Publication : ''Griffes du destin'' de Aziz Hasbi

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D’une paysannerie humble et culturellement fière, l’auteur, Aziz Hasbi, ose des incursions citadines avant d’entreprendre le grand saut vers l’Autre

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Jamais auteur n’a aussi bien rendu hommage à sa campagne natale et à son chef-lieu, Safi, ainsi qu’à son quartier casablancais d’accueil, Hay Mohammadi, autant qu’Aziz Hasbi. Dès qu’il le peut, il s’y essaie. Toujours avec bonheur. Dans « Griffes du destin », l’auteur renoue avec sa fidélité au souvenir de sa région. Il s’y colle avec un passionnant désir, une exceptionnelle envie de retourner ses entrailles et raconter ses faits et gestes : il déploie, comme personne, une sorte de magie dont il semble posséder le secret !

La région d’Abda occupe ici le statut de personnage à part entière. Elle est un protagoniste dynamique dans ce fourmillement de personnages et de faits que l’auteur dépeint. Aux premiers abords de la narration, l’écrivain lâche les chevaux de l’imagination et nous embarque dans une folle histoire qu’il situe dans les premières années du Protectorat et qui se poursuit bien au-delà de l’indépendance du pays. Il déterre les souvenirs de ces lieux mythiques et les lie à des parcours dont la plupart sont le fruit de son imagination, inspiré qu’il a été par la mémoire du terroir. Celle-ci ne se lasse jamais de raconter le passé enfoui dans le souvenir et le cœur des légendes locales. 

A travers une flopée de destins a priori impossibles à faire cohabiter, il trouve les bons arguments à même de les associer dans une intéressante configuration. Empruntant le chemin de la fiction et les techniques de la narration, il campe les faits et les gestes des héros de son récit. Des personnages souvent humbles. Son entreprise est alors un succès. Il réussit ainsi à nous proposer un croisement de destins qui nous situe dans la dimension de ce que l’humanité a créé de beau : des ilots d’amitié et d’amour entre personnes de mondes aux antipodes les uns des autres. Une mixité qui a, depuis, bien essaimé. Sa puissance à recoller les morceaux éparpillés par l’usure du temps et les contradictions qui en résultent, en faisant de ce puzzle une poignante expérience humaine, donne de l’épaisseur au récit. 

Bardés de cultures propres, ses personnages éclectiques parviennent à s’imbriquer et bien encore à se fondre les uns dans les autres pour n’en former qu’un et un seul : l’Homme dans toute sa splendeur.

Dès lors Aziz Hasbi s’ingénie à portraiturer des caractères et camper un univers digne des grandes épopées historiques. Il ressuscite par-delà les hommes et les époques un patrimoine historique riche de vie culturelle et sociale intense, de protagonistes fiers de leur identité, au relief acéré, loin d’être naïfs et inintéressants. Ces destins croisés et ces récits fouillés dénotent l’originalité d’un passé pleinement digéré et intégré pour être rendu dans des pages à la saveur envoûtante.

La région d’Abda constitue l’espace où s’opère une exploration digne d’un voyage initiatique. Elle se prête à un exercice de questionnements sur les frontières de l’appartenance. A quelle race, à quelle culture, à quelle géographie ? Sans porter de jugement. Et c’est le propre même du personnage de Bella qui prend sur elle d’aller à la quête de ses origines semi-marocaines, en arpentant les lieux qui ont vu évoluer son père marocain, Belaid, disparu sans l’avoir vue. Bella est le fruit d’une relation d’amour fulgurante avec une française du temps du Protectorat, lors d’un moment de coup de foudre qui fait perdre la raison.

Ce voyage initiatique propre aux personnages devient quelque part celui de l’auteur, d’une génération, d’une époque. Aziz Hasbi traque les pérégrinations d’une jeunesse au détour d’un siècle, le vingtième en l’occurrence, chargé d’émotions et d’entrechoquements de destins et d’idées autour de la rencontre Orient/Occident dans une conjoncture marquée par la courte parenthèse du Protectorat.

D’une paysannerie humble et culturellement fière, l’auteur ose des incursions citadines avant d’entreprendre le grand saut vers l’Autre. Il dresse des portraits et s’intéresse aux modèles de colons atypiques, tel ce Jean de Chabord qui, en rupture de ban avec sa famille lorraine, se relance dans le monde rural marocain sous un statut d’agriculteur, bosseur, qui sue pour changer l’ordre des choses et définir les traits d’une autre France, celle dont il rêve.  

Sans haine ni reproche, les deux piliers de son récit sont mis sur pied d’égalité. Il étale ainsi au grand jour ce dont l’Homme pourrait être capable : l’amour, ainsi que le fruit qui en provient : une progéniture intelligente et au libre arbitre, à l’image de Bella et d’Adil, sœur et frère que tout sépare et en même temps rapproche. 

Dans cette aventure, tout concourt à mettre à l’abri de la xénophobie et milite pour un vivre-ensemble. C’est le cas de Qacem, dirigeant de sa sous-fraction tribale et hostile à la présence étrangère dans son pays, qui tolère dans son bled ce Français, Jean de Chabord, nettement différent des autres colons. 

Aziz Hasbi décrit des personnages à la peinture savoureuse, passionnés par la vie, courageux et lumineux.

« Griffes du destin », Aziz Hasbi

Editions Quid - Collections 2021

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