Conseil de la concurrence : Les petroliers hors la loi...

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La décennie écoulée a enregistré deux grandes affaires d'Etat dans le domaine économique : celle de la SAMIR et celle des pétroliers avec leurs ententes et pratiques anticoncurrentielles. Pour la raffinerie de Mohammedia, il y aurait évidemment beaucoup à dire sur la passivité de l'Etat - voire sa connivence- tous gouvernements confondus, à propos d'un processus relevant de stratégies de groupes privés désireux de liquider la SAMIR au profit de leurs intérêts. Il faudra bien qu'une mise au net se fasse un jour... 

Ici, l'on voudrait surtout évoquer la mise en cause du Groupement des pétroliers du Maroc, un dossier à l'instruction du Conseil de la concurrence et qui doit être finalisé prochainement par cet organe. Au commencement, le 1er décembre 2015, la décision prise par le Chef du gouvernement PJD , Abdalilah Benkirane, de libéraliser les prix du carburant. Sur le papier, elle n'était pas contestable ; elle participait en effet d'une politique de déréglementation à l'ordre du jour. Mais elle n'a pas été accompagnée d'un cadre juridique et institutionnel adéquat. Pourquoi ? Parce qu'elle n'avait pas institué en même temps des formes et des modalités de régulation. A titre comparatif, aucun secteur de libéralisation dans le monde n'exclut ce cadrage, que ce soit dans l'espace, la mer, les télécommunications, le transport aérien... Même l'OMC, cadre mondial des échanges, a institué la liberté avec des clauses de sauvegarde pouvant être invoqués par des Etats membres. 

Rien de tout cela au Maroc avec la libéralisation des hydrocarbures de manière "sauvage". Résultat : les compagnies pétrolières ont réalisé un surprofit de quelque 17 milliards de DH entre 2016 et 2018 au détriment de leurs clients. Une commission parlementaire s'en est émue. Présidée par Abdallah Bouanou (PJD), elle achève son rapport le 28 février 2018 et le présente deux mois et demi plus tard, le 15 mai. Depuis, rien de bien nouveau. C'est que le Conseil de la concurrence se distingue par sa lenteur voire même sa carence. Saisi pourtant dès le 15 novembre 2016 par le syndicat CDT, il faudra plus de deux ans pour qu'il engage les procédures d'enquête appropriées. En décembre 2018, le nouveau responsable, Driss Guerraoui, organise les auditions des pétroliers, des syndicats et des gérants des stations -services. Il vient, le 22 mai 2020, de notifier au GPM les griefs retenus à son endroit.

En termes procéduraux, il faut rappeler que le Conseil de la concurrence travaille comme suit : une phase d'instruction puis celle de la décision. La première a été menée par Mohamed Hicham Bouayad. Elle a retenu notamment les charges suivantes : existence de la collecte, l'échange et la diffusion informations commerciales sensibles entre les opérateurs, décision d'association d'entreprises et de pratiques concertées. Le GPM a pu produire un mémoire en défense, le 23 juillet 2019, que le bien-fondé de ses conclusions puisse être retenu. 

Quelle est aujourd'hui la sanction proposée per le rapporteur de l’enquête ? Une amende de 4 millions de DH au GPM, le maximal prévu par l'article 39 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. Il justifie cela par "la gravité des pratiques en cause, du dommage causé à l'économie et aux consommateurs ainsi que l'effet restrictif à la concurrence amplifiée par le caractère combiné des autres pratiques restrictives à la concurrence". Il y ajoute une couche, pourrait-on dire, avec ce manquement éthique : une "obligation d'exemplarité" liée au statut et à la mission d'une association professionnelle comme le GMP» ; "l'autorité morale" de celle-ci auprès de ses membres ; enfin, "le respect des règles du droit de la concurrence".

En plus de cette amende de 4 millions de DH frappant le GPM, il reste à voir les sanctions devant incriminer chacune des 9 sociétés de ce groupement. C'est là que tout le monde attend le Conseil de la concurrence. Du point de vue des textes, cet organe peut décider des amendes maximales correspondant à" 10 % du chiffre d'affaires mondial ou national hors taxes le plus élevé réalisé au cours des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques (anticoncurrentielles) ont été mises en œuvre". A ce premier critère de sanction s'en ajoute un second : celui du "chiffre d'affaires figurant dans le compte consolidé ou combiné de l'entreprise" (art.39 de la loi).

Dans cette affaire, le Conseil de la concurrence va jouer lors de ses délibérations toute sa crédibilité. Déjà, il n'a pas fait montre d'une grande célérité depuis sa saisine, voici près de quatre ans, en novembre 2016. Alors qu'il avait pratiquement tous les éléments depuis juillet 2019 - le dernier acte étant le mémorandum en réponse du GPM remis à cette date - il a fallu pas moins de onze mois pour finir et présenter les conclusions de l'instruction. 

Quand seront décidées les mesures visant chacune des neuf sociétés du cartel pétrolier qu'est le GPM ? Et dans cette même ligne, quelles sanctions ? Si d'aventure elles restaient minimes alors que les surprofits ont été de l'ordre de 17 milliards de DH, ce serait un signe fort, de nouveau, que l'effectivité de la règle de droit n'arrive pas à surmonter des groupes privés ; plus encore : que l'équité sociale mise en avant par un certain discours officiel n'est qu'une rhétorique. Dans la conjoncture actuelle de crise, a-t-on besoin de montrer qu'il y a encore deux poids et de mesures ... Pas de quoi alors conforter la construction démocratique ni la consolidation de l'Etat de droit.

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