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La vanité de Abdalilah Benkirane
L’action Benkirane est chahutée sur le marché politique est une évidence. Ses alliées sont sceptiques et ses amis doutent. Pourtant le Chef du gouvernement était parti sur de bons fondamentaux
La visite des conseillers du Roi au Chef de gouvernement désigné sonne comme un « profit warning » boursier. Une alerte légale qui indique que les résultats attendus ne seront pas au rendez-vous. Ce qui se passe ensuite ce sont soit des ventes massives de l’action concernée qui perd de sa valeur ou des achats habiles fait par ceux qui achètent par anticipation à la baisse.
De là à dire que l’action Benkirane est chahutée sur le marché politique est une évidence. Ses alliés sont sceptiques et ses amis doutent. Pourtant le Chef du gouvernement était parti sur de bons fondamentaux. Une victoire réelle et indiscutable aux législatives même si ce n’est un raz-de-marée électoral. Une nomination royale rapide et respectueuse de la constitution. Et un à priori favorable de l’opinion publique satisfaite qui voit la constitution de 2011 fonctionner normalement.
Alors comment Abdelilah Benkirane, d’habitude plus opportuniste et «versatile», s’est retrouvé dans une situation de blocage. Là plusieurs pistes existent pour comprendre ce qui s’est passé. L’ivresse de la victoire avec la perspective théorique de passer 10 ans au pouvoir. L’onction démocratique qui aurait donné une préséance au chef de gouvernement au détriment des autres pouvoirs constitutionnels. Une suffisance personnelle qui aurait laissé croire à Benkirane qu’une alliance type Koutla plus PJD serait une revanche historique sur tous ses détracteurs réels ou imaginaires.
Ces trois pistes combinées n’expliquent pas toutes la situation de blocage mais elles donnent parfaitement une idée sur comment Benkirane s’est piégé lui même: une analyse surévaluée de sa position politique et une appréciation faible des vrais rapports de force institutionnels dans le champ politique marocain.
L’idée, à partir de résultats électoraux, somme toute, modestes, d’imposer d’une manière brutale et comminatoire, une configuration politique unilatérale s’est heurtée frontalement à l’article 47 de la constitution. La première par le recadrage contenu dans le discours de Dakar du Souverain. Et la deuxième par la visite des conseillers du Roi au Chef de gouvernement désigné.
La visite des conseillers royaux a signé, par la puissance du symbole et la force des choses, l’échec de l’infulence exercée sur le chef du gouvernement désigné par les des ultras du PJD, les théoriciens du « tahakoum » et leurs appendices médiatiques
Le dernier communiqué du PJD vient arrêter l’expérimentation hasardeuse qui allait conduire inévitablement à l’éviction de Abdelilah Benkirane au profit d’un ses rivaux au sein du PJD et annonce une reddition spectaculaire, même si les formes sont sauvegardées, pour mettre fin à un rapport de force asymétrique qui allait se conclure par un naufrage politique sans appel du PJD. Une sortie du jeu politique constitutionnel.
Le fait que Abdelilah Benkirane fasse fi des effets négatifs du blocage sur la vie économique et institutionnelle nationales donnait de lui pour la première fois une image d’un politicien irresponsable et psychorigide qui n’était mu que par des intérêts partisans étroits. Nous sommes loin de l’image d'Epinal de celui qui se disait au service de sa patrie et de son Roi prêt pour le sacrifice suprême.
Des fissures sérieuse sont apparues dans l’image de Abdelilah Benkirane avec une face inédite plus proche de l’égyptien Morsi que du stratège islamiste marocain qui a choisi les réformes dans la stabilité au détriment du grand soir intégriste. Une sorte de «kawma» constitutionnelle que son cercle d’influence lui proposait comme option démocratique.
La justification du blocage par l’Istiqlal est un leurre. Les raisons en sont simples. D’abord on ne peut pas réduire l’Istiqlal en tant qu’institution partisane historique légitime à un Hamid Chabat, un activiste syndical apôtre des coups de force, et à sa milice d’imprécateurs professionnels qui ne croient qu’à la force, l’injure et la diffamation.
Ensuite la parole donnée, selon les dires du Chef de gouvernement désignée, à Hamid Chabat ne vaut pas essentiellement pour l’Istiqlal. Le parti est une chose et Hamid Chabat en est une autre. Ce distinguo est fondamental pour la suite des évènements.
Maintenant si l’attachement de Abdelilah Benkirane à Hamid Chabat veut dire, sur le fond, une alliance stratégique pour contrer, le moment venu, le « tahakoum » et renverser la table du makhzen, le calcul est dangereux car Chabat n’est pas un homme fiable. Il peut vendre, sans coup férir, le Chef du gouvernement avant le coucher du soleil. Il l’a fait en 2013, il le refera à l’avenir. C’est une question d’ADN.
Au final on peut affirmer que cette séquence politique du blocage n’a fait que des perdants. Notre pays qui perd un temps précieux. Notre économie dont les moteurs de croissance se sont éteints l’un après l’autre. Notre vie publique qui s’est dégradée davantage. Et Abdelilah Benkirane qui voit son image politique se dégrader sérieusement sans pouvoir crier, comme d’habitude, à la victimisation ni au complot ourdi par les forces de l’ombre. Comme homme politique il s’est piégé tout seul par vanité. Il a fait, à son corps défendant, la démonstration absolue qu’il était contingent c’est à dire que l’on pouvait se passer de lui. Et ça c’est une faute politique majeure quand on fait le voeu partisan de durer !