Culture
L’oralité, un registre privilégié d’interlocution ou un paravent pour l’Afrique ?, du 1er au 3 mars à l’Académie du Royaume
La conteuse marocaine Halima Hamdane à Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
L’Académie du Royaume du Maroc organise du 1er au 3 mars à Rabat, un colloque international intitulé « L’oralité, un registre privilégié d’interlocution ou un paravent pour l’Afrique ? ». L'ouverture solennelle de cette rencontre aura lieu le mercredi 1er mars à 17h et sera marquée par une allocution de M. le Secrétaire perpétuel et en présence du romancier cinéaste Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008 et de personnalités africaines du monde de la littérature et des arts. Le colloque qui s’inscrit dans le cadre des activités de la Chaire des Littératures et des Arts africains, se propose d’explorer les richesses intellectuelles africaines en mettant l’accent sur les littératures orales. Après l’invention des écritures, et la réactualisation de pans méconnus du patrimoine intellectuel africain, l’Académie du Royaume du Maroc organise ce colloque afin de souligner l’extrême richesse, mais aussi les paradoxes et les écueils de l’art oratoire africain. Un riche programme que le lecteur trouvera à la fin de ce texte. Le colloque rendra également, à l’occasion de la commémoration du centenaire de sa naissance, un hommage à l’écrivain-cinéaste Sembène Ousmane (1er janvier 1923 à Ziguinchor - 9 juin 2007 à Dakar).
Du 18 au 20 janvier 2023 s’est tenu à l’Académie du Royaume du Maroc un colloque international qui a examiné la place réservée en Afrique à l’art scriptural considéré comme le stade avancé de la noblesse des esprits. Le sultan des Bamoun, Muhammad-Nabil Mforifoum Mbombo Njoya, a pris part à ces journées de réflexion ainsi que des personnalités de renom du monde universitaire, artistique africain et afro-descendant.
La place de l’écrit au cœur de l’histoire des savoirs en Afrique se manifeste dès lors que devient visible cette trace scripturale, souvent occultée, qui «parle une langue qu’on n’entend pas», pour reprendre l’heureuse trouvaille du sultan polygraphe Ibrahim Njoya (1876-1933). Lors de ce colloque, les hiéroglyphes, le tifinagh, l’a ka u ku u, le n’ko et le syllabaire des langues bété créé par le plasticien et conteur Frédéric Bruly Bouabré en 1956 ont été mis en lumière.
A travers eux, c’est l’inventivité peu connue et les outils issus de l’ingéniosité et de l’atelier africains qui ont été célébrés. Les nombreuses communications ont notamment analysé l’impact et les enjeux des écritures et des langues prises comme des vecteurs de la nomination et de la mémoire. Écriture, oralité et territoires scandant ainsi un florilège des savoirs africains. Dans un continent où l’on parle la moitié des langues mondiales, la traduction dans les langues africaines se révèle être une passerelle indispensable, car permettant à la diversité linguistique de fonctionner comme aux langues et aux idées de circuler. Elle pourrait bien postuler au rang d’instrument capital de toute diplomatie culturelle ayant pour but la compréhension mutuelle et l’harmonie des peuples grâce à la diffusion la plus large possible des connaissances et des conversations intra-africaines.
Poursuivant l’exploration des richesses intellectuelles africaines, le colloque international, «L’oralité, un registre privilégié d’interlocution ou un paravent pour l’Afrique ?» se tient du 1er au 3 mars 2023 à l’Académie du Royaume du Maroc et met l’accent sur les littératures orales. Ce patrimoine transmis par la seule force de la mémoire vocale renvoie aux contes, aux chants, aux joutes, aux devinettes, aux sons, aux mythes, aux proverbes, aux légendes, aux épopées, aux fables, aux « kabary malagasy », bref à un ensemble de «récits de fiction semi-fixés, anonymes, transmis oralement, variables dans leur forme mais pas dans leurs fonds». Entre approche ontologique, liée à la genèse de l’être, et artéfact, élaboration et construction humaine, la parole qui se déploie à travers un récit n’est-elle pas la chose du monde la plus partagée ? Pourquoi dès lors les représentations sur l’Afrique ont-elles davantage mis en avant l’oral, le griot, le chaman, l’oracle, le diseur comme l’emblème le plus éloquent – voir l’unique– de ce continent et de ses habitants ? Faut-il inverser cette tendance qui à force d’insistance revêt désormais des allures de cliché et apparaît comme un réductionnisme de la réalité pour masquer d’autres aspects du génie protéiforme africain? Certains penseurs, comme Marcel Griaule, Valentin-Yves Mudimbe, Ibn Khaldoun, Joseph Ki-Zerbo ou Massa Makan Diabaté, considèrent l’universalité du dire et l’africanité du modèle de transmission de la connaissance par l’art oral comme une puissance de la proximité et de la générosité. L’objectif de ce colloque international est d’examiner cette puissance, ses avantages et ses limites.
