Un an après Toufane Al-Aqsa : Israël réussira-t-il à redéfinir le Moyen-Orient ? Par -Bilal Al-Talidi

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Frappe aérienne israélienne qui a visé un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, le 6 octobre 2024. (Photo STRINGER / AFP)

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Un an après le 7 octobre, une grande question se pose : que se passera-t-il après Toufane Al-Aqsa ? La situation stratégique au Moyen-Orient a-t-elle changé en faveur d'Israël ou du Hamas ? Israël a-t-elle atteint ses objectifs ? 

En réalité, il est très difficile de répondre à cette question, en raison de l'ambiguïté des objectifs de Tel Aviv et des raisons qui ont poussé le Hamas à mener une action humiliante pour l'armée israélienne et ses services de sécurité dans l'enclave de Gaza, capturant plusieurs soldats et prenant des civils en otage.

Hamas, quels objectifs

Si l'objectif de la résistance était de ramener la question palestinienne au centre de l'attention et de réveiller la conscience mondiale en faveur du droit du peuple palestinien à la liberté, à la levée du blocus et à l'autodétermination, elle a réussi. Cependant, cela a été fait à un coût civil exorbitant et sans précédent, en plus de la destruction des deux tiers de la bande de Gaza. Ce coût est d’autant plus élevé qu’il est devenu clair que l’éveil de la conscience de l’humanité, bien qu'à une échelle mondiale, n'a que peu influencé les décisions politiques américaines et européennes et encore moins israéliennes. Et les faits montrent que Washington a intelligemment manœuvré sur le terrain diplomatique (propositions de cessez-le-feu et relance de négociations dilatoires), retardant ainsi une frappe contre l'Iran tout en réduisant la pression internationale sur Israël et lui procurant en définitive tout le temps nécessaire pour son entreprise de destruction massive.

A autre niveau, il n’est pas plus insensé de supposer que l'intention de la résistance était de pousser l'Iran à s'impliquer davantage dans le conflit, tant Hamas, sous la direction de son ancien chef Khaled Mechaal, avait souvent critiqué Téhéran pour le manque de cohérence entre ses paroles et ses actes. Si en conséquence son objectif était de faire changer la stratégie de l'Iran, qui utilise la cause palestinienne pour améliorer sa position de négociation en vue de la levée des sanctions et d’un nouvel accord nucléaire, en vue de l’impliquer directement et concrètement dans le conflit, il devient envisageable de considérer que l’objectif a été plus ou moins atteint. Après la frappe iranienne, il est apparu clairement que Téhéran avait complètement abandonné sa politique de « patience stratégique » et était entré dans une nouvelle phase sous le signe de : « Si vous voulez éviter une guerre totale, vous devez faire un pas vers elle. »

Les intentions réelles d’Israël

Nous ne savons pas avec certitude quelle est la stratégie israélienne, bien que des responsables américains aient déclaré que Tel Aviv n'a pas de vision claire pour l'après-conflit, la destruction de Gaza, la prise de Rafah et le contrôle de l'axe de Philadelphie. Cependant, de telles déclarations peuvent jouer en faveur de Tel Aviv en semant la confusion, dissimulant ainsi ses véritables intentions, surtout si l'objectif est un plan d'éradication progressive et de déplacement des populations selon un plan méthodique.

D'un point de vue militaire, par rapport aux objectifs annoncés par Tel Aviv, rien n'a été accompli. Israël n'a ni détruit le Hamas et les factions de résistance palestiniennes, ni libéré les otages, ni amélioré la sécurité dans la périphérie de Gaza pour permettre aux colons de retourner dans leurs maisons.

Sur le plan stratégique, il y a beaucoup d'incertitudes quant aux intentions d'Israël dans la région. Depuis le début, Israël a évité une guerre généralisée, a refusé de tomber dans le piège des fronts multiples, et a choisi de commencer par Gaza avant de passer au Liban. Mais aujourd'hui, Israël se bat sur deux fronts : après avoir déployé des troupes dans le sud du Liban tout en maintenant deux brigades à Gaza, elle fait face à la possibilité d'une implication iranienne directe dans une guerre totale, avec six fronts simultanés : la Palestine, le Liban, le Yémen, la Syrie, l'Irak et l'Iran.

