REVISITER LE TOURISME SPORTIF - Par Mustapha SEHIMI

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Le succès du "Rallye Aïcha des Gazelles" est un bel exemple de réussite depuis une trentaine d'année du tourisme sportif : il a commencé avec 9 équipages ; en 2021, leur chiffre a été de 195 dont 12 nationaux.

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Assurément, la pandémie Covid-19 a eu un fort impact sanitaire, social et économique - ce fut une même une crise. Le tourisme reprend cependant et des indicateurs encourageants à la fin mai 2022 témoignent de cette nouvelle conjoncture. 

Mais n'est-ce pas aussi une opportunité pour appréhender les conditions et les modalités du produit touristique d'avenir, autrement dit élargir l'offre pour prendre en compte les mutations observées dans le tourisme mondial. De nouveaux segments de clientèle, des aspirations et des demandes qui s’affinent : voilà, entre autres, les axes d'une stratégie à mettre en œuvre marquée du sceau d'une vision.

Pour sa 29ème édition mensuelle," les Mardis du Tourisme" ont organisé, le 14 juin courant, à Casablanca, un débat sur le thème : "Tourisme sportif, entre potentiel et réalité ?" Animatrice, Bouchra Talbi a relevé dès le début que ce secteur restait encore marginal avec un médiocre taux de seulement 1% alors que l'Organisation Mondiale du Tourisme recommande 5%. Si bien que ce produit spécifique n'a pas beaucoup de visibilité et qu'il faut remédier à cette situation. 

Manque de visibilité

Professionnel au long cours - Président du CRT de Casablanca et Président du Groupe Atlas Voyages - initiateur de ces rencontres baptisées "Les Mardis du tourisme", Othmane Cherif Alami,, nuance quelque peu en faisant état de prestations et de services "respectables" dans les hôtels. Il a cité la promotion du golf avec le Trophée Hassan II, les équipements golfiques de grands hôtels à Marrakech, puis à Agadir et ailleurs. Il a aussi cité le développement de sports aquatiques à Essaouira, Larache, Dakhla, ... De quoi mettre en relief de fortes capacités en termes d'images. Il a encore évoqué le nombre de clubs sportifs, de fitness dans les villes. "Tout cela traduit une dynamique, et donne de la fraicheur au produit touristique traditionnel marocain". C’est insuffisant.

Il y a sans doute de grands évènements sportifs de renom international (Rallye de l'Atlas, Aïcha des Gazelles, Marathon des Sables...). Mais cela doit être appuyé en se prolongeant dans la "promotion des activités sportives, tourisme et sports sont liés". Il faut cibler d’autres grands événements sportifs parce qu'ils drainent des spectateurs ; commercialiser également des activités sportives particulières, de "niche" (randonnées, trekking, canyoning) ; ou encore les sports équestres.

La question de l'exploitation du grand stade de football de Marrakech a été débattue : il offre la possibilité à des équipes, les conditions climatiques dans leurs pays respectifs étant rudes durant l’hiver. Ce modèle a été lancé par la station turque d’Antalya - avec un grand succès.  Le succès du "Rallye Aïcha des Gazelles" est ainsi un bel exemple de réussite depuis une trentaine d'années : il a commencé avec 9 équipages ; en 2021, leur chiffre a été de 195 dont 12 nationaux. Leïla Ouachi a livré son témoignage sur le "boom" de Dakhla : les nuitées ont été multipliées par cinq en dix ans avec un total de 16.000 et un taux d'occupation de 90%; la capacité d’hébergement a grimpé de 900 lits en 2016 à 2300 en 2022, dont 2000 dans les établissements classés. Cette ville s'affirme comme destination sportive avec une forte visibilité sur les marchés étrangers (Espagne, France,…) en tant que label "Sport Nature". La manifestation "Asahraouia" complète cette image : elle ravive aussi les traditions locales et la place accordée à la femme. Ali Horma, autre professionnel installé, lui, dans la ville ocre est "Monsieur Circuit automobile Marrakech", baptisé depuis douze ans "Circuit Moulay Hassan".

Le débat a été élargi à la nécessité de valoriser le potentiel exceptionnel qu'offre le tourisme sportif et partant à l'aide publique. Les investissements du secteur privé ne suffisent pas : tant s'en faut. Les politiques publiques n'ont pas encore mesuré que c'était là un facteur de développement de destinations dans les territoires ainsi que sur les côtes atlantique et méditerranéenne. L'exemple a été donné d'une étude commanditée par Neila Tazi à un bureau d'études à propos des retombées du Festival Gnaoua: un dirham investi génère17 dirhams dans l'économie de la ville d'Essaouira. L’idée a été avancée d'une grande manifestation sportive par région, à l'instar de ce que l'on voit dans les grands pays touristiques (France, Espagne Italie). Il faut également associer les citoyens à travers un maillage associatif et même des fondations comme c'est le cas pour le Marathon des Sables ou le Rallye Aïcha des Gazelles. Toute une ingénierie des grands évènements est à élaborer et à mettre en œuvre… 

Mais il y a plus. Il s'agit de l'implication de l'Etat et des institutionnels publics dans une nouvelle approche du tourisme et du sport. L’état d’esprit reste passablement rétif à l'endroit des entrepreneurs privés dans ce secteur. Le partenariat public-privé, tellement mis en avant dans le discours gouvernemental, n'a pas encore une traduction significative dans ce secteur. Or, un business model attractif et rentable est difficile s'il ne s'adosse pas à des mesures incitatives, à un accompagnement et à la prise en compte des spécificités et de la complexité de ce secteur.

Plus d'efficience de l'investissement public

L'Etat doit veiller à plus d'efficience de sa politique d’équipement et d'infrastructures sportifs. De gros investissements sont pourtant réalisés mais sans une véritable vision. L'exemple qui a été donné est celui de "La Cité des Sports de Tanger". Un méga chantier qui a été réalisé. Avec un stade de 45.000 places devant être porté à 70.000, un court central de 4.000 places, 10 courts, 2 salles omnisport, 2 grandes piscines. Le tableau est enchanteur et enviable: mais comment est-il utilisé ? Il n'est pas adapté aux besoins réels - dans le vocabulaire consacré, l'on appelle cela" une usine à gaz...".

L’argent public n'est pas optimisé. La question des ressources humaines est tout aussi problématique. En atteste l'inflation et la prolifération de "coachs", par milliers, la majorité d'entre eux n'ayant pas les exigences professionnelles requises. Une profession qui n'est pas vraiment réglementée. Or, il faudrait assainir ce secteur, pousser à la détermination des besoins du marché, revoir la formule actuelle des diplômes d'Etat et faire globalement une nouvelle politique de ressources humaines et de compétences. Des motifs d'encouragement et de satisfaction ne manquent pas cependant dans la mise en valeur du sport : la place et la visibilité du football féminin, le standard international de l'Académie du Sport Rabat-Maâmora. L'athlétisme marocain a eu ses heures de gloire ; le football aussi dans les programmes africains et dans la perspective de la Coupe du Monde à Doha en novembre prochain. Mais Tour cycliste du Maroc a perdu son lustre alors que dans le passé il était bien classé à l'international.

Le sport intégré au tourisme est une valeur ajoutée. C'est "la force de l'image" a conclu Mehdi Alaoui. Il est rassembleur, fédérateur et renforce le lien social". Le sport, a-t-il ajouté, doit être un droit, une culture aussi". Il a été enfin décidé de prochaines assises nationales sur cette thématique lesquelles seraient préparées par des rencontres régionales entre de professionnels. Une ambition, de l'espoir aussi - un challenge à relever...

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