Les participant.e.s pourront illustrer les diverses variations de cette poétique narrative particulière, aérienne mais aussi actionnée en sous-sol par l’ultra-vocal, selon l’expression de l’écrivain haïtien Frankétienne. Ils/elles pourront également interroger les voies par lesquelles ces littératures orales ont fécondé d’autres arts et de multiples rythmes à travers le monde et les époques, comme le blues, le rap ou le slam. La polyphonie orale africaine offre aux créateurs un terrain fertile et déjà labouré pour tisser les sons, les tons et les histoires afin de raconter leurs univers. Cette universalité de l’art oral africain sera l’autre enjeu des journées de réflexion consacrées à l’oralité en terre africaine et aux correspondances qu’elle entretient avec d’autres territoires comme ne manquera pas de le souligner Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008.
De nombreux colloques ont eu lieu et se tiendront encore sur l’oralité, l’orature, ou l’oraliture mais peu mobiliseront la grande histoire et le plus petit des contes au moyen de l’ascèse pluriartistique et l’anamnèse (au sens grec de rappel à la mémoire) pour explorer en un lieu et en même temps les philosophies et les aspirations africaines soutenues par la parole. La palabre, érigée en instance juridictionnelle, devient même un mécanisme de sauvegarde et de supra régulation en temps de crise et dans le cas de grands traumas.
Durant ce colloque international organisé par la Chaire des littératures de l’Académie du Royaume du Maroc, la palabre sera auscultée sous divers angles : instrument essentiel de la réflexion académique par des universitaires, offre de re-création par des écrivains, possibilité de projection des imaginaires sur la toile des artistes, outil de translation au service du spectacle vivant à travers le conte et la réactualisation d’un mythe essentiel scénarisé par le mvett. Ce dernier met en poème et en prose le fondement de l’humanisme fang-beti que résume le combat perpétuel entre les mortels et les immortels. Ce colloque, au format original, entend replacer au centre des marqueurs culturels la gnose africaine, ses variables épistémologiques, la faculté d’articuler agir communicationnel, mémoire, discours oral et transition du mode conversationnel et interpersonnel vers le tissage de liens toujours plus denses entre les maîtres de la parole - ces Socrates africains– et les historiens pleinement installés comme diseurs et transmetteurs de mémoire. La collecte de cette dernière comme sa transmission appartenait aux castes affectées à la préservation du passé.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment se combinent la parole de proximité, cet art de vivre africain séculaire, et les modes de communication planétaire actuels ? Quels messagers portent encore la parole de surplomb et de riposte ? Comment les dires subsahariens et ceux arabo-amazighs et sémites peuvent-ils mieux se connaitre et dialoguer ? Les narrations orales proposent-elles encore une continuité historique ou s’inscrivent-elles désormais dans une discontinuité paradoxale au regard des évolutions technologiques et des nouveaux réseaux de communication ? Autrement dit, le tambour médiatique africain subit-il les événements en rupture avec les temps des baobabs, des cases à palabres, des potomitans, des togouna et des places Jema’a El Fna où les maîtres du récit et de l’éloquence captivaient les attentions pour interrompre la course du temps social et instruire les débats fondamentaux ?
L’exploration des arts oratoires et des espaces d’interlocution en Afrique et dans les aires diasporiques interrogera essentiellement les fonctions de ces modes de communication et verra s’ils conservent leur force d’attraction. Des contributions examineront les aspects de cette oralité qui masquent son incapacité à produire non point un agir communicationnel au sens habermassien du terme, mais un bloc discursif capitalisant les héritages africains de manière à réaliser, à l’échelle continentale, un antidote à la «Googlelisation» des esprits. Il manque en effet un lieu porteur d’un nouveau discours sur l’Afrique, une sorte de parlement des liens horizontaux et dont les organes délibérants seront les institutions de la parole et de l’écrit. Sans prétendre à l’exhaustivité, ces interrogations serviront d’orientation aux participants à ce colloque pour ouvrir des pistes de réflexion sur cette vaste étendue de la parole, de la créativité et de la mémoire africaine.
