chroniques
Le guérillero et les gringos
Ecrivant cette chronique, j’oublie que je suis Marocain et j’inscris dans mon amnésie les menées de Castro au Sahara aux cotés d’Alger et du Polisario
Le décès de Fidel Castro n’a surpris personne, mais a ému tout le monde. Enfin presque si l’on excepte Donald Trump, ses semblables et leurs ersatz. Depuis sa chute en public en décembre 2004, il aurait dû quitter la table, sans se retourner… Mais c’est la faiblesse des hommes, et Castro est un homme, de s’accrocher à cette chimère qu’est la vie qui, quoi qu’il advienne, un jour vous laisse tomber. Il n’en reste pas moins un mythe et une légende. Difficile, si ce n’est impossible, de dire ce qu’aurait été Cuba, si à l’avènement de Castro et de sa révolution, les Etats-uniens n’avaient pas imposé à l’ile un implacable embargo auquel elle n’aurait jamais survécu si la glorieuse et défunte Union Soviétique de Khrouchtev et Brejnev ne l’avait portée à bout de bras. La petite histoire veut que le Lider Maximo à ses débuts n’était pas communiste, mais un patriote révolté contre la dictature de Batista et la main mise des Américains sur Cuba. Dans tous les discours de ses débuts, le camarade Fidel s’en défend et nie son communisme, mais il en faut un peu plus pour convaincre ses adversaires. Ils n’en démordront jamais : c’est un cryptocommuniste qui cachait son jeu pour mieux couvrir, dans cette ambiance de guerre froide, les menées du KGB soviétique déjà à l’œuvre dans les rangs des révolutionnaires cubains.
Communiste ou pas, Fidel fait bien plus que déranger Washington. Tout dans sa configuration intellectuelle et l’action qui en découle, est fait pour ne pas plaire à la Maison Blanche et ses officines qui, hier comme aujourd’hui, ne peuvent supporter quiconque remet en cause leur hégémonie sur le monde ou risque de lui porter ombrage. A fortiori Cuba, géographiquement et idéologiquement une épine dans la plante des pieds du géant américain. Ecrivant les mots qui suivent, j’oublie que je suis Marocain et j’inscris dans mon amnésie les menées de Castro au Sahara aux cotés d’Alger et du Polisario : En s’insurgeant contre le colosse yankee, en lui tenant tête au-delà de toute espérance, Fidel devient, bien mieux qu’une icône, la muse du tiers monde des années soixante et soixante-dix en effervescence contre le colonialisme, le néocolonialisme, la bourgeoisie compradore et l’impérialisme. Le chinois Mao qui a jeté les bases de la Chine d’aujourd’hui inspira les révolutions et les révolutionnaires. Le vietnamien Hô Chi Minh qui a causé aux Américains, en alliance fusionnelle avec les Viêt-Cong, le choc post traumatique le plus grave de l’histoire des Etas Unis, fut une école à suivre. Sans jamais égaler dans l’imaginaire de la génération pour laquelle ne pas être communiste à vingt ans, c’était ne pas avoir de cœur, ce que furent Fidel et son compagnon Le Che, le guérilléro sans patrie, assassiné en Bolivie par la CIA en 1968. Indissociables figures de la révolte contre la tyrannie, ils ont laissé, malgré la longévité de l’un et la mort prématurée de l’autre, le souvenir de deux despérados en lutte contre les gringos, images paradoxalement popularisé par le western américain.