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A quand un Conseil Supérieur de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire ? - Par Tarik EL MEDLAOUI
Le Maroc a adopté des politiques publiques agricoles volontaristes, notamment le Plan Maroc Vert et Génération Green, et s’il a réussi son pari sur l’exportation de plusieurs filières agricoles, cette réussite pose un problème majeur : elle est hydrovore
Depuis plusieurs années, le Maroc fait face à des conditions climatiques de plus en plus difficiles. Au-delà des épisodes successifs de sécheresse, la température moyenne annuelle ne cesse d’augmenter, entraînant de multiples conséquences, notamment l’assèchement des terres et la diminution préoccupante de nos réserves en eau, en raison de phénomènes tels que l’évaporation accrue.
Ces défis ne sont malheureusement pas nouveaux. Par le passé, sous le règne de feu Sa Majesté le Roi Hassan II, le Maroc a connu des périodes de sécheresse sévères. Pour y faire face, le Royaume a mis en place une politique ambitieuse de construction de barrages à travers tout le territoire, permettant de sécuriser l’approvisionnement en eau pour l’agriculture et la consommation domestique.
Les cultures les plus performantes à l’export sont aussi celles qui consomment le plus d’eau
Si cette stratégie demeure essentielle, elle ne semble plus suffisante face aux défis actuels. En effet, au cours des deux dernières décennies, le Maroc a adopté des politiques publiques agricoles volontaristes, notamment le Plan Maroc Vert et Génération Green. Ces stratégies visaient, d’une part, à développer les filières agricoles destinées à l’export grâce à des subventions et des investissements publics, et, d’autre part, à assurer la souveraineté alimentaire du pays.
Toutefois, les résultats observés aujourd’hui révèlent une situation contrastée. D’un côté, le Maroc a réussi son pari sur l’exportation de plusieurs filières agricoles. De l’autre, cette réussite pose un problème majeur : les cultures les plus performantes à l’export sont aussi celles qui consomment le plus d’eau. Parmi elles, on retrouve la tomate et ses différentes variétés (notamment la tomate cerise), l’avocat, ainsi que les fruits rouges tels que la fraise, la framboise, la myrtille, la mûre et la pastèque.
Plusieurs experts avertis n’ont cessé d’alerter sur cette problématique. Ces cultures sur-consommatrices d’eau battent des records année après année.
En témoigne le cas des fruits rouge. Avec 13 860 hectares plantés en fruits rouges, le Maroc se positionne aujourd’hui comme le 8ᵉ producteur mondial de myrtilles et le 5ᵉ exportateur mondial avec 75 000 tonnes exportées, soit une hausse de 33 % entre 2022 et 2023.
Autre exemple éloquent, celui de la pastèque : 40 % des volumes importés par l’Espagne en 2024 proviennent du Maroc, selon le magazine spécialisé ibérique Hortoinfo.
Le Roi Mohammed VI a, dans son dernier discours du Trône, rappelé l’importance de la coordination entre la politique agricole et la politique hydrique :
“Nous appelons énergiquement à davantage de coordination et de cohérence entre la politique hydrique et la politique agricole, surtout pendant les périodes de pénurie.”
Si aujourd’hui les politiques agricoles ont réussi le pari de l’export et de l’autosuffisance sur le marché marocain, le secteur de l’élevage demeure le grand oublié de ces stratégies. En effet, le Maroc continue d’importer des bovins et des ovins pour répondre aux besoins des citoyens. Ces importations coûtent aujourd’hui très cher à l’État, qui les subventionne via des aides et des exonérations de taxes à l’importation. Malgré ces efforts financiers, les citoyens ne ressentent pas réellement l’impact de ces subventions sur les prix.
Un Conseil Supérieur pour une vision stratégique durable
Face à ces défis, il devient impératif d’adopter une vision globale et concertée de l’agriculture marocaine. La création d’un Conseil Supérieur de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire pourrait être une solution pertinente.
Cette institution, qui devrait être constitutionnelle et rendre directement compte au Chef de l’État, garantirait des orientations stratégiques à long terme, indépendamment des fluctuations politiques de court terme. Son objectif serait de rassembler tous les acteurs du secteur — agriculteurs, experts, institutions publiques et privées — afin d’élaborer des politiques agricoles plus résilientes face au changement climatique, tout en assurant un équilibre entre production destinée à l’export et sécurité alimentaire nationale.
Le temps presse. Le Maroc ne peut plus se permettre de dissocier politique agricole et gestion durable des ressources naturelles. La mise en place d’un tel conseil représenterait une réponse stratégique aux défis à venir, en conciliant développement économique et préservation de notre souveraineté alimentaire.