Culture
Othmane Benalila : Le soleil et l’abîme – Par Rédouane Taouil
Alam (douleur) et Amal (espoir) ne font-ils pas corps dans les mêmes lettres ?
Injustement oublié des anthologies et de la critique littéraire, ce passionné de philosophie, qui a fait aimer à des générations d’élèves l’art de penser, est l’artisan d’une poésie attachante qui se recommande par l’originalité de la vision méditative qui l’anime et les étonnantes allitérations qui qui la rythment. Sous son recueil de poèmes, « Choumouss » (1), où bien des vers ont valeur de maxime, saillent une mélancolie pensive et une tendresse vive qui retracent les méandres d’une âme (Rouh) que balaie le vent (Rih) de maints sentiments poignants.
Le poète est l’écoute de sa propre voix : confronté à lui-même, il arrose délicatement les fleurs de la douleur en livrant des sentences sur les blessures de l’existence que le lecteur accueille sans malaise tant elles sont harmoniques. Le dépouillement verbal que l’auteur pratique donne lieu à des poèmes courts ou fragmentés qui incorporent des métaphores conjuguant des inattendus et des unions de contraires, clarté et mystère. De part en part, les mots résonnent d’échos soufis où la quête ensoleillée de la lucidité apparaît comme la fin ultime. En apprivoisant la maîtresse douleur, le poète invite au frémissement de l’amitié à laquelle il témoigne d’une inaltérable fidélité et au cheminement du rêve dans la nuit écorchée.
« Il faut atteindre la pointe du néant et s’en éblouir » écrit Jean-Michel Maulpoix au sujet de la parole poétique de Roger Giroux, adepte d’une écriture économe à l’image de celle du méditant des soleils des ombres. On est tenté d’emprunter ce propos pour noter mutatis mutandis que les vers de ce dernier exaltent les tréfonds épuisés en vue de célébrer des éclairs de beauté :
« Je rêve fort
Que le cauchemar déserte
Le miroir de nos rêves
Je rêve du cierge de l’espérance
Même lorsque le désespoir
Pénètre mon cœur ».
Alam (douleur) et Amal (espoir) ne font-ils pas corps dans les mêmes lettres ?
Choix de vers
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Vis pareil à une beauté
Que craint la flétrissure
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Mon âme est une multitude de fêtes
Ô mort unique
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Rien à espérer d’une âme
Divorcée avec les larmes
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Mets-moi ô douleur
A l’abri d’une joie
Que je ne crée pas
Telle que je la désire
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Cueille-moi
Ô amertume des jours
Si sa saveur te donne envie
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Le plus terrible que j’ai vu
C’est ma vacuité
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L’ombre n’a pas
De mémoire
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Je ne saurai t’aimer
Loin de mes péchés
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Je me sens cohérent
Avec mon âme
Suite au différend
Qui entre nous
A surgi
10-Savoure ma parole
Elle est dévorée par l’amertume.
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Publié par la Maison de la poésie du Maroc dans la collection « Atabat », 2009.