Nobel de la Littérature 2022, les identitaires n’en reviennent pas – Par Driss Ajbali

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Annie Ernaux, si son Nobel est largement bien salué par les Français, ce n’est surtout pas le cas chez les identitaires

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Qu’Annie Ernaux décroche l’un des plus prestigieux prix Nobel, celui de la littérature, confirme la place de la France à la tête du peloton des lauréats de ce prix quand il déifie les belles lettres. Annie Ernaux, seule femme, depuis André Sully-Prudhomme en 1901 premier Nobel de littérature français. Elle rejoint ainsi des noms prestigieux dont Anatole France, André Gide, François Mauriac, Albert Camus ou Jean-Paul Sartre.

Et si ce prix est largement bien salué par les Français, ce n’est surtout pas le cas chez les identitaires qui, comme chacun le sait, ont le vent en poupe ces dernières années avec leurs sites, dans la francosphère ; leurs revues comme Valeurs actuelles, Causeur ou l’Incorrect et même, depuis peu, qu’ils ont leur télévision attitrée avec CNEWS. Cette chaine agglomère tout ce que le ban et l’arrière ban des réactionnaires comptent comme verbeux. Elle les réunit tous, toute la journée et tous les soirs sous la houlette d’un Pascal Praud dont l’hilarité dissimule mal la perversité ou derrière une Kristine Kelly, cette caution noire et ténébreuse de l’extrême-droitisation du débat politique. Tous ces intellectuels d’arrière-garde, aujourd’hui à l’avant-garde du débat identitaire, tablaient sur une victoire de Michel Houellebecq de Soumission. Pour eux la victoire Annie Ernaux suspend, pour un instant, le bonheur que leur avait prodigué les victoires de l’extrême droite en Suède ou en Italie. A en juger le visage d’Elizabeth Levy, dans une émission diffusée le soir même de l’annonce du prix, cette fourragère des ondes, avec un visage tordu par le dépit, laissait transparaître un mélange de dégrisement et de rancœur. Dans la cohue, elle laissé échapper le nom de Richard Millet comme l’un des péchés d’Annie Ernaux.

De l’année 2012, on gardera que le terroriste Mohamed Merah, sinistrose de la mémoire, avait de manière apocalyptique préempté le mois de mars. François Hollande, avec sa victoire sur Sarkozy, s’était accaparé le mois de mai. De la Norvège, les échos du procès du tueur norvégien Andres Breivik, parvenaient par bribes. Il sera condamné le 22 d’août à 21 ans de prison. Richard Millet, corrézien et ancien phalangiste au Liban, publiera cet été trois petits livres : Intérieur avec deux femmes, Langue fantôme et De l’antiracisme comme terreur littéraire. A Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, il agrafera un essai de 18 pages, sous un titre supposé ironique Éloge littéraire d’Anders Breivik ». [Ce dernier est un terroriste norvégien d'extrême droite qui a perpétré les attentats d'Oslo et d’Utøya faisant 77 morts et 151 blessés le 22 juillet 2011 NDLR]

Avec une excessive propension pour l’esthétisme littéraire, Millet procèdera, dans ces pages,  à un indigne encensement du monstre norvégien considérant son acte comme l’expression « de l’instinct de survie civilisationnel » ainsi qu’une dénonciation de « l’islamisation de l’Europe » à travers «… une immigration extra européenne, le plus souvent musulmane, qui entretient une intimidation victimiste, voire une peur quotidienne, donc le ferment d’une guerre civile, en même temps que l’illusion oxymorique d’un « islamisme modéré ». Il finira par absoudre Breivik de tout racisme parce que ses victimes n’étaient, comme lui-même, que « des blancs » morts pour avoir diffusé le multiculturalisme. Autant absoudre l’islamisme de l’accusation de terrorisme quand celui-ci netue que des Musulmans. 

Peut-on imaginer un auteur en vue faire le panégyrique littéraire d’un Mohamed Merah (encore qu’un auteur algérien, Salim Bachi, a tenté, sur commande ce sacrilège) ou l’apologie du pédophile belge Marc Dutroux. Cela provoquerait immédiatement une légitime chasse à courre, si tant est que l’auteur, puisse trouver un éditeur pour un esprit aussi dérangé, passible d’une maison de repos si ce n’est plus. Or, Richard Millet, loin d’être un cerveau dérangé, était considéré comme un homme du monde, raffiné et installé au cœur du carré d’or de la littérature puisqu’il faisait partie du comité de lecture de chez Gallimard. La légende urbaine lui attribuait assez de poids pour peser en 2006, pour que le Goncourt soit attribué pour les Bienveillantes de Jonathan Littell. 

