''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika : Rapports Professionnels/Films

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Notre cinéma risque l’asphyxie à court terme si la politique actuelle, qui semble justement viser sa mort clinique, continue. Alors, donnons-lui solidairement de quoi respirer un air plus frais au lieu de l’enliser davantage par nos futiles polémiques et nos petits calculs personnels.

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Les débats entre professionnels du cinéma, ou plutôt les polémiques, car ils polémiquent plus qu’ils n’échangent et discutent, m’ont toujours rebuté ! A tel point que j’avais décidé d’éviter de discuter avec un collègue cinéaste à propos de son film, pour éviter tout quiproquo ou malentendu. 

Aujourd’hui j’ai envie de parler de ce blocage pour l’exorciser, car cela fait mal. La multiplication des échanges polémiques entre « professionnels de la profession » m’a interpellé et poussé à en parler.

Commençons par le commencement. En quoi consiste le rapport d’un «professionnel de la profession» à un film ? Pour moi, la chose est très simple : le rapport d’un cinéaste au film est assimilable au rapport d’un boulanger au pain, d’un technicien d’une chaîne de montage à une voiture ou d’un agriculteur à un légume/fruit. Le film étant la raison d’être principale du cinéaste, il doit, comme postulat de départ, le respecter, quel qu’il soit. Dès lors, pour un professionnel, dire que « je n’aime pas » ou « je déteste » tel film n’est pas important et n’a pas lieu d’être exprimé, du moins en public. C’est que le rapport d’un professionnel à un film est un rapport d’appréciation non de jugement, d’échange et de dialogue non de notation et de valorisation.

Personnellement, quand je vois un film d’un collègue réalisateur, ce qui m’intéresse c’est de relever les spécificités dudit film. Je le regarde attentivement tout en me posant des questions : pourquoi ce réalisateur choisit ses thèmes en référence directe ou indirecte à des situations, faits ou personnages réels ? Pourquoi opte-t-il pour ce style de découpage, ce type de cadrage, ce montage nerveux ? Pourquoi choisit-il de ne montrer ses personnages que dans des moments de perturbation, d’inquiétude et d’obsession jusqu’à la limite de la caricature ? Pourquoi ces dialogues brutaux et crus jusqu’à la limite de la vulgarité et de l’obscénité ?... Ces choix doivent donc avoir des raisons et répondre à des préoccupations esthétiques ou intellectuelles que je dois essayer d’interpréter et de comprendre. Et justement, c’est cela le cinéma : un mode d’expression avec une infinité d’écoles, de styles, de traitements thématiques, esthétiques et techniques…

Aussi, mon rapport à un film de tel réalisateur, comme à n’importe quel film de n’importe quel autre réalisateur, dépasse le niveau de consommation d’un produit anodin, à celui d’un échange indirect, à travers ce film, avec cet autre réalisateur ayant une vision, une conception et des choix cinématographiques différents des miens propres, et peut-être même à l’opposé des miens. Et justement la richesse de chaque cinéma national est dans sa diversité. Si nous nous mettons à faire tous le remake du même film, dans le même style, suivant la même esthétique, nous finirons par tuer notre cinéma. En plus, chaque film a nécessairement son public, qui lui a parfaitement la latitude et le droit de l’aimer plus au moins, ou de le détester carrément. Mais regarder un film, ne demeure-t-il pas un choix libre et personnel ?

Donc, j’estime que tout « professionnel de la profession », qu’il soit réalisateur/producteur, comédien/acteur, technicien…, a un devoir de respect, et peut-être aussi de défense, envers tout film marocain, en dehors du fait qu’il l’aime personnellement ou pas. Pour la simple raison qu’en dénigrant le film d’un autre on se dénigrerait soi-même, discréditant la profession et portant atteinte à tout le secteur.

Déjà notre cinéma fait face, depuis plus de dix ans, à des coups durs qui ont fini par l’asphyxier : une direction de tutelle qui a opté pour une gestion anti-démocratique du secteur, marginalisant et excluant les professionnels, instaurant une politique basée sur le copinage, le favoritisme et la corruption ; des télévisions nationales qui refusent de respecter les cahiers de charges qui instituent la participation à la production des films nationaux ; un parc national de salles de ciném de plus en plus réduit à une peau de chagrin et qui risque de disparaître complètement ; un secteur qui s’enlise davantage dans une crise structurelle paraissant de plus en plus sans issue alors que le ministère de tutelle est totalement absent, semblant vouloir délibérément laisser pourrir la situation, notamment en s’abstinant de lancer l’appel à candidature pour la nomination d’un nouveau directeur du Centre Cinématographique Marocain conformément à la réglementation en vigueur (la direction du CCM est en situation d’une perpétuelle reconduction provisoire d’un directeur intérimaire depuis plus d’une année !... La liste des déboires du cinéma national est bien longue. Et les polémiques stériles entre les “professionnels de la profession“ ne feront qu’aggraver la crise du secteur.

Bref, notre cinéma risque l’asphyxie à court terme si la politique actuelle, qui semble justement viser sa mort clinique, continue. Alors, donnons-lui solidairement de quoi respirer un air plus frais au lieu de l’enliser davantage par nos futiles polémiques et nos petits calculs personnels.

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