National
Crise écologique au Maroc : que faire ? - Par Mustapha SEHIMI
Pourquoi pas la création d'un poste de "Défenseur de l'environnement" ? Cette proposition vient d'être faite, il y a quelques semaines seulement en France par le groupe de travail présidé par Jacques Attali. Il y a bien, dans la Constitution de 2011, l'institution du Médiateur. C'est qu'en effet, les intérêts de la nature sont mal représentés devant la justice. Il faut mieux réparer le dommage environnemental. La fonction d'un "Défenseur de l'environnement" serait de veiller à l'application du d
La crise écologique présente une grande ampleur, d'ordre planétaire : changement climatique, menace sur la biodiversité et pollution globale. En l'état, la parade mondiale prévue par l'Accord de Paris, en décembre 2015, face à un réchauffement planétaire de 1,5°C avec toutes ses conséquences paraît bien incertaine et inopérante. Les politiques publiques de la majorité des Etats reflètent globalement un échec.
Qu'en est-il au Maroc ? Marrakech a accueilli, la COP 22, un an plus tard, en novembre 2016. Un signe fort du Royaume traduisant la vision royale d'une mobilisation nationale, africaine et internationale pour une stratégie tournée vers la réduction des changements climatiques. Six ans après, le bilan reste bien modeste... Au Maroc, la question écologique présente une particularité: elle n'est pas vraiment prise en compte par les partis politiques : tant s'en faut. Si l'on examine de près les programmes des partis politiques, la référence qui y est faite à l'occasion se résume à des généralités sans grande portée. Dans cette même ligne, l'on peut s'interroger pourquoi une formation politique n'a pas investi totalement cette problématique en l'assumant pleinement. Dans la liste des 34 partis, aucun d'entre eux ne se déclare "vert"... Il y a bien eu, dans les années 80, un embryon ; puis dans les années 2.000, le parti de l'environnement et du développement (PED), fusionné en 2009 avec quatre autres pour créer le Parti Authenticité et Modernité (PAM); enfin, en 2017, un nouveau venu, le Parti de l'environnement et du développement durable (PEDD). Est-il audible ? Il n'a eu aucun siège aux élections législatives du septembre dernier.
Volontarisme royal
Aujourd'hui, ce qui frappe c'est le volontarisme au plus haut niveau de l’Etat – le Roi - d'une économie verte, sur la base d'une transition accélérée réunissant ces traits : une économie sobre en carbone ; des modes de production décarbonée, responsable et durable ; des énergies renouvelables. Le Nouveau Modèle de Développement (NMD) n'a pas manqué, dans ses propositions d'axes stratégiques, de faire des recommandations en appelant à "préserver les ressources naturelles" et à renforcer 1a résilience des territoires au changement climatique". Comment ? Par le renforcement de la gouvernance des ressources naturelles ; le développement de l'agriculture en intégrant pleinement les contraintes à sa durabilité; une meilleure exploitation du potentiel de l'économie verte et de l'économie bleue; la protection de la biodiversité et des écosystèmes forestiers comme levier de la politique de durabilité. Dans cette perspective, la préservation des ressources en eau est une grande priorité (valorisation, gestion plus rigoureuse de sa rareté, tarification appropriée, rationalisation des usages,...).
Ce qui est à l'ordre du jour ce n'est pas tant de savoir quelles sont les actions à mener mais plutôt ceci : comment les mettre en œuvre. Comment ne pas relever à cet égard le faible intérêt environnemental de la prise de décision politique et économique ? Un décalage existe entre l'horizon de court terme des décideurs et les exigences de long terme de l'action en matière d'environnement. Un auteur a appelé cela la "tragédie des horizons" - une référence aux premiers limités dans leur action par les échéances électorales, et aux seconds sous la vigilance des marchés. Une véritable transition avec l'ampleur des mesures requises fait courir le risque d'impopularité et partant d'un trend baissier pour les résultats des entreprises. Il conviendrait sans doute de mieux intégrer l'intérêt de la protection de la nature à la prise de décision. Cette exigence concerne à la fois les politiques publiques, les décisions des entreprises et les choix des consommateurs.
Pour un" Défenseur de l'environnement"
Pourquoi pas la création d'un poste de "Défenseur de l'environnement" ? Cette proposition vient d'être faite, il y a quelques semaines seulement en France par le groupe de travail présidé par Jacques Attali. Il y a bien, dans la Constitution de 2011, l'institution du Médiateur. C'est qu'en effet, les intérêts de la nature sont mal représentés devant la justice. Il faut mieux réparer le dommage environnemental. La fonction d'un "Défenseur de l'environnement" serait de veiller à l'application du droit existant par l'administration et à représenter la nature, notamment devant les juridictions. Il devrait être une nouvelle autorité, autonome et distincte.
Mais il y a plus. Référence est faite à la création de directions de la transition écologique dans les grands départements ministériels. Celle-ci est transversale et elle doit être inscrire du cœur de chacune des politiques publiques. Alors que des brandes entreprises disposent désormais d'une direction "RSE" - voire de "développement durable"- une telle fonction n'a quasiment pas d'équivalent dans les administrations et les ministères.
Dans les entreprises, s'impose le renforcement des directeurs RSE aux attributions élargies à 1a protection de l'environnement. Les mesures à proposer doivent permettre aussi de mieux respecter le principe d'égale concurrence entre les entreprises, et ce à l'heure des engagements de réduction d'émission de gaz à effet de serre. Par ailleurs, pourquoi ne pas instituer une fiscalité écologique ou verte frappant des comportements ayant des incidences négatives pour l'environnement dans le but de les réduire et d'encourager les comportements vertueux ?
Une "règle d'or climatique" dans la Constitution
Le rôle de l'éducation et de la formation n'est pas à minorer. Au-delà des textes de loi, il est fondamental d'œuvrer à la sensibilisation de tous, et en particulier des responsables publics et privés. Ils doivent en effet être pleinement conscients des enjeux en termes de préservation des équilibres naturels. Pourquoi l'écologie n'aurait-elle pas sa place, au même titre que d'autres disciplines, dans les programmes scolaires, ainsi que dans ceux de 1a formation continue ou des grandes écoles ? Enfin, cette dernière proposition : la consécration dans la Constitution d'une "règle d'or climatique ". Aujourd'hui, l'on dispose de la loi -cadre N° 99-12 relative à la Charte nationale de l'Environnement et du Développement durable du 6 mars 2014 et d'autres textes moins normatifs (Stratégie nationale de protection de l'environnement, Stratégie nationale de développement durable).
Mais peut-on prétendre faire de la lutte contre la crise écologique un enjeu majeur pour notre société et s'abstenir de la mentionner et de la consacrer dans notre loi suprême ? Cela ne pourrait que peser sur les pouvoirs publics en donnant une base constitutionnelle de prise en compte de la protection du climat dans l'ensemble des politiques publiques. Une formule optimale de conciliation de la protection, de la mise en valeur de l'environnement, du développement économique et du progrès social . Qui dit mieux !