Royauté et cinéma, des liaisons dangereuses?

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Le réalisateur Karim Aïnouz de "Firebrand" ("Le jeu de la reine")

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Par Rana MOUSSAOUI (AFP)

De la cour de Versailles à la dynastie des Tudor, le Festival de Cannes montre que le 7e art reste obsédé par la royauté, notamment par ses figures féminines, mais souvent au prix de la vérité historique.

Le Festival s'est ouvert avec "Jeanne du Barry" de Maïwenn, avec Johnny Depp en Louis XV, et la première semaine s'est terminée avec "Firebrand" ("Le jeu de la reine"), avec Jude Law incarnant le tyrannique Henri VIII.

"L'histoire de Henri VIII a été racontée tellement de fois et de différentes manières... Mais les gens sont toujours curieux et donc les réalisateurs continuent de faire" des films autour de ce roi, affirme à l'AFP Alex von Tunzelmann, historienne et scénariste britannique.

Le réalisateur Karim Aïnouz, qui a reconnu ne rien savoir sur les Tudor avant de se lancer dans "Firebrand", a pris le risque de se plonger dans l'histoire de la sixième épouse de Henri VIII.

"La mythologie de la famille royale anglaise est tellement répandue que tout le monde la connaît", dit-il à l'AFP.

Pour le spécialiste français des têtes couronnées Stéphane Bern, les réalisateurs sont souvent attirés par le "romanesque" de ces histoires "de femmes et d'hommes qui ont aimé, souffert, vécu, tout en étant l'incarnation de l'humanité au pouvoir".

"Fantaisie pure"-

Mais cette obsession vient trop souvent avec son lot de demi-vérités.

Dans "Jeanne du Barry", cette courtisane épouse le comte Jean du Barry, alors qu'elle a en réalité épousé son frère Guillaume, Maïwenn expliquant avoir fait "exprès" pour ne pas ajouter de nouveau personnage.

Si "Firebrand" brille notamment grâce à l'interprétation bluffante de Jude Law, la fin du film montrant les circonstances de la mort de Henri VIII a choqué la critique.

"Cette scène est une fantaisie pure et une réécriture de l'héritage de Catherine Parr (Alicia Vikander) au mépris des faits", s'indigne Variety.

Le Guardian souligne également que le film "invente une amitié entre Catherine et la prédicatrice protestante hérétique Anne Askew". "C'est de l'Histoire truquée qui se regarde", commente-t-il.

Plus insultante, pour le journal britannique, est l'affirmation dans le film selon laquelle "ni les hommes, ni les guerres n'ont marqué" le règne d'Elizabeth I, la fille de Henri VIII, qui a dû quand même affronter l'Invincible armada espagnole.

Ces prises de liberté abondent dans les films d'époque.

"Dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, on dit que la comtesse de Provence va accoucher. La pauvre, elle aurait adoré avoir un enfant mais elle n'en a jamais eu, c'est sa sœur, la Comtesse d'Artois qui a eu un enfant", précise Stéphane Bern.

"Quand j'ai posé la question à Sofia Coppola, elle m'a dit que la Provence, ça fait rêver les Américains mais pas l'Artois (une province sous l'Ancien régime, NDLR)!", se souvient l'animateur de l'émission télévisée "Les Secrets d'Histoire".

S'il juge que ces distorsions "jettent une forme de discrédit", il soutient toutefois que tout film sur la royauté "peut donner envie de s'intéresser à l'Histoire".

"Les historiens s'inquiètent énormément des inexactitudes mais, quand il y a eu la série sur les Tudor (de Michael Hirst), les ventes de livres sur cette dynastie sont partis en flèche", renchérit Alex von Tunzelmann.

Elle souligne que "le métier d'un réalisateur est de faire le meilleur film possible, alors que le métier d'historien est de chercher la vérité".

Ce qui est sûr, c'est que ces films d'époque sont souvent empreints de modernité.

Selon Alex von Tunzelmann, "nous avons depuis quelque temps de nombreux drames historiques emmenés par des héroïnes", de "Marie-Antoinette" de Coppola à "Jeanne du Barry" de Maïwenn, en passant par "The Duchess", "La Favorite" ou encore "Marie Stuart, reine d'Ecosse"...

"On voit beaucoup le côté féministe, antiraciste ou +queer+. Ca reflète une obsession actuelle", dit-elle.

"Les femmes ont écrit l'Histoire mais on leur tresse rarement des lauriers. Si on leur rend leur place à travers le cinéma, ce n'est pas plus mal", insiste Stéphane Bern.