National
Cartographie des Établissements Économiques 2023-2024 : tertiarisation et domination de la petite entreprise - Par Abdeslam Seddiki

La région Tanger-Tétouan-Al Hoceima se caractérise par une dynamique industrielle accélérée ces dernières années et par une rare effervescence économique et urbaine. les activités économiques ont tendance à migrer des centres traditionnels vers les Centres commerciaux modernes. Par contre, les zones industrielles n’ont connu qu’une faible dynamique par rapport à 2002 dans la mesure où le lieu privilégié de la localisation de l’activité demeure le quartier urbain
Recensement économique 2024 : un miroir de l'évolution du tissu productif marocain. Le Haut-Commissariat au Plan vient de publier les résultats détaillés de la Cartographie des Établissements Économiques 2023/2024. Entre tertiarisation croissante, domination des micro-entreprises et progression de l'emploi féminin, cette étude, en conclut Abdeslam Seddiki, met en lumière les transformations et les défis de l’économie marocaine sur deux décennies.
Dans le cadre des travaux préparatoires du recensement général de la population et de l’habitat 2024, le Haut-Commissariat au Plan a procédé à l’élaboration d’une Cartographie des Etablissements Economiques (CEE) 2023/2024 dont les résultats détaillés, hors secteur agricole, viennent d’être publiés.
Ce travail basé sur un recensement exhaustif, est le deuxième du genre après celui de 2001-2022 réalisé dans le sillage du recensement général de la population et de l’habitat 2004. Il va sans dire que ces rapports revêtent une importance stratégique pour notre pays. C’est un moyen pour les décideurs publics de définir leur politique de développement ; pour les investisseurs privés d’identifier les opportunités d’investissement ; pour les entreprises existantes de connaitre leur poids économique et fixer leurs objectifs en conséquence ; pour les chercheurs en disposant des indicateurs pertinents et fiables nécessaires pour mener à bien leurs études et analyses ; pour les organismes internationaux et les partenaires du Maroc en ayant à leur disposition une information crédible. Les résultats de ce recensement sont déclinés aux niveaux national, régional et provincial, selon le milieu de localisation, l’approche genre, les catégories socio-professionnelles, les secteurs et braches d’activité.
Des comparaison n’est pas toujours possible
Par ailleurs, l’intérêt de ce travail est double. Non seulement Il nous permet de connaitre la configuration économique telle qu’elle se présente en 2024, mais aussi de procéder à une analyse dynamique en comparant ces résultats par rapport à la situation de 2002. Sachant que cette comparaison n’est pas toujours possible dans la mesure où les bases ne sont pas toujours les mêmes. A titre d’exemple, le découpage régional et administratif a changé entretemps : de 16 régions en 2002, on est passé à 12 depuis 2015 ; de nouvelles provinces ont vu le jour. Il en est de même de la nomenclature des activités qui diffère entre les deux recensements dans la mesure où certaines activités disparaissent et d’autres apparaissent conformément à la théorie schumpétérienne de la « destruction créatrice ». Nonobstant ces difficultés, nous procéderons, à chaque fois qu’il est possible, à la comparaison des données relatives aux deux recensements afin de mieux saisir les transformations de la société et de l’économie marocaines et de faire ressortir les facteurs de blocage et d’inertie.
Ainsi, au cours de la période 2023/2024, 1.130.021 établissements économiques à but lucratif ont été recensés sur l'ensemble du territoire national (contre 751000 en 2001-2002). Ces établissements ont occupé de manière permanente près de 3.6 millions de personnes (contre 2,24 millions en 2001-2002), soit une moyenne de 3 actifs permanents par établissement, un ratio quasiment inchangé par rapport à 2002. Le secteur le plus utilisateur de la main-d’œuvre au cours de cette période est celui des services, qui représente 36,0% de l'effectif total employé dans l’ensemble des secteurs d'activité, suivi de l’industrie (29,8%), du commerce (29,6%), et de la construction (4,6%). Si on fusionne le commerce dans les services, ce qui est logique, on obtient un pourcentage de 65,6 %. Les données de 2002 sont légèrement différentes : le commerce en tête avec 56%, suivi de l’industrie (37%), BTP (8%). Ce qui montre bien que le tissu économique n’a pas connu une grande transformation au cours des deux dernières décennies à l’exception de l’émergence des « nouveaux métiers mondiaux » comme l’automobile, l’aéronautique et l’électronique.
