Des diagnostics à satiété – Par Bilal TALIDI

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Cette ''diagnosticité'' aigue conduit à se demander ce que l’on attend précisément de ces nouveaux diagnostics ? Quel en est l’intérêt ? Y a-t-il eu des changements rendant caducs les diagnostics précédents ou qui en auraient modifié la configuration générale au point de faire perdre tout sens à la Vision stratégique ?

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A considérer le bilan des politiques de réformes du système éducation-formation, l’on est frappé par le nombre des diagnostics à satiété qui étrangement se poursuivent jusqu’à nos jours au détriment de ce qu’est l’objectif d’un diagnostic : déterminer les inputs potentiels de la réforme, en déduire des priorités claires à élaborer sous forme d’une vision et de mesures concrètes à mettre en œuvre selon un agenda précis.

Il y a quelques jours, deux ministres concernés par le système éducation-formation ont lancé deux initiatives de diagnostic. 

Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation Abdellatif Miraoui a annoncé le lancement de séances d’écoute et de consultation pour la co-construction du Plan National d’Accélération de la Transformation de l’Écosystème de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation. 

Celui de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports Chakib Benmoussa a lancé une plateforme de consultation destinée à recueillir les avis et propositions des citoyens sur les moyens d’atteindre l’école à laquelle ils aspirent et qui réponde à leurs attentes.

Sur le principe, il n’y a rien à redire. Le diagnostic constitue l’entrée fondamentale de toute entreprise de réforme. Mais il y a problème dès lors que l’on se retrouve devant des diagnostics successifs, qui aboutissent à une loi-cadre adoptée par l’Etat avec l’adhésion de l’ensemble des partenaires en vue de sa mise en œuvre, pour finir en document de plus dans le courant ininterrompu des diagnostics qu’on relance de plus belle.

Cette ‘’dignosticite’’ aigu conduit à se demander ce que l’on attend précisément de ces nouveaux diagnostics ? Quel en est l’intérêt ? Y a-t-il eu des changements rendant caducs les diagnostics précédents ou qui en auraient modifié la configuration générale ? 

En 2008, le Conseil supérieur de l’éducation, de la Formation et de la Recherche scientifique (CSFERS), par la voie de son Instance nationale d’Evaluation du Système d'Education, de Formation et de Recherche scientifique (INE), a lancé une opération sans précédent de diagnostic du système éducation-formation, dont les résultats ont été publiés en quatre volumes. 

Le premier a livré une vision horizontale et synthétique des traits généraux du système éducation-formation, en a détaillé les carences et les succès et précisé les contraintes, tout en présentant avec moult détails les voies possibles de la réforme. 

Le deuxième a donné un diagnostic analytique et une évaluation globale des performances quantitatives et qualitatives de l’institution scolaire. Elle a couvert l’accès à l’éducation, l’égalité des chances, l’acquisition des connaissances et des aptitudes de base, outre l’apport du système éducation-formation au développement du pays en rapport avec les ressources qui lui sont consacrées. 

Le troisième comporte une importante base de données sous forme d’un Atlas graphique et cartographique regroupant 100 indicateurs de performance quantitative et qualitative du système éducation-formation ?

Le quatrième volume s’est attaché à l’évaluation des métiers de l’enseignement, avec un focus particulier sur les ressources humaines et l’ensemble des facteurs qui s’y rapportent.

En 2014, le CSFERS a lancé des consultations élargies avec l’ensemble des acteurs de l’école, les parties concernées et bénéficiaires, les partenaires, les départements responsables de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, et tous ceux parmi les experts ayant un avis sur le sujet, l’objectif étant de mettre en œuvre les instructions royales relatives à l’élaboration d’une vision stratégique de la réforme du système éducation-formation. La finalité de ces consultations-diagnostics élargies consistait, selon le CSFERS, en «un examen de conscience» au sujet de la réalité de l’école marocaine et de ses perspectives d’avenir.

La même année, l’Instance nationale d’Evaluation du Système d'Education, de Formation et de Recherche scientifique, relevant du CSFERS, a publié un rapport de diagnostic sur l’application de la Charte nationale d’éducation et de formation.

Ces diagnostics multiples et successifs ont suivi deux trajectoires. La première a concerné de manière récurrente la réalité du système éducation-formation et les voies possibles de réforme. La seconde a porté sur l’évaluation de plus d’une décennie de l’application de la Charte nationale d’éducation et de formation. L’objectif en était de préciser le triptyque des acquis, des obstacles et des défis afin d’épargner à la Vision stratégique le sort qui fut réservé à la Charte nationale d’éducation et de formation.

Dans cette kyrielle d’études et de concertations, on ne saurait éluder les consultations élargies menées par la Commission spéciale sur le modèle de développement ayant couvert le secteur de l’éducation-formation et dont le rapport a évoqué les principales entrées à une réforme du système.

Fort heureusement que cet énorme capital de diagnostics ayant concerné l’ensemble des composantes du système éducatif n’a pas été uniquement consigné dans des rapports, mais s’est transformé en Vision stratégique de réforme (2015-2030) présentée au Roi qui, en 2015, a ordonné sa conversion en loi-cadre contraignante, afin de mettre cette Vision à l’abri des applications sélectives et de l’exploitation politique des gouvernements successifs.

L’on dispose aujourd’hui de ce qui vaut plus qu’un diagnostic, d’une Vision stratégique et d’une loi-cadre qui représente le condensé du consensus des élites politiques sur la mise en œuvre de la Vision stratégique, subordonnée au calendrier que cette même Vision a défini comme délais pour sa concrétisation (15 ans).

C’est dire que les données disponibles ont débouché sur bien plus qu’un diagnostic, une Vision stratégique, et disposons d’une loi-cadre produit d’un consensus général sur sa mise en œuvre dans les délais requis (15 ans).  Rien donc ne dicte de nouveaux diagnostics ou de nouvelles consultations, sinon la projection de la Vision stratégique à l’horizon 2030 perdrait tout son sens.  

Les ministres en charge de départements nouveaux pour eux ont peut-être besoin de ce genre de diagnostics afin de de mieux cerner un domaine dont ils n’auraient pas une connaissance détaillée, mais ces diagnostics ne devraient pas dépasser le cadre des rencontres informelles avec les parties susceptibles d’être utiles dans cette démarche. 

Mais de là à lancer des consultations-diagnostics pour parvenir aux mêmes résultats de diagnostics antérieurs très précis par ailleurs, qui de surcroit ont été menés par des institutions constitutionnelles, l’on est légitimement fondé de s’interroger non seulement sur l’utilité de ces opérations, mais aussi sur l’utilité même de l’existence d’une Vision stratégique ou d’une loi-cadre.

Le Maroc a peut-être la chance de s’être doté d’un document officiel jouissant de l’unanimité des partenaires en matière de réforme du système éducation-formation. Il est encore plus heureux de disposer d’une loi-cadre qui contraint les acteurs politiques aux commandes du gouvernement à ne pas aborder la Vision stratégique de manière sélective ou en fonction d’interprétations qui servent des intérêts idéologiques. Cette chance, qui représente une opportunité, peut toutefois devenir une menace si l’on devait jeter aux orties tout le capital cumulé en la matière et revenir aux premières étapes qui ont servi de plateforme à cette réalisation historique.

 

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