HOMMAGE DU FNF A NOUREDDINE SAIL : ENFIN UNE RECONNAISSANCE DIGNE DE L’ARTISTE – PAR DRISS CHOUIKA

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Le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid remettant à la veuve de Nour-eddine Sail un trophée symbolique à la mémoire de cette ‘’personnalité unique’’, comme l’a qualifié le Roi Mohammed VI dans son message de condoléances à la famille de celui qui nous a quittés dans une nuit qui ne pouvait être que froide du 15 au 16 décembre 2020

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« Si vous ne créez pas des images sur et de vous, d’autres s’en chargeront, selon leur vision et intérêts propres ». Noureddine Sail.

Lorsque Je suis allé à Rabat rencontrer Noureddine Sail pour la première fois, un certain jour d’octobre 1977, dans le cadre de la préparation de la création du ciné-club Cinéma Nouveau à Casablanca–Ain Sebaa, j’étais encore bien loin d’imaginer que cet homme allait changer ma perception du cinéma, et de la culture en général, et m’inoculer définitivement le virus de la cinéphilie. Le verbe subtile, l’expression hautement didactique, l’analyse convaincante, la tournure linguistique séduisante, il allait me transformer pendant de longues années en cheville ouvrière infatigable de la Fédération Nationale des Ciné-Clubs du Maroc.

Le changement inattendu de l’esprit du Festival du Cinéma Africain de Khouribga qu’il avait créé en 1977, couronné par le bizarre hommage que la nouvelle direction du festival avait rendu à son créateur lors de sa dernière édition, avait été un choc pour moi, comme pour beaucoup de ses fidèles amis et compagnons, ainsi que pour sa famille. Ma colère contnue  j’avais fini par bien l‘exprimer dans l’une des de mes chroniques “Cinéma mon amour“ (sur www.quid.ma). 

Fort heureusement, la cérémonie d’ouverture de la 22ème édition du FNF a corrigé la monumentale faute de Khouribga en rendant un hommage vibrant et émouvant au plus dynamique directeur du CCM, rendant son image à ses véritables dimensions, reconnaissant la vraie stature de ce “Petit Grand Homme“ qui a su mettre l’industrie cinématographique nationale sur de bons rails, que Sa Majesté Mohammed VI a qualifié de “personnalité unique“. 

D’avoir dédié l’ensemble de cette 22ème édition à la mémoire de ce pionnier de la cinéphilie et de la culture cinématographique au Maroc, en Afrique et dans le monde Arabe, a grandemment contribué à parfaire cette honorable reconnaissance.

Aussi, quand notre ami commun Naïm Kamal m’a suggéré de consacrer un article à cet hommage rendu à N. Sail, j’ai tout de suite adhéré à l’idée. Après mûre réflexion, j’ai estimé que la meilleure façon de rendre compte de cet hommage, est de combiner à mes propres souvenirs de mon ami et maître, des extraits des deux témoignages éloquents, ceux du réalisateur Kamal Kamal et Mme Nadia Larguet-Sail, prononcés lors de cette cérémonie.

Nous nous accordons tous pour affrmer que N. Sail est un homme exceptionnel, sur tous les plans, humain, cognitif, professionnel et managérial. Il n’y a que les expressions qui diffèrent.

De la fin des années 70 au début des années 2000, période au cours de laquelle j’ai côtoyé et appris à connaitre plus profondément cet homme, il a eu, excusez du peu, les mérites suivants : 

- Création de la Fédération Nationale des Ciné-Clubs du Maroc en 1973, qui a atteint en 1982/83, 82 ciné-clubs répartis sur l’ensemble des villes du Royaume, regroupant plus de 45.000 adhérents.

- Conception et présentation des premières émissions Radio et TV sur le cinéma à partir de 1974.

- Création en 1973 de la première publication sur le cinéma, Sigma 3, puis le premier supplément cinéma sur un quotidien national, puis la revue Etudes Cinématographiques en 1984.

- Initiation de la production de fictions télévisuelles sur TVM, la 1ère télévision nationale, à partir de 1984, avant d’instituer la production de téléfilms, séries et téléfeulletons par 2M à partir de 2000, amenant dans cet élan la chaîne à diffuser 24/24 h.