Tertiarisation de l’économie
On constate ainsi, une accentuation de la tertiarisation de l’économie au détriment des secteurs productifs. Représentant plus de la moitié des unités de production (52%), le secteur du commerce constitue la première concentration d'établissements économiques, totalisant un volume d'emplois permanents de 1.062.242, soit un taux de croissance annuel moyen de 1,6% depuis 2002. Il est suivi par le secteur des services, qui représente plus de 31 % de tous les établissements et 36 % des emplois permanents, enregistrant un taux de croissance annuel moyen de 3,7 % depuis 2002. En d'autres termes, le tissu économique est dominé par les établissements du secteur tertiaire (82% de l'ensemble des établissements), lequel concentre les deux tiers de la main-d'œuvre employée.
Le secteur industriel, quant à lui, ne représente que 14% du nombre total d'établissements économiques. En revanche, ce secteur est considéré comme un pourvoyeur d'emplois privés au Maroc, avec près de 1.067.872 emplois permanents, soit près du tiers (29,8%) du volume total de main-d'œuvre employée dans l'ensemble des établissements économiques du pays.
Quant aux établissements exerçant leurs activités économiques dans le secteur de la construction, les données de cette opération révèlent une faible participation tant au niveau du nombre d’établissements (3,5%) qu’au niveau de l’emploi (4,6%).
La domination de la micro-entreprise
Par ailleurs, 87% des établissements sont implantés en milieu urbain contre 13% en milieu rural. Au niveau des effectifs employés, les unités de production localisées en milieu urbain contribuent pour 86% contre 14% pour celles localisées en milieu rural. Encore une fois, cette structure demeure proche de celle de 2002, soit respectivement 84%, 16%, 89% et 11%.
Ce tissu économique est fortement dominé par les micro-établissements. Ainsi, les établissements de moins de 10 actifs permanents représentent 97% de l’effectif et emploient 54 % de la main d'œuvre totale. En revanche, les établissements de 10 employés ou plus représentent près de 3% du total d’établissements et regroupent 46% du nombre total d'employés permanents. Encore une fois, cette physionomie du tissu économique n’a pas connu une transformation visible en comparaison aux données 2001-2002 : les unités employant moins de 10 actifs représentaient 98% de l’ensemble et employaient 65% de la main d’œuvre.
Emploi de la femme en progrès mais insuffisant.
Si l’emploi demeure à majorité masculine, il faudrait néanmoins souligner un progrès de la participation de la femme à l’activité économique. Alors que la part de l’emploi féminin représentait en 2001-2002 à peine 17,5% de l’ensemble des actifs, soit moins de 400 000 travailleuses, elle a grimpé à 27,7% en 2023-2024, enregistrant ainsi 10 points de plus. Il n’en demeure pas moins cependant que ce progrès demeure insuffisant dans la mesure où les taux d’activité et d’emploi de la femme sont situés à des niveaux bas par rapport aux pays comparateurs. Le secteur de prédilection de l’emploi féminin est constitué par les services où la présence des femmes représente un tiers des emplois. C’est dans ce secteur qu’on trouve également plus de femmes dirigeantes (cheffes d’entreprise), sachant que 10% des établissements en moyenne sont dirigés par des femmes dont 91% sont des unités de petite taille employant moins de 4 personnes. La moyenne d’emplois par établissement n’est que de 2,5.
Une dynamique territoriale limitée
Concernant enfin les dynamiques territoriales, les activités économiques ont tendance à migrer des centres traditionnels vers les Centres commerciaux modernes. Par contre, les zones industrielles n’ont connu qu’une faible dynamique par rapport à 2002 dans la mesure où le lieu privilégié de la localisation de l’activité demeure le quartier urbain. Ainsi, en 2002, la nouvelle médina abrite, à elle seule, 61% des établissements et 58% des personnes occupées. En 2024, le quartier d’habitation urbain, regroupe 73% des unités économiques et 60% des emplois. Un phénomène qui saute à l’œil quand on se promène dans nos villes.