Le paradoxe de l’économie marocaine : une croissance sans emploi ! - Par Abdeslam Seddiki.

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L’économie marocaine a perdu entre les troisièmes trimestres 2022 et 2023, 297.000 emplois, soit une perte de 269.000 postes en milieu rural et 29.000 postes en milieu urbain

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Un paradoxe que les Economistes ont du mal à résoudre : une croissance économique sans emploi. Tel est le constat qui se dégage à la lumière de la dernière publication du HCP portant sur la situation du marché du travail au troisième trimestre 2023. 

Alors que la croissance prévue pour l’année en cours se situerait autour de 3,4%, seul le secteur industriel, y compris l’artisanat, a créé 14 000 emplois.  Pour les autres secteurs, ils en ont perdu en milliers. Il en résulte une explosion du taux de chômage qui a atteint un niveau record au cours d de la dernière décennie avec un taux de 13,5% au niveau national (contre 11,4 une année auparavant) et de 17 % en milieu urbain (contre 15% au troisième trimestre 2022).   Au niveau de la jeunesse, ce taux frôle les 40 %.  Pour les diplômés et les femmes, le chômage touche une personne sur cinq. Il y a de quoi s’inquiéter. Le gouvernement qui s’énorgueillit de ses résultats et de ses programmes de lutte contre le chômage nous doit des explications et nous dire la vérité sur la situation réelle du pays et non celle qu’il s’imagine. Détails :

L’économie marocaine a perdu entre les troisièmes trimestres 2022 et 2023 près de 300000 emplois (297.000 exactement), soit une perte de 269.000 postes en milieu rural et 29.000 postes en milieu urbain. Par type d’emploi, 231.000 emplois non rémunérés ont été perdus, résultat d’une perte de 190.000 en milieu rural et de 41.000 en milieu urbain. L’emploi rémunéré a enregistré de son côté une baisse de 66.000 postes, conséquence d'une création de 13.000 emplois en zones urbaines et d’une baisse de 79.000 en zones rurales. C’est le secteur primaire, agriculture et pêche, qui a perdu le plus d’emplois.  Si un tel phénomène pourrait s’expliquer par la succession de deux années de sécheresse, il traduirait en même temps, le peu d’efficacité des programmes mis en œuvre pour lutter contre les effets de la sécheresse dont le volet relatif à la sauvegarde des emplois et l’impact limité des politiques publiques de l’emploi comme « awrache », idmaj. Ces deux programmes à eux seuls devraient créer pas moins de 200 000 emplois. Ce qui n’apparait pas dans les statistiques publiées par le HCP. Sur ce point également, il y a nécessité de clarification.

Ce qui apparait, par contre, c’est une augmentation du nombre de chômeurs de 18% entre le troisième trimestre de l’année 2022 et celui de 2023, soit 248 000 personnes, portant le nombre de chômeurs à   1.625.000 personnes. Cette hausse est le résultat d’une augmentation de 181.000 chômeurs en milieu urbain et de 67.000 en milieu rural.

Certes, on peut atténuer la gravité de cette hausse du chômage dans la mesure où les emplois perdus sont essentiellement des « emplois non rémunérés » qui sont une caractéristique des pays en développement. Ils représentent près de 78% contre 22 % d’emplois rémunérés soit 66000 qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans ressources pour subvenir à leurs besoins, notamment dans le monde rural, le plus exposé à la pauvreté et à la vulnérabilité.

Bien sûr, on aurait aimé que le HCP nous donne des explications sur ces mouvements erratiques du marché du travail, y compris sur le phénomène de baisse continue des taux d’activité et d’emploi. Il se limite à nous présenter des chiffres bruts, ce qui est loin d’être négligeable, laissant le soin à tout un chacun de donner son explication et son interprétation des chiffres. Exercice périlleux auquel nous ne pouvons pas se dérober en prenant toutes les précautions d’usage.

Ainsi plusieurs facteurs peuvent être avancés pour tenter d’expliquer la faiblesse de création des emplois par l’économie nationale. Une baisse qui va crescendo d’année en année : nous sommes passés de 30 000 emplois pour un point de croissance à 15 000 emplois, voire moins, au cours des dernières années.  Une telle situation est aggravée par la faiblesse des taux de croissance de l’économie.  

 Le premier facteur réside dans le faible rendement de l’investissement. En effet, ce rendement, mesuré par le coefficient marginal du capital (incremental capital output ratio (ICOR)), représente le nombre d’unités d’investissement (en % du PIB) nécessaires pour réaliser un point de croissance du PIB. Plus l’ICOR est faible, plus l’investissement est rentable.  Avec un ICOR de 9,4 en moyenne durant la période 2000-2019, l’investissement au Maroc reste relativement peu rentable, en comparaison notamment avec les pays de la catégorie à revenu intermédiaire-tranche inférieure, où il atteint 5,7. Concrètement, un taux d’investissement de 32,2% avec un ICOR de 9,4 nous donne, à peine un taux de croissance de 3,4%.

Outre la faiblesse de l’efficacité de l’investissement, il faut mentionner, et c’est le deuxième facteur, le décalage entre les prévisions et les réalisations. Pour nous limiter à l’investissement public, qui représente les deux-tiers de l’investissement national, le taux de réalisation ne dépasse pas dans le meilleur des cas 70% ! A titre d’exemple, l’investissement des EEP (entreprises et établissements publics) pour 2023 atteindrait 90 MM DH, soit à peine 63% des prévisions.  De même, l’investissement du Fonds Mohamed VI de 45 MM DH prévu pour la même année n’a pas encore démarré. Ce qui ramènerait l’Investissement public prévu cette année 2023 de 300 MM DH à une somme beaucoup moindre se situant autour de 200 MM DH.

Le troisième facteur réside dans le comportement du capital privé qui privilégie la rentabilité à court terme et l’activité spéculative au détriment des activités productives et créatrices des emplois durables et décents.  Ainsi, malgré tous les encouragements accordés au PAI (Plan d’Accélération Industrielle) et aux métiers d’avenir, la part de l’industrie de transformation dans le PIB est restée la même depuis 2015, soit 15 %.  Pour rappel, l’objectif fixé lors du lancement du PAI tablait sur une contribution de l’industrie au PIB de 23% en 2021.   Ne parlons pas de la création de 500000 emplois qui est une simple vue d’esprit.

Ces largesses accordées au grand capital, y compris la grande agriculture exportatrice, n’ont pas touché la petite et moyenne entreprise et la toute petite entreprise. Et pourtant, ce sont ces dernières qui sont fortement créatrices  d’emplois (labor intensive) et  dont la production est destinée principalement vers  le marché local . En définitive, la question de l’emploi et de ses déterminants macro-économiques, relève des choix politiques et du modèle de développement en vigueur.

 

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