FRANCE : ET LES ARCHIVES MAROCAINES ? Par Mustapha SEHIMI

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Le rapatriement des documents de l'administration du protectorat se distingue par sa lenteur. Durant la période 2008-2021, sur un total de 20 millions attendus seulement 3.795.781, sont revenus dans le Royaume

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Lors de son voyage à Alger du 25 au 27 août, le président français, Emmanuel Macron s'est attelé à évoquer de nouveau les voies de l'avenir avec le pays voisin. Une histoire partagée avec tant d'épreuves liée à une colonisation plus que séculaire (1830–1962). Un fonds de commerce servant de "rente mémorielle" à un régime politico-militaire", selon ses propres termes. 

Que faire du passé ? Pas de repentance, proclame le locataire de l'Elysée, mais autre chose : la vérité sur ce qui s'est passé. Une commission ad hoc mixte va être créée, avec des historiens et des personnalités qualifiées, pour tenter d'enclencher une nouvelle approche. Il est question désormais d'apaisement et de purge d'un contentieux mémoriel...

Pareille approche passe par la récupération des archives. Une problématique qui intéresse aussi le Maroc au premier chef. Où en est ce dossier ?

Lenteur du rapatriement

Force est de faire ce constat: le rapatriement des documents de l'administration du protectorat se distingue par sa lenteur. Durant la période 2008-2021, sur un total de 20 millions attendus, moins de 20 % d'entre eux, soit exactement 3.795.781, sont revenus dans le Royaume. Avec du retard, le Maroc s'est doté voici une quinzaine d'années d'une institution stratégique dans ce domaine. Dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière, celle-ci a été baptisée Archives du Maroc, créée en 2007 par la loi relative aux archives. Elle est chargé de "sauvegarder le patrimoine archivistique national et assurer la conservation, l'organisation et la communication des archives publiques". Son directeur, Jamaâ Baïda, nommé par SM le Roi en 2011, était enseignant -chercheur à l'Université Mohammed V de Rabat. Il a été aussi secrétaire général de l'Association marocaine pour la recherche historique (AMRH) et ancien directeur de la revue La Recherche Historique.

La notion d'archives - publiques en l'espèce - appelle des précisions. L'on a en effet affaire à trois types : les archives courantes (documents administratifs), les archives intermédiaires d'organismes et les archives définitives à l'expiration d'un délai de conservation, les seuls documents conservés par Archives du Maroc. Un gros travail reste à entreprendre en la matière : 33 % des administrations marocaines ne disposent pas encore d'une structure administrative dédiée ; et 38 % d'entre elles seulement ont développé des programmes de numérisation de leurs archives.

Un autre pan intéresse cotte fois les archives marocaines en France. Et là, il faut bien le dire, les autorités de Paris freinent et bloquent même l'accès aux archives de la période coloniale et du protectorat pour ce qui regarde Le Maroc. Le président Macron fait volontiers de l'affichage politique mais sans tellement de concrétisation significative. Des associations spécialisées françaises (association des historiens contemporanéistes, association des archivistes français) ont ainsi réagi en portant un recours devant le Conseil d'Etat, le 15 janvier 2021. Elles ont mis en cause l'acception large donnée par l'administration française et le Premier ministre à la notion de "secret défense", en particulier dans son instruction du 13 novembre 2020. L'accès aux archives ne concerne pas les seuls chercheurs et historiens, c'est aussi une question démocratique comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel français (Décision n° 2017-655, QPC, 15 sept.2017, "Accès aux archives publiques").

Titres territoriaux et frontières

Cela dit, le gros du fonds archivistique, pour ce qui intéresse le Maroc, se trouve au Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN) qui conserve les archives rapatriées des services extérieurs (ambassades,...) et celles des protectorats au Maroc et en Tunisie ainsi que du mandat en Syrie et au Liban. Le transfert d'archives concerne des rapports entre Etats régis par le droit international lesquels cependant sont non écrits, basés sur la pratique des Etats, surtout d'origine coutumière. Par archives d'Etat, la Commission du droit international (CDI) - organe de l'ONU -avait proposé cette définition : tous les documents détenus par l'Etat colonial ou protecteur (documents administratifs, registres des tribunaux, et de 'état civil, plans cadastraux, photos, films, gravures, enregistrements sonores...). Il faut y ajouter tout ce qui a trait aux titres territoriaux ou aux frontières ou encore ce qui est nécessaire à l'interprétation des documents à transférer.

Il s'agit là de respecter le droit des peuples des Etats concernés au développement, à l'information sur leur histoire et à leur patrimoine culturel. Un droit nouveau, consacré par l'UNESCO : les archives représentent un élément important de l'héritage culturel des peuples. C'est un droit au recouvrement des archives. Pour être complet, il faut préciser que selon la pratique internationale, cette règle ne supporte qu'une exception : celle de documents requis susceptibles d'affecter la sécurité ou la souveraineté de l'Etat requis, en l'occurrence la France. Qui peut soutenir sérieusement qu'en appelant au rapatriement de ses archives, le Maroc relève de ce cas de figure ? C'est d'autant plus vrai pour des archives remontant pratiquement à la première moitié du siècle dernier portant sur la parenthèse du protectorat (1912-1956). Un dossier à suivre...

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