Echange critique et policé autour de l’Ambassadeur de Moulay Ismaïl à Louis XIV

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Kebir Ammi, écrivain, vient de publier un ouvrage consacré à l’ambassade, conduite par le corsaire Abdellah Ben Aïcha, dépêchée par le Roi Moulay Ismail auprès de Louis XIV, à l’origine d’une fantasmagorie qui a traversé les siècles pour faire escale dans ce roman « écrit à la manière de… ». Histoire, à n’en pas douter, qui continuera à prospérer au-delà des pages de l’auteur. Abdejlil Lahjomri, Secrétaire Perpétuel de l’Académie du Royaume, attentif à tout ce qui s’écrit y a posé un regard à la fois amical, amusé et critique qui a débouché sur une Lettre à mon ami Kebir publiée dans le Quid. La critique a donné lieu à un échange épistolaire dont la nature enrichit et éclaire l’ouvrage et le débat :  

Réponse à mon ami Abdejlil

Cher ami,

Je viens de lire ta lettre. Tu sais la considération que j’ai pour toi, je m’attendais à une lecture plus précise.

D’abord, je n’ai jamais écrit sur Thomas d’Aquin et je ne m’aventurerais jamais à parler de lui, ne sachant rien de ce qui se rapporte à cet homme. Il faudra que tu me lises plus attentivement, dans l’avenir, pour ne plus me faire dire ce que je ne dis pas.

Ensuite, je n’ai pas eu la tentation d’écrire la biographie de Ben Aïcha, mais un roman. Ce qui n’est pas la même chose. J’essaie d’interroger l’imaginaire, les symboles et les signes. Le roman est pour moi, au-delà de l’histoire qu’il raconte, un outil pour démêler le réel. Tu as voulu voir ou trouver dans mon livre ce qui n’y était pas. Libre à toi !

Je reconnais cependant que ta liberté de critiquer est sacrée- je ne pourrais te tenir grief de l’exercer- tout comme est sacrée la liberté de créer. L’art en général, et la littérature en particulier, sont à ce prix. Il ne faut pas se froisser de ce que peut avancer un romancier. Il n’a que le souci d’explorer. L’art du roman lui offre l’insigne pouvoir de passer au crible tous les possibles, sans exclusive.

Enfin, j’espère qu’il ne reste pas qu’un seul « vrai roman » de Ben Aicha à écrire mais que ce personnage suscitera de nombreux romans, qui privilégieront d’autres approches, pour le plus grand bonheur de notre littérature.

Avec ma considération renouvelée, et mon profond respect.
Ton ami,

Réponse à mon ami Kebir

Cher Kebir

Pourquoi ai-je commis cette désolante erreur en parlant de Saint Thomas au lieu de parler de St Augustin ?  Par manque de précision comme tu le suggères si élégamment ou simplement parce que, plongé dans des lectures à connotation ‘ religieuse’, j’ai manqué de présence d’esprit et porté tort à un ami que je lis toujours avec plaisir et un intérêt toujours renouvelé.

                                  En évoquant ce personnage de l’histoire de la chrétienté, je voulais en réalité évoquer cette rencontre à la Bibliothèque Nationale où a été scellée notre amitié au cours d’un débat serein à propos de St Augustin. Ton amitié me pardonnera ce lapsus qui vient par ce nouveau malentendu consolider mon admiration pour ton œuvre. 

                                   Elle me pardonnera aussi l’irritation que je t’ai causée, par mes réflexes de critique souvent pressé mais exigent avec ceux qu’il apprécie et dont il recommande la lecture tant leur itinéraire est original et enrichissant.

                                   Mais ce critique est aussi un admirateur du Corsaire - Ambassadeur Ben Aicha, un chercheur qui a eu la malencontreuse idée de s’intéresser à son Ambassade auprès de Louis XIV, et à cette ‘supposée’ demande en mariage qui a suscité une production poétique qui a véhiculé une lamentable image de son pays, une représentation négative que la conscience collective française, voire européenne, va entretenir et faire perdurer jusqu’à nos jours.

          Cher ami, 

‘Il ne faut pas se froisser de ce que peut avancer un romancier’ écris tu. Et tu as mille fois raison. Mais peux-tu me dire quelle représentation   de Ben Aicha de jeunes esprits, à qui on n’a pas appris à opérer une distance entre le réel et l’imaginaire du créateur, vont il garder du portrait si admirablement exécuté par ta plume si alerte ?     

         Mille fois raison aussi quand tu affirmes que ‘ le roman est (pour toi) au-delà de l’histoire qu’il raconte un outil pour démêler le réel ‘ Mais de quel réel s’agit- il ici ?  De celui du corsaire Ben Aicha , de l’Ambassadeur de Moulay Ismael auprès de Louis XIV, de l’histoire de France , de l’Histoire du Maroc , ou de l’histoire des relations de ces deux nations  dans l’univers tumultueux de cette époque ?

       Nous démêlerons tout cela lors de notre prochaine rencontre, si ton amitié le veut encore.

                  Bien à toi  

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