Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika - ''PADRE PADRONE'', LA NEFASTE MENTALITE QUI REDUIT UN FILS A UN SIMPLE ESCLAVE DE SON PERE

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« Padre padrone » est le genre de film qui rend le cinéma socialement et culturellement utile et lui garantit ses lettres de noblesse.

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Chronique ''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - CES MALEDICTIONS QUI  CONTINUENT A SAINGNER A BLANC LE CINEMA NATIONAL !

« Le cinéma est ma vie parce que sinon je serais seulement un fantôme et tous les rapports avec les autres se dissoudraient dans le brouillard ». Vittorio Taviani.

« On nous a demandé parfois pourquoi nous faisions du cinéma. La réponse est que nous pratiquons le cinéma comme un acte d'amour, pour aimer et être aimés par des personnes que nous ne connaissons pas et que peut être nous ne connaîtrons jamais. ». Paolo Taviani.

Adapté du roman autobiographique de Gavino Ledda, “Padre padrone : l’éducazione di un pastore“, ce film est bien représentatif de l’approche cinématographique des frères Taviani, basée sur le traitement des problèmes sociopolitiques de leur temps à travers le prisme de l’allégorie et de l’utopie qu’ils allient intelligemment dans leur mode de narration fortement attaché à la réalité vécue. La Palme d’or qu’un Jury présidé par Roberto Rossellini avait attribué à ce film au Festival de Cannes de 1977 donne une idée précise sur ce genre de cinéma qui, tout en se basant sur des réalités sociales avérées, va à l’essentiel avec froideur, sans fioritures ni manières.

Cette adaptation d’une œuvre autobiographique propose une vision crue, voire cruelle, du système patriarcal au Sud de l’Italie. Le synopsis peut être résumé comme suit : Dans la Sardaigne des années 1940, à l'âge de six ans, l’enfant Ledda Gavino est contraint, par son père, d'abandonner l'école pour s’occuper du troupeau du père. Il grandit ainsi dans l'isolement, au milieu des paysages de la Toscane, loin de toute vie humaine. C'est grâce au service militaire, à l'âge de 20 ans, qu'il a pu échapper à l'emprise et l’asservissement du père. Il apprend à lire. Il deviendra même linguiste. En quittant l'armée, il se révolte contre ce rapport d’esclavage et d’asservissement imposé par le père.

Ainsi, ce garçon que le père prédestinait à être berger, et qui a toujours été empêché par cette oppressante autorité paternelle de fuir la Sardaigne et se libérer, a fini, grâce à la découverte de la musique et de l’opportunité d’apprentissage de la lecture, de se libérer réellement et de se construire une personnalité propre et indépendante. L’esthétique de l’image, le choix des paysages, ainsi que la musique de ce film, expriment clairement le drame de ce jeune homme et justifient pleinement sa lutte contre cette tradition paternaliste d’un temps éculé. 

LA FROIDE DÉMARCHE D’ALLER À L'ESSENTIEL

Effectivement, ce film laisse l’impression nette d’une intelligente combinaison entre l’ensemble des éléments du puzzle qui le constitue : L’histoire qu’il raconte, ses personnages, les décors où ils évoluent, les mots et les regards qu’ils échangent ; ainsi que la musique qui les accompagne. Et l’agencement que les frères Taviani ont choisi ne diffère pas de leur démarche habituelle : aller à l’essentiel, sans fioritures accessoires. La construction dramatique est basée sur un choix minutieux de moments forts et expressifs du parcours tragique de l’enfant/berger malgré lui, lesdits moments étant poussés à l'extrême expression de leur vérité par une forte esthétique de l’image, du jeu des comédiens, de la musique et de l’ambiance qui les entoure.

Cette démarche esthétique est mise au service de la concrétisation de cette lutte acharnée entre le père/patron et son fils/esclave. Le choix est aussi clairement explicité comme lutte de mentalités, de générations, d’idées et de conceptions de vie, le tout étant intimement lié à la terre qui les abrite et qui est le lieu premier de l’ensemble des conditions de leur vie, que ce soit dans l’assujettissement et l’esclavage ou l’affranchissement et l’indépendance.

 ENTRE UTOPIE ET UNIVERSALITÉ

Les frères Taviani ont toujours été connus par leur manière particulière, traitant la réalité vécue en la transcendant d’une manière poétique. En ce sens qu’ils abordent leurs thèmes en poètes, pas en philosophes, comme ont constaté certains critiques. Leurs choix thématiques, comme celui de “Padre padrone“, sont toujours puisés dans les vécus socio-politiques universels, enrichis par l’allégorie, la symbolique sociale et l’utopie. Le critique Gérard Legrand est allé jusqu’à affirmer que « L’utopie est à la fois le ferment de leur œuvre, leur mode de narration et le rapport fondamental que leur cinéma entretient avec le monde réel » (« Paolo et Vittorio Taviani », Cahiers du cinéma, 1990). Mais cette utopie n’est pas tellement « utopique », si on peut l’exprimer ainsi. Elle puise certainement dans les légendes, les contes populaires et les vieux proverbes, mais demeure collée à des réalités universelles vécues dans un passé plus ou moins proche.

En tout cas, « Padre padrone » est le genre de film qui rend le cinéma socialement et culturellement utile et lui garantit ses lettres de noblesse.

Enfin, il faut signaler que les frères Taviani ont constitué le duo cinématographique le plus fidèle et le plus uni. Ils ont fait, ensemble, tous leurs films jusqu’au décès de l'aîné Vittorio, le 15 avril 2018. Personne n’a jamais pu savoir qui fait quoi parmi les deux. Lors de la présentation de “Padre padrone“ à Cannes, l’un d’eux avait répondu à la question de l’un des journalistes ainsi : « Nous sommes comme le café au lait... Impossible de dire où finit le café et où commence le lait ! »

FILMOGRAPHIE (LM)

« Un homme à bruler » (1962) ; « Les hors-la-loi du mariage » (1963) ; « Les subversifs » (1967) ; « Sous le signe du scorpion » (1969) ; « Saint Michel avait un coq » (1971) ; « Allonsanfan » (1974) ; « Padre padrone » (1977) ; « Allonsanfan » (1974) ; « Le Pré » (1979) ; « La nuit de San Lorenzo » (1982) ; « Kaos, contes siciliens» (1984) ; « Good Morning, Babilonia » (1987) ; « Le Soleil même la nuit » (1989) ; « Fiorile » (1992) ; « Les affinités électives » (1996) ; « Kaos II » (1998) ; « Le Mas des aouettes » (2007) ; « César doit mourir » (2012) ; « Contes italiens » (2015) ; « Une affaire personnelle » (2017).

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