiques“. Puis en 1989, j’avais moi-meme créé et dirigé la revue culturelle “Vision Magazine“, avant que le secteur ne soit enrichi par d’autres publications cinématographiques.

LE DECLIN INELUCTABLE

Malheureusement, tout âge d’or est suivi par un déclin, voire une disparition. Ainsi va la vie. Dès le début des années 90, une régression progressive a fait reculer le mouvement des ciné-clubs, jusqu’à réduire leur nombre et celui de leurs adhérents à de petits groupes d’iniciés et intéressés par le domaine du cinéma et de l’audiovisuel en général. Les projections/débats hebdomadaires ont disparu, et les quelques ciné-clubs qui subsistent encore n’organisent plus que des manifestations ou des rencontres cinématographiques plus ou moins régulières.

Et pour ne pas être trop long, je vais clore cette chronique par une citation de Sege Daney : « Le cinéphile est celui qui sait que ce qu'il regarde est en train de disparaître ».

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