Avec la torpeur aoutienne, le texte ne rencontrera, en cet été 2012, qu’une tiédeur germanopratine. Dans les salons feutrés de la littérature, certains se pinceront le nez devant cet opuscule destiné à provoquer et à faire du buzz lors de la rentrée littéraire. D’autres verront dans l’acte une forme de courage, en ces temps où la pensée identitaire débutait ses coucheries avec beaucoup de monde dont Éric Zemmour, Renaud Camus, Alain Finkielkraut….

Comme le dit si bien l’adage populaire, celui « qui pisse contre le vent, mouille sa chemise ». La première salve proviendra du prix Nobel Jean- Marie Le Clézio qui, le premier, parlera d’un texte « répugnant ». Le 28 août, Tahar Benjelloun, collègue de Millet chez Gallimard, sortira du bois et parlera d’un « délire raciste ». Il faudra attendre le mois de septembre pour que, à la Une du journal Le Monde, l’écrivaine Annie Ernaux jette un pavé dans la mare littéraire avec une cinglante tribune, « le pamphlet de Richard Millet déshonore la littérature ». Elle sera soutenue par une certaine d’auteurs. 

Annie Ernaux s’en prendra à « « l’apologie de la violence au prétexte d’examiner, sous le seul angle de leur beauté littéraire, les « actes » de celui qui a tué froidement, en 2011, 77 personnes en Norvège. Des propos que je n’avais lu jusqu’ici qu’au passé, chez des écrivains des années 1930. » Annie Ernaux fera pièce de l’ironie supposée de Richard Millet que « les lecteurs, bouchés à l’émeri n’ont pas perçue ». Elle réfutera ce supposé esthétisme du « mal porté à sa perfection ». Elle dénoncera cette manière de prendre en otage la littératurepour qu’elle soit « ici au service de Breivik … enrôlée de force dans une logique d’exclusion et de guerre civile, dont la portée politique, à moins d’être aveugle, est flagrante. »

Le philosophe Robert Redeker, sous protection depuis 2006, pour une menace de mort contestée, sortira rapidement de son bain de formol pour s’attaquer à la tribune d’Ernaux qualifiée « de charge métaphysique ». Franck Spengler, aujourd’hui prospère éditeur de livres érotiques se fendra d’une tribune qui étrille et Le Clézio et Ernaux. Patrick Besson pondra quant à lui, un papier danse Point où il moquera les signataires « des semi-connus ». De Tahar Ben Jelloun, signataire, il écrira « je sais qui c’est : un ancien ami de Hassan II bien connu dans les prisons marocaines pour son esprit démocratique ». 

Piqué au vif, Richard Millet réagira dans L’Express. Fanfaron et arrogant, Il répondra aux « têtes molles » qui voudraient le « trucider » et qui « se croient tenues de clamer leur indignation, parmi lesquelles un multiculturaliste invertébré, un poète liquide, un francophone mal à l'aise dans la langue française, un pop philosophe reconverti dans le méharisme saoudo-qatari, une romancière extralinguistique, une pasionaria de l'aveuglement postracial, des KGBistes de l'inculture active et tous ceux qui, n'en doutons pas, vont chercher à exister enfin à mes dépens... Pourquoi me tuez-vous ? » lancera-il à « ces fonctionnaires du système médiatico-littéraire, journalises, échotiers, écrivains parvenus, indignes essayistes. Pour donner de la puissance à son plaidoyer, il convoquera les grandes figures de la littérature mondiale « Reproche-t-on à Dostoïevski ses Démons, à Truman Capote les deux tueurs de De sang-froid, à Genet son goût pour les kamikazes palestiniens, à Bret Easton Ellis le psychopathe personnage d'American Psycho, à Koltès la fascination qu'exerçait sur lui le tueur en série Roberto Zucco, à qui il a consacré une pièce, ou à Emmanuel Carrère son évocation du monstrueux Jean-Claude Romand ? Y aurait-il de bons criminels et d'autres qui ne le seraient pas ? » 

Dix ans plus tard, l’histoire a jugé. Aujourd’hui, Richard Millet, bien que prolifique, a littéralement et littérairement disparu des radars médiatiques. Franck Spengler qui n’a eu accès à la littérature que grâce à sa mère, Régine Desforges, continue à prospérer avec le cul, cette matière rémunératrice. Patrick Besson continue à faire le point dans son hebdomadaire. Redeker, quant à lui, ne cesse de cultiver sa maudite réputation de condamné à mort par l’islamisme sans fatwa.

Quant à Annie Ernaux, son nom à elle, scintille désormais dans un empyrée ou ne séjournent que de rares élus.