- Création du Festival du Cinéma Africain de Khouribga en 1977, avant de contribuer à la création du Festival National du Film en 1982.

- Ecriture de l’unique roman lipogrammatique marocain (ne contenant pas la lettre a) “L’ombre du chroniqueur“, en hommage au maître du genre l’écrivain Georges Perec.

- Développement de la production cinématographique nationale qui a atteint le chiffre record de la production annuelle de plus de 20 longs métrages et plus de 60 courts métrages en 2013.

- Développement de la coopération cinématographique avec les pays africains, notamment par la participation du CCM en offrant les services de post-production de son laboratoire.

- Il a reçu Les Palmes académiques de la France, l’Ordre du Mérite Civil de l’Espagne et l’Ordre National du Burkina Faso.

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Mon collègue et ami Kamal Kamal a dit, notamment, dans son témoignage : « Il est toujours difficile de parler de cet homme qui n'avait pas d'âge précis et qui avait cette faculté magique de vous faire dialoguer avec Platon, débattre avec Aristote, discuter avec Heidegger et consoler Ibn Rochd dans sa détresse… Noureddine était une véritable incarnation du sens de la lumière et des joies de la vie. La vraie vie révélatrice de l'amour, qu'il a toujours cherché à cultiver dans nos champs culturels, dans les différents postes qu'il a occupés, ou des fonctions qu'il a assumées… Le défunt abhorrait toute forme d'éloge ou de flatterie envers sa personne, en raison de sa croyance en ses responsabilités et ses devoirs envers lui-même avant tout... J'ai été témoin de nombreux services rendus à de nombreuses personnes qui n'ont jamais su qu'il était à l'origine de leur réalisation, et c'est l'une des raisons de ma grande admiration pour sa personne généreuse ».

Quant à Nadia Larguet-Sail elle nous éclaire sur les qualités particulières de cet homme exceptionnel, en précisant notamment : « Rendre hommage à quelqu'un qui n'aimait pas les récompenses n'est déjà pas simple. Mais rendre hommage a un ancien footballeur, professeur de philosophie qui avait réussi l'exploit de diffuser la Champions League sur 2M, cela complique sérieusement les choses… Alors comment parler de l'homme qui était en avance sur son temps, que toute l'Afrique surnommait « Papa Africa » ! Un grand amoureux du CONTINENT bien avant l'heure, capable d'imposer un « Pavillon du Maroc » à Cannes en se battant avec les Finances… Passer un moment avec N. Sail c'était de la haute voltige. Il était capable de citer Wittgenstein, Spinoza, Nietzche…, tout en décrochant son téléphone pour répondre a un excité zélé lui reprochant de ne pas censurer les films !...  N. Sail, c’était la loyauté, la droiture, l'humilité et la fidélité. C'est l'homme qui dégainait son téléphone plus vite que son ombre pour faire venir ici à Tanger comme président du jury un Samir Farid, un Edgar Morin, un Timité Bassori ou un Jacques Dorfmann…, personne ne lui résistait !  Et c'est a Tanger, ville d'ouverture qui regarde le monde, que ce festival deviendra grâce a lui annuel… Alors ce soir avant que le rideau ne se lève je ne crains pas de dire à celui qui n'a jamais rien attendu de personne et qui a travaillé toute sa vie sans compter ses heures que 2M et le CCM ont perdu de leurs superbes et que le festival de Khouribga est fade sans lui. Il y aura bien un Avant et un Après N. Sail ».

Nadia Larget a conclu son témoignage poignant en disant : « Cher Noureddine, vous manquez à vos fidèles amis, mais luxe suprême, à vos fidèles ennemis aussi. Vous manquez à toute la famille LARGUET et SAIL, ici présentes, mais surtout à vos enfants, vos trois garçons Najib, Morad et Suleiman-Alexandre. A moi qui ai passé 20 ans avec toi, tu ne me manques pas car tu es toujours dans mon cœur et dans mon esprit. Et, une légende, on le sait, ne meurt jamais ».

Voilà. « Et que le cinéma national continue son beau “Grand Voyage“ » (Allusion au film de Mohammed-Abderrahman Tazi projeté lors de l’ouverture du festival, précédé du court métrage du même réalisateur "Voleur d’images“ ».

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