Israël, en décidant de frapper l'Iran, a élevé la barre très haut, affirmant que le programme nucléaire iranien, les installations pétrolières et certaines bases militaires sont des cibles légitimes. Israël a promis une réponse si massive qu'elle rendrait toute riposte iranienne impossible. Cependant, il semble qu'Israël ne veuille pas, pour l'instant, se confronter l'Iran directement et préfère en finir avec le Liban, pour ensuite se tourner vers la Syrie et les autres fronts, et laisser l'Iran pour la dernière étape. 

Les menaces israéliennes pourraient aussi être un moyen de pression sur les États-Unis et les Européens pour obtenir plus de soutien à une stratégie israélienne menée par l'extrême droite, sans que personne ne sache vraiment où cela mènera. Ce Washington semble avoir bien saisi en offrant à Tel Aviv des compensations et un soutien militaire supplémentaire pour éviter une riposte contre Téhéran.

Sur le plan militaire, cette fois sur le front libanais, Israël a remporté un succès tactique majeur en frappant la direction du Hezbollah, en détruisant des équipements de communication et en assassinant plusieurs responsables de l'élite du groupe « Radwan ». Cependant, sur le terrain, l'armée israélienne, au bout de sept jours de tentatives pour pénétrer en territoire libanais, n'a pas réussi à percer les défenses du Hezbollah et a reconnu officiellement avoir subi de lourdes pertes. Les frappes aériennes ont ensuite ciblé de manière systématique les quartiers résidentiels du sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.

Un avenir peu lisible et des perspectives incertaines

Sans doute le 7 octobre a marqué un tournant dans la stratégie de la résistance, qui a commencé à cibler directement la sécurité intérieure israélienne, en menant des opérations à Jaffa et Tel Aviv, et en tirant des roquettes sur Haïfa et Tel Aviv, faisant plusieurs morts et blessés, selon les premières estimations de l'armée israélienne. En réponse, la résistance a réveillé les mêmes préoccupations et angoisses sécuritaires que celles exploitées par Benjamin Netanyahu pour renverser le gouvernement de Yair Lapid.

L'analyse des deux stratégies opposées ne laisse pas présager un retour rapide aux négociations pour un cessez-le-feu, même dans le cas du Liban, où le secrétaire général du Hezbollah, avant son assassinat, avait accepté la proposition américano-française de cessez-le-feu temporaire de trois semaines. Les factions palestiniennes et libanaises ont en conséquence déclaré qu'elles ne céderaient pas aujourd'hui ce qu'elles avaient refusé hier. Rien de ce qu'Israël n'a pu obtenir par la guerre ne pourra être obtenu par la négociation. La solution passera inévitablement par un cessez-le-feu, le retrait d'Israël de Gaza, la levée du blocus et un accord équitable pour la libération des prisonniers et « otages ».

En face, le langage du Premier ministre israélien et de son ministre de la Défense suggère qu'Israël s'est affranchie de sa doctrine militaire de la guerre éclair, ou des conflits de courte durée, pour choisir, avec le soutien intensif américain et européen, une guerre longue, visant à éradiquer toutes les menaces sécuritaires, et à redéfinir un Moyen-Orient sans Palestine, comme l'a évoqué Benjamin Netanyahu dans son discours à l'Assemblée générale des Nations Unies.

S’il semble peu probable qu'Israël réponde à Téhéran dans un avenir proche, elle continuera toutefois de frapper le sud du Liban, détruisant les infrastructures civiles, y compris les hôpitaux, afin de priver le Hezbollah de son soutien populaire et d’installer un climat de désespoir parmi ceux qui espèrent une nouvelle victoire contre Israël, comme ce fut le cas en 2000 et 2006. De son coté, la résistance continuera de jouer sur la peur de l'insécurité « individuelle » pour affaiblir le moral de la population israélienne et provoquer une révolte interne plus forte que celle observée précédemment. Cela se reflète dans les déclarations du maire de Haïfa, après les frappes sur la ville, exhortant Netanyahu à accepter un échange de prisonniers avec les Palestiniens et un cessez-le-feu, signe avant-coureur d'un changement d’attitude plausible.

Tous les indicateurs montrent que la redéfinition du Moyen-Orient selon la vision israélienne est un objectif impossible à réaliser, vu l'incapacité d'Israël à en finir avec les forces militaires de la résistance. Il est probable, si la menace sur la sécurité des citoyens se multiplie et remet en cause la stabilité du gouvernement Netanyahu, qu'Israël sera contraint, dans les prochaines semaines, à revenir à la table des négociations.

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