chroniques
L'APPORT SCIENTIFIQUE ARABE : Un livre de Salah Ould Moulaye Ahmed
Ce livre n'est pas un simple catalogue. Ainsi, tant dans l'introduction que dans la conclusion, sont évoquées des questions majeures, notamment au chapitre de la théorie de la connaissance : les causes de l'émergence arabe, son rayonnement, son déclin.
Il faut revenir sur la nouvelle édition de ce livre de Salah Ould Moulaye Ahmed aux éditions UNESCO : "L'apport scientifique arabe à travers les grandes figures de l'époque classique". Docteur en physique, spécialiste de l'histoire des sciences, son travail, ici, décrit, raconte et met en perspective. Un récit, à travers les siècles d'une activité scientifique qui a été féconde et qui s'est développée dans l'aire culturelle arabo-musulmane, entre les VIIIe et XIVe siècles.
Lors de cette longue séquence historique, l'arabe a émergé et s'est affirmé comme une langue scientifique de communication ; l'environnement culturel a sans doute favorisé cette évolution ; le mécénat généralisé aussi ; des institutions scientifiques ont été créées ; et les savants avaient alors de grandes possibilités de circulation dans cet immense espace et, partant, d'accéder aux centres du pouvoir.
Dans cet ouvrage, une esquisse bibliographique aide à faire connaissance avec des scientifiques arabes - les plus éminents d'entre eux. Leur formation, leur parcours, leur œuvre, le contexte de leur production : voilà, entre autres, la méthodologie retenue. A ajouter encore qu'ont été surtout étudiés les savants relevant de ce que l'on pourrait appeler le paradigme des sciences rationnelles, ceux dont l'influence sur la pensée occidentale médiévale a été la plus importante (Al-Khawarizmi, Al-Battàni, Al-Farabi, Abu al-Qasim al Zahraoui, Ibn Sina, Abu al-Walid ibn Rushd, ….). D'autres noms, prestigieux, ont été inclus tels le théologien Al-Ghazali et l'historien Ibn Khaldoun. Mais ce livre n'est pas un simple catalogue. Ainsi, tant dans l'introduction que dans la conclusion, sont évoquées des questions majeures, notamment au chapitre de la théorie de la connaissance : les causes de l'émergence arabe, son rayonnement, son déclin.
PAS DE CHOCS DE CIVILISATION
Preuve que des origines à l' essor des sciences arabes, de l'épopée à la transmission des savoirs et des savoir-faire antiques, puis de celle des sciences et des techniques arabo-islamiques à l'Europe occidentale, tant de rencontres et d'échanges : mais pas de heurts ni de chocs de civilisations ! Naissent alors et se développent les sciences, de 1'Egypte ancienne, de Mésopotamie, de la civilisation grecque, de la Chine, de la vallée de l'Indus et d'ailleurs. Des centres de rayonnement intellectuel témoignent de cet acquis civilisationnel - Le Caire, Kairouan, Cordoue, Fès, Séville, Grenade,... Un grand moment dans l'histoire des sciences ; une histoire de dialogue entre les cultures, entre savants et traducteurs de différentes origine linguistiques, ethniques et religieuses.
C’est avec les Abbassides que l'essor scientifique et intellectuel va atteindre son apogée. A Baghdâd, nommée aussi " la cité de la paix", le calife Al- Mansour encourage et accueille d'éminents spécialistes de l'astronomie, de l'astrologie, de la médecine et des mathématiques. Son successeur, Haroun al Rachid, fonde la première bibliothèque, Khazaanat al-Hikma. Puis, vers 830/215 H Al-Mamoun crée, lui, Bayt al-Hikma (Maison de la Sagesse) - un établissement qui sera au départ centré sur la traduction en arabe d'ouvrages anciens et de manuscrits grecs et qui allait devenir ensuite la plus grande bibliothèque du monde. C'est là une véritable académie des sciences qui est également mise sur pied (traduction, cours, débats et deux observatoires).
Un siècle plus tard, avec les Fatimides, voilà Dar al-Hikma qui se délocalise aussi, pourrait-on dire, au Caire. Les savants sont encouragés ; ils enseignent au palais, et à la mosquée d'Al-Azhar qui devient une célèbre université, la première du monde, suivie par celle de Qarawinine à Fès, puis par les mosquées de Zaytouna de Kairouan en Tunisie. De même les observatoires établis à Baghdâd, puis à Damas, à Istanbul et ailleurs se développent en grands centres de recherche et de formation; les instruments et les observations sont affinées; les connaissances théoriques aussi, notamment en astronomie et en mathématiques.
RAISON ET REVELATION, SCIENCE ET FOI…
Des centaines de noms et d'œuvres sont citées dans tous les domaines du savoir. L'apport arabe de l'époque classique fut riche et multiforme ; il a été un vecteur important dans l'élaboration de la science universelle ; il a aussi contribué à la conception et à l'organisation de l'activité humaine tournée vers les études et la recherche. C'est l «'âge d'or» de la pensée arabe. Sur plusieurs siècles : un apport scientifique et technique enrichissant pour le progrès humain. Un esprit de tolérance et d'ouverture enfin, dans la recherche, l'assimilation et la diffusion du savoir - la civilisation de l'universel. Il y avait un équilibre entre le spirituel et le quantitatif, entre la finalité et la causalité. A son apogée, la civilisation arabo-islamique réussit une articulation harmonieuse entre raison et révélation, donc science et foi. L'absence d'un magistère ou d'une institution officielle, commentant de façon orthodoxe le Coran et la Tradition prophétique, a permis l'interprétation du donné religieux et l’expression de différentes doctrines théologiques et philosophiques. Une politique éclairée en matière de développement culturel et scientifique ainsi contribué largement à l'éclosion et l'épanouissement du monde arabo- musulman. C'était là la rançon de la liberté de discussion conjuguée avec l'esprit critique. Un magnifique élan intellectuel et scientifique qui a marqué la dynastie des Abbassides s'est arrêté au XVes. / IXe H.
SCIENCE ET TECHNOLOGIE, SANS PERDRE SON ÀME
Sur les causes du déclin qui a suivi, les interrogations et les interprétations ne manquent pas. La civilisation arabo-islamique est ainsi passée d'une situation dominante et active à un état léthargique et décadent. Ce n'est pas l'islam qui est en cause : il a été dès le départ un stimulant à la recherche de la connaissance plutôt qu'un facteur de stagnation ou de régression - de quoi faire justice de certains préjugés...Ce qu'il faut relever plutôt c'est la conjonction de plusieurs facteurs : le manque d'innovation et de création, une absence de vision, l'arrêt des activités de recherche et l'impact sur l'enseignement scientifique. Avec les invasions d'Asie centrale et surtout celles des Mongols- avec la conquête de Baghdâd et la fin du califat abbasside (1258/656 H.), la catastrophe a été majeure, ébranlant l'ordre précédent et bouleversant l'édifice intellectuel. Si bien que dès le XIVème siècle, s'est amorcé le déclin de la pensée arabe tandis que s'affirmait progressivement la vitalité de l'Occident.
Des contours d'une politique nouvelle et volontariste de développement scientifique et technologique marquent la période contemporaine. Il reste à définir et à mettre en œuvre une stratégie novatrice. La civilisation arabo-islamique est toujours vivante avec de grandes potentialités. La richesse de son passé. Sa profonde unité ainsi que ses multiples facettes modelées par des siècles durant par des dizaines de peuples arabes et musulmans. Une prise en charge des conquêtes de la science et de la technologie est à l'ordre du jour, mais sans perdre son âme...