Culture
Sur les traces de Jacques Prévert en Normandie : ''Le salut de l’humanité passe par l’art et la poésie '' - Par Mustapha Saha
Le jardin de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite
Nous parcourons avec éblouissement le jardin Jacques Prévert, créé par l’antiquaire Gérard Fusberti en 1981, avec la complicité de Janine Prévert, dans la presqu’île de la Hague, au lieu-dit Saint-Germain-des-Vaux, à proximité de Port Racine. L’amour de la nature chanté par le poète dans ces terres à flanc de mer, « ces plages désertes à perte de vue, ces petites routes étroites, qui vont partout et nulle part, ces vagues qui claquent contre les rochers » s’exauce en synchronicité. « Le jardin entre dans la nature. La nature entre dans le jardin ». Des écriteaux singés Jacques Prévert jalonnent l’itinéraire. Sermons scripturaires. Bornes littéraires. « Le vrai jardinier se découvre devant la pensée sauvage ». « Le Jardin entre dans la nature. La nature entre dans le jardin ». Des arbres. Des plantes. Des fleurs. Des bosquets. Des buissons. Des futaies. Des taillis. Des cascades. Des sentiers. Des cavées. Des tortilles. Des layons. Des charmilles. Des clairières. Des sculptures de métal. Une veille bassine en fer rouillé recueille des pétales rouges et blanches. Des euphorbes. Des lysichitons. Des rhododendrons. Des deutzias. Des gunneras. Des tilleuls. Des pins maritimes. Des poiriers pleureurs. Des ruines de deux moulins à blé du dix-septième siècle. Un ruisseau nommé La Buhotellerie.
Gérard Fusberti témoigne :« Le premier contact de Jacques Prévert avec la Hague date de 1930. Au retour d’un mariage, à la mode de Bretagne, où ils font la bringue pendant plusieurs jours, Jacques Prévert, l’artiste peintre Jacques Tanguy, l’acteur Pierre Batcheff. Ils s’arrêtent dans un hôtel à Goury, aujourd’hui disparu. Coup de cœur pour ce bout du monde, balayé par le vent. Jacques Prévert y reviendra. Tout un réseau d’amis prennent l’habitude de venir à la Hague, Marcel Carné, qui tourne La Marie du port à Cherbourg, le décorateur Alexandre Trauner, Boris Vian, pendant ses fréquents séjours à Landemer, le guitariste Henri Crolla, l’éditeur René Bertelé. Cet hôtel est devenu le siège de la galerie d’antiquités que je dirige quand, en 1966, Jacques Prévert, croyant que l’auberge existe toujours, me téléphone. Il veut réserver une chambre pour son frère Pierre Prévert. C’est ainsi que j’ai rencontre la famille Prévert et commence à lui louer des chambres inoccupées ».
Nostalgie des temps plus cléments. « Le Bon temps. Les rivières étaient claires. La mer était propre. Le pain était bon. Les saisons saisonnières. Les guerres oubliées. L’amour aimé ». « Le Temps perdu. Devant la porte de l’usine. Le travailleur soudain s’arrête. Le beau temps l’a tiré par la veste. Et comme il se retourne. Et regard le soleil. Tout rouge tout rond. Souriant de son ciel de plomb. Il cligne de l’œil. Familièrement. Tu ne trouves pas. Que c’est plutôt con. De donner une journée pareille à un patron « (Jacques Prévert).
Cahiers Photos
Mustapha Saha dans l’atelier de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie.
Je jette un regard sur la bibliothèque. Une collection de livres de Jacques Prévert et de ses amis surréalistes. La véritable bibliothèque a disparu. Jacques Prévert, sur photographie agrandie, m’observe. Son âme habite toujours la demeure malgré le dépècement de son mobilier. Au-dessus de la cheminée, un portrait du poète par Pablo Picasso, une reproduction. Les poètes ne meurent pas. Ils sèment sans fin leurs épîtres intemporelles sur les chemins des humains.
Entre à Jacques Prévert et son ami, le décorateur Alexandre Trauner, statue dans le parc municipal d’Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie, bonze réalisé par Christine Larivière.
« La poésie, mon ami, est cette inexplicable nostalgie qui fait d’une chose un spectre et d’un spectre une chose » (Mahmoud Darwich, Ne t’excuse pas, transposition française éditions Actes Sud, 2OO6).
Elisabeth Saha dans le jardin de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite
Le rosier Jacques Prévert sur longue tige, généralement solitaire, déroule sa quarantaine de pétales veloutées d’un rouge fraise intense, et son revers d’un rouge cardinal légèrement rosé, et leur parfum fruité.
« Rien que la lumière. Je n’ai arrêté mon cheval queue pour cueillir une rose rouge. Dans le jardin d’une cananéenne. Qui a séduit mon cheval. Et s’est retranchée dans la lumière » (Mahmoud Darwich, Ne t’excuse pas, transposition française éditions Actes Sud, 2OO6).
La Maison de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie.
Alexandre Trauner était décorateur de cinéma. Il était aussi l’ami de Jacques Prévert depuis les années trente. Les deux ont travaillé, entre autres, sur les chefs-d’œuvre, Drôle de drame, Quai des brumes, Hôtel du Nord, Les Enfants du paradis, scénarisés par Jacques Prévert et réalisés par Marcel Carné. En 1970, Jacques Prévert, séduit depuis sa jeunesse par la beauté de la presqu’île du Cotentin, achète une maison à Omonville. Alexandre Trauner, qui habite déjà le village, conçoit une architecture d’intérieur similaire à sa propre maison, située quelques centaines de mètres plus bas. Un aménagement avec un grand salon au rez-de-chaussée, un atelier au premier étage et beaucoup de luminosité.
Dans la maison de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie.
Dans la maison de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie.
Dans l’atelier de Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie.
Au Port Racine, plus petit port d’Europe, Cotentin, Normandie
La tombe de Jacques Prévert dans l’église Saint-Martin à Omonville-la-Petite, Cotentin, Normandie, plantée du rosier qui porte son nom. Un menhir en guise de stèle. Une tombe qui lui ressemble.