Un livre du Dr. Ilham Azhari - ''L’INTERNAT'' - coulisses du CHU Ibn Sina … Par Mustapha SEHIMI

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Un récit autour de "morceaux de vie dans les coulisses du CHU Ibn Sina" qui s'emploie ainsi à faire parler les murs de cet hôpital

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De l'inédit ! Qu'on en juge : les précédentes décennies, a-t-on eu droit à un livre d'un médecin racontant son métier ? Oui, peut-être quelques publications, ici et là - pas plus. Or cet ouvrage "L'internat"+ de Ilham Azhari est passablement disruptif. 

C'est un récit autour de "morceaux de vie dans les coulisses du CHU Ibn Sina". Elle a été interne durant des années dans cet établissement hospitalier et au cœur, pourrait-on dire : celui des urgences. Durant trois ans (2012-2014), elle a tout vu, tout entendu - une forte séquence toujours vivace dans sa mémoire. A telle enseigne qu'elle a décidé aujourd'hui avec ce livre d'acquitter pratiquement sa dette : " Je me suis promise de rendre ce dû à l'internat qui m'a tant appris..." Des souvenirs " pour laisser à la mémoire la trace de ce qu'il m'a fait, ce qu'il m'a fait faire et ce qu'il m'a fait devenir". L'autre médecine, en somme : derrière le miroir, la blouse blanche n'est que le paravent d'émotions et de sentiments contenus. Retenus aussi.

Un narratif de l’affect

Elle s'emploie ainsi à faire parler les murs de cet hôpital. Les urgences ? Au sous-sol, un éclairage continu mais de la grisaille et puis surtout autre chose : un théâtre de vie où se conjuguent sans cesse des saynètes mais de douleur, de drames, de chocs et de tant de vies en danger. Certaines arrivent à être sauvées ; d'autres pas. Un ballet incessant, au quotidien, qui rend compte de la condition humaine, telle qu'en elle-même. Ce monde -là s'apparente, par bien des traits, à un écosystème avec ses médecins, ses infirmiers et d’autres catégories dévouées de personnel d'un côté et les familles en détresse de l'autre. L'auteur en parle avec émotion, dressant aussi de touchants portraits des patients. Une dizaine d'années après, certains souvenirs restent toujours enkystés dans sa mémoire ... Travailler aux urgences, çà marque ; çà imprime tout le monde : des vies sauvées sans doute mais aussi des morts. Il en reste "ce petit quelque chose dans le regard, un reflet profond même parfois triste...".

Ilham Azhari va plus loin et prend du recul ; elle parle ainsi de ce qu'elle a ressenti parce qu'il lui a fallu "côtoyer la mort". Pudiquement, elle ne se livre pas dans le détail mais elle confie que cette proximité dans un tel environnement n'est pas neutre : tant s'en faut. Elle a un impact : aux urgences, " la mort devient une ponctuation, un mot parmi d'autres dans une phrase sans fin faite d'accidents divers". L'on a droit à un tableau de société : l'hôpital ressemblant à une " jungle - une jungle d'égaux" ; mais en creux aussi l'esprit de solidarité des internes face à un "système" (bureaucratie, conditions de travail, ...). Derrière la carapace professionnelle, de la sensibilité et du cœur. On le savait sans doute, mais cela est dit. Un narratif de l’affect…

+ Editions " La Croisée des chemins", Collection Le Royaume des idées, dirigée par Driss C. Jaydane, 2022, 126 p.