Après l’invention des écritures, et la réactualisation de pans méconnus du patrimoine intellectuel africain, l’Académie du Royaume du Maroc organise ce colloque afin de souligner l’extrême richesse, mais aussi les paradoxes et les écueils de l’art oratoire africain. Les univers cosmogoniques fang, dogon, peul, arabe, amazighe, malinké ou bamiléké, la poésie pastorale et la tradition bashingantahe du Burundi, la virtuosité des jeux de mots issus des « kabary malagasy » de Madagascar, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, sont autant d’exemples de l’excellence qu’exprime ce monde oral, un levier très peu exploité pour promouvoir les apports universels de l’Afrique et de ses diasporas. Donner du contenu et du relief aux nouveaux régimes du soft ou du smart power8 suggère de ne pas procéder au seul registre d’interlocution oral, mais de recourir à une synthèse de celui-ci en connexion étroite, simultanée ou différée, avec les acquis de l’écriture. La coopération des forces, la dynamique cumulative de l’imposant patrimoine matériel et immatériel africain, pour une meilleure connaissance des atouts et atours de ce patrimoine, feront de ce colloque international à l’Académie du Royaume du Maroc un moment fort pour une Afrique unie et rayonnante grâce à la production d’une pensée autonome, maîtrisée et apaisée.
PROGRAMME
MERCREDI 1 E R MARS 2023
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE
Président de séance : Pr Eugène Ebodé Chaire des littératures et des arts africains, Académie du Royaume du Maroc
17h00 : Allocution de bienvenue de Monsieur le Secrétaire perpétuel, M. Abdeljalil Lahjomri
17h20 : Dr Hadja Maïmouna Niang Sénégal Sembéne, le dire d’ébène L’esthétique du « vouloir écrire et raconter africain »
18h00 : Dr Atiq Rahimi (Prix Goncourt 2008 pour Syngué sabour. Pierre de patience), Afghanistan A partir de la poésie des femmes afghanes…
18h30 : Moadzang Eya, Gabon Le sonneur cosmogonique (Face A) : Qui sommes-nous ?
19h20 : Fin de la séance d’ouverture
JEUDI 2 MARS 2023
L’IMMORTALITÉ EST UN PAS TRAÇANT ET RETRAÇANT
Président de séance : Pr Abderrahmane Tenkoul, Doyen de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’université Euro-méditerranéenne de Fès.
ÉTHIQUE ET PANACHE EN AFRIQUE : ALLÉGORIE DU COMBAT DES MORTELS CONTRE LES IMMORTELS
9h30 : Dr Angèle Ondo, Gabon Le Mvett menacé de disparition 10h00 Dr Mathurin Ovono Ebe, Université Omar Bongo, Gabon Le Mvët de l’oralité à l’oraliture pour d’autres horizons d’attente : cas d’Éyi Ncogo Moan Ndong de Guinée Équatoriale
10h30 : François Bingono, Université de Yaoundé, Cameroun Émo milañ et Bekôn. Les mondes visible et invisible : approche anthropologique des interrelations selon le Mvet
11h00 Pause
CHANTS ET CONTRECHAMP
11h15 : Pr Najima Thay Thay Rhozali, Maroc, La transmission du Conte au Maroc : Pratiques ancestrales et perspectives
11h45 : Pr Abdelhaï Sadiq, Université Cadi Ayyad Marrakech, Maroc, De l’afro-marocanité du chant ghiwanien
12h15 Débats
15h00 : Dr Hamisi Babusa, Kenyatta University of Kenya A historical study of the evolution of kufunga nyama or freestyle verse challenge in kiswahili poetry in east africa
15h30 : Pierre Amrouche, France, Ma grand-mère Fadhma
16h00 : Nfana Kaba Diakité, Mali Les maîtres de la parole repris et reconfigurés par Massa Makan Diabaté
16h30 : Halima Hamdane, Maroc, Paroles de conteuse
17h00 : Moadzang Eya, Gabon, L’homme véritable (Face B)
VENDREDI 3 MARS 2023
LA RÉCITATION COMME UNE CONQUÊTE ET UNE RECONQUÊTE DE SOI
Président de séance : Pr Mohammed Essaouri, Professeur de l’Enseignement Supérieur
9h30 : Bernadette Dao, Burkina Faso, Des paraboles métaphoriques aux paraboles technologiques, quelle plateforme pour l’Afrique ?
10h10 : Khady Cheikhna, Mauritanie, Revaloriser et promouvoir notre art oratoire ancestral... Comment ? Pourquoi et quels défis ?
10h45 Jean-Luc : Raharimanana, Madagascar Le hainteny, ou la persistance de la sagesse
11h30 Pause
15h : Pr Mamadou Kalidou Ba, Mauritanie, Construction du monde et du rapport à l’absolu à travers les traditions orales peules rapportées par Amadou Hampâté Ba
15h30 : Pr Juvénal Ngorwanubusa, Université du Burundi Entre le Silatigi peul et le Mushingantahe burundais : une similitude frappante
16h00 : Abderrahmana Ouardane, Maroc, La toile à quatre mains 1
16h40 : Raharimanana et Ravao racontent Madagascar Spectacle de clôture
17h30 : Fin du Colloque