Culture
''Nomadland'' sacré aux Oscars, pour les femmes nomades l’éternel voyage continue
La cinéaste Chloe Zhao pose avec deux des Oscars décrochés par son film Nomadland, celui de la meileure réalisatrice et du meilleur film, le 25 avril 2021 à Los Angeles
''Nomadland'' a conquis le graal en étant sacré dimanche aux Oscars, mais pour les femmes nomades et souvent précarisées qui ont inspiré ce film, l'éternel voyage continue.
Dans le cas de Kathy Wardell, la route passe actuellement par l'Etat du Maryland, dans l'est américain, où l'AFP l'a rencontrée.
Kathy Wardell, qui vit à plein temps sur la route, pose devant son camping-car
Mais cette voyageuse pourrait tout aussi bien traverser l'autre bout du pays -- les grands espaces de l'Ouest -- comme le fait Fern, l'héroïne de Nomadland, avec qui elle partage certaines similitudes.
Mme Wardell a 56 ans. En octobre dernier, elle a commencé à vivre à plein temps dans son camping-car. L'étape du jour, elle la passe au camping Ramblin Pines de la ville de Woodbine, au coeur d'une région semi-rurale.
Assise sur une chaise pliante, autour d'un feu de camp, elle confie son opinion sur "Nomadland": "J'ai trouvé que c'était vraiment bien, un peu déprimant."
Couper les derniers ponts
Des voyageurs nomades adeptes des caravanes et camping-cars
Sans nul doute le road-movie, qui voit Fern -- veuve dans une ville économiquement sinistrée -- quitter la vie sédentaire pour une longue errance pleine d'incertitudes, résonne-t-il avec sa propre expérience.
"Ma vie commençait à s'effilocher. Ma carrière, mon mariage, la maladie de ma mère, qui a fini par mourir", relate Kathy Wardell. Elle ajoute qu'il lui a fallu plusieurs années avant de décider de larguer les dernières amarres.
Elle se trouve aujourd'hui à un rassemblement convoqué par une organisation nommée RVing Women, qui fédère plus de 2.300 membres sur tout le territoire : ces femmes vivent dans leur camping-car, de façon ponctuelle ou permanente.
L'antenne locale de l'association compte 150 femmes, dont une trentaine se sont donné rendez-vous dans ce camping pour le week-end. La plupart ont la cinquantaine ou plus.
Selon Lee Ensor, qui coordonne ce groupe, 50% des membres au niveau national sont des femmes se déplaçant en solitaire, sans mari, ami ou autre compagnon.
"Cela a augmenté... Les femmes prennent leur retraite et sont prêtes à rouler", constate l'octogénaire.
Sol chauffé
Des camping-cars et leurs conducteurs au campement Ramblin Pines de Woodbine, dans l'Etat du Maryland
Loretta Veney, 62 ans, a rejoint le groupe des RVing Women quelques semaines après la mort de son mari, emporté par une attaque en 2016, alors que le couple était en train de camper.
Elle a juré à son époux défunt de continuer la vie au grand air, troquant leur camping-car de près de 12 mètres de long pour un modèle moins imposant.
"J'ai été capable de partir en respectant la parole donnée, sans m'inquiéter de le faire seule", explique Mme Veney.
"Nomadland" montre des femmes vivant dans des camionnettes de fortune et des caravanes rafistolées. Mais il existe une classe de voyageurs plus fortunés, capables de s'offrir de luxueux véhicules pour un prix atteignant plusieurs centaines de milliers de dollars.
Ces conducteurs ne vivent pas en marge de la société.
Kathy Healy, la présidente du groupe local, évoque ainsi un camping-car au sol chauffé, et un autre équipé de mobilier artisanal fabriqué par des Amish.
Son camping-car, qu'elle appelle "The Beast" ("La bête") et dans lequel elle voyage avec sa femme, est équipé d'une sonorisation hi-fi.
"Joie"
Linda Cosme, une avocate sexagénaire participant au rassemblement, retient de "Nomadland" la "sombre pesanteur" du sort de Fern, à qui elle souhaite de la "joie et de la satisfaction" dans une éventuelle suite filmée. La réalisatrice Chloé Zhao n'a jamais évoqué une telle hypothèse.
En tout cas, cette joie au bout de la route, c'est également l'objectif de Kathy Wardell, qui s'apprête à mettre le cap sur le Colorado, le Dakota du Sud et l'Idaho pour retrouver d'autres réunions de voyageurs.
Ses six premiers mois dans son camping-car, qu'elle surnomme "Howy" (pour "House on Wheels, Yay" ou "Maison roulante, youpi" en français) l'ont "majoritairement comblée", dit-elle.
"A une époque j'ai possédé une maison et je l'aimais bien. Mais désormais je ne veux plus m'embarrasser de choses comme ça", poursuit la nomade. "Je veux profiter de la vie."