Le destin du Maroc n’est pas d’être le dernier élève de la classe en matière d’audiovisuel

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Dans un entretien accordé à notre confrère Telquel, Khalil Hachimi Idrissi, directeur général de la MAP, traite avec sa finesse habituelle de l’avenir de l’agence et de l’audiovisuel au Maroc. Dans les formes, mais sans concession il met les point sur les « I » que nous publions avec l’aimable autorisation de Telquel  

Que va apporter la loi 02-15 à l’agence ?

Le précédent texte a 40 ans. Il était devenu obsolète sur un certain nombre de points. D’abord, sur le plan de l’évolution de la technologie de la communication. Même si le texte de 1977 était avancé pour l’époque puisqu’il comprenait la diffusion satellitaire, il fallait tout de même le mettre à jour.

Ensuite, l’aspect de la gouvernance. De nouveaux organes ont été mis en place au sein de la MAP depuis 2011. C’est le cas du Conseil de la rédaction, du Conseil paritaire de gestion, du Comité stratégique et du Comité d’éthique ainsi que l’Ombudsman. Il fallait les consolider au niveau de la loi. Idem pour le nouvel organigramme qui s’appuie sur deux piliers, avec un secrétaire général qui s’occupe des fonctions support et un directeur de l’information qui est en fait un DGA chargé de l’information. Tout ça n’existait pas avant. C’est un travail de mise à niveau et de structuration qui a duré sept ans et dont l’aboutissement général est cette loi.

Enfin, la nouvelle Constitution contient des dispositions très claires dont il fallait tenir compte. Exemple : l’accès à l’information, le choix de gouvernance, la consécration de la démocratie, le pluralisme politique, la diversité culturelle.

La nouvelle loi permet aussi à l’agence de recourir à des montages financiers et juridiques pour créer des filiales. Comment vont-ils être employés ?  

En 2011, la MAP ne produisait que de la dépêche. Aujourd’hui, nous faisons de la vidéo, de l’infographie, de la photo, de l’édition, de la veille. Depuis 2014, par exemple le service MAP Intelligence peut suivre pour le compte de ses clients tout ce qui s’écrit dans le monde auprès de milliers de sources.  Résultats des courses, nous avons doublé le chiffre d’affaires depuis 2011, et la dépêche ne représente plus que 40 à 50 % de ce chiffre d’affaires.

La loi en question vient couronner tout ce processus. Nous pourrons désormais filialiser les activités que nous avons développées. La production de news par exemple, la production d’infographie, l’agence photo.

On peut aussi rapidement imaginer une régie de publicité sous forme de filiale. Une structure comme MAP Digital qui vendrait nos services en prélevant des frais de gestion et qui serait composée de commerciaux qui touchent des commissions.

Vous avez lancé dernièrement le service SOS Fake news. Kézako ?

Lorsqu’il y a une fake news concernant une entreprise publique, on reçoit le démenti documenté, on le diffuse, et ça tue dans l’œuf la rumeur. Quand à leur tour, des personnes ou des entreprises privées s’adressaient à nous pour diffuser des communiqués ou des démentis, on les renvoyait jusqu’à présent vers les journaux concernés. Sauf que les journaux diffusent peu les droits de réponse. On a donc créé un service ouvert aux clients privés de la MAP qui, s’ils sont victimes d’une fake news, peuvent nous fournir un démenti que l’on diffuse. Il ne suffit pas de dire "ce n’est pas vrai". Il faut produire la preuve. Nous sommes une agence, et aucune information ne sort de chez nous si elle n’est pas sourcée. Via ce service, nous n’avons pas encore eu de démentis pour l’instant mais ça arrivera.  Ceci dit, on a rarement vu un journal sortir un scoop sérieux, documenté, et faire l’objet d’un démenti.

Comment la couverture internationale a-t-elle été réorganisée par le plan stratégique 2011-2016 ?

Nous sommes passés de la logique de bureaux, à une logique de pôles plus souples et plus légers qui gèrent ainsi une centaine de correspondants dans le monde. Notre pôle d’Europe de l’Est est à Varsovie, à Bruxelles pour l’Europe de l’Ouest, à Buenos Aires pour l’Amérique latine, à Washington pour l’Amérique du Nord, à Dakar pour l’Afrique de l’Ouest, à Addis-Abeba pour l’Afrique de l’Est et pour l’Afrique australe le pôle est à Johannesburg. Nous sommes présents dans des pays avec lesquels nous avons des relations, mais aussi des pays nouveaux que nous sommes en train d’ouvrir. C’est une présence marocaine notable. Cela permet aux journalistes de la MAP d’informer leur environnement sur le Maroc, et dans l’autre sens faire connaitre aux Marocains ce pays.

De quels moyens disposent les correspondants à l’étranger pour ce rôle de représentant du Maroc à l’étranger ?

De lui même, de ses connexions, de par son activité professionnelle. Il fait ça avec l’ambassadeur sur place en général. En ce moment, c’est le cas à Hanoi par exemple. Il n’y a pas une semaine sans que l’ambassadeur et notre correspondant ne traitent un évènement pour expliquer le Maroc d’aujourd’hui auprès du public vietnamien. Et ça marche, puisqu’on vient de recevoir trois journalistes de l’agence vietnamienne de presse qui ont passé un mois à Rabat. La dé-reconnaissance de la RASD en Amérique latine, nous en sommes modestement un des acteurs. Notre présence a été décisive, comme au Panama par exemple.

En 2011, la Cour des comptes parlait de "prépondérance des informations officielles relevant des institutions gouvernementales et des formations politiques" et d’une "collecte de l’information auprès des instances