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Al Hoceima : “Lalilaskara” ou l’instrumentalisation du mensonge
Ce qui se passe, depuis plusieurs mois à El Hoceima est déroutant. Les contestataires brandissent le slogan « Lalilaskara », littéralement « non à la militarisation », référence à un dahir de 1958, qui avait instauré la région du Rif comme zone militaire. Ils protestent cependant ,et probablement sans le savoir, contre un dahir abrogé il y a 58 ans.
Depuis la mort de Mouhcine Fikri, El Hoceima vit au rythme des contestations contre la militarisation de la région. Les manifestations sont, certes, un droit démocratique inaliénable, mais le cas de la ville d’El Hoceima porte à réflexion. C’est Telquel, citant l’historien Nabil Mouline, qui a tenté en premier de tirer au clair cet amalgame. Dans ce sens, Mouline explique à nos confrères que « Durant les premières années de l’indépendance, Hassan II, alors prince héritier et chef des armées, essayait à tout prix de neutraliser le parti de l’Istiqlal. Il avait pour cela trouvé une formule magique qui consistait à déclarer un certain nombre de provinces comme des zones militaires. La loi martiale était appliquée dans ces zones, ce qui permettait à Moulay Hassan de virer les fonctionnaires qui étaient plutôt pro-Istiqlal et les remplacer par des militaires et des caïds fidèles ».
Tout fin connaisseur de l’histoire du Maroc est capable de remarquer le vague et la confusion qui entourent cette affaire. En réalité, le Rif n’a jamais été l’unique région décrétée comme zone militaire au Maroc, quatre autres Dahirs ont été promulgués par le sultan Mohammed V. La ville de Rabat, par exemple, faisait également partie de ces zones militaires. « Il n’y avait pas que le Rif qui était touché par ce que les manifestants appellent aujourd’hui “al askara”. Il y a d’abord eu un premier décret sur la région de Tafilalet pour mater la rébellion d'Addi Oubihi, puis un deuxième dahir promulgué en octobre 1958, faisant de Rabat une zone militaire. Quelques jours plus tard, ce sera le tour de Taza. Al Hoceima a été la dernière province proclamée zone militaire par dahir », note l’historien et l’auteur d’un article intitulé « Qui sera l’État? Le soulèvement du Rif reconsidéré (1958-1959) », qu’il publie en 2014 déjà.
El Hoceima n’a jamais donc été dans la ligne de mire de l’Etat, mais elle était plutôt considérée comme « dommage collatéral des luttes que se livraient les différents acteurs pour monopoliser le pouvoir », souligne Mouline. Ce dernier explique d’ailleurs que ce dahir a été abrogé une année plus tard, « Suite à ce qu’on a appelé le soulèvement du Rif (1958-1959), Mohammed V a promulgué un dahir en 1959 où il a nommé un nouveau gouverneur civil à Al-Hoceima au lieu du gouverneur militaire qui a été mis en place une année auparavant. Il a ainsi automatiquement abrogé le précédent dahir », fait savoir la même source.
Qu’en est il donc de toutes ces personnes sorties manifester contre un dahir abrogé 58 ans auparavant ? Qu’en est-il également de ces politiciens, à l’instar d’Ilyass El Omari, secrétaire général du PAM et président de la région Tanger - Tétouan - Al Hoceima, qui a déclaré dans une publication sur Facebook avoir « alerté » le ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, sur « la nécessité d’abroger le dahir de la militarisation ». A ce sujet, Mouline explique que c’est de la pure « démagogie ». Il a également confié que «certains des leaders du mouvement social rifain sont victimes de leur modeste niveau de formation politique », avant d’ajouter qu’« on ne mobilise pas les gens en s’appuyant sur des bêtises. Les leaders de ces manifestations sont pris dans un engrenage où ils cherchent la mobilisation par tous les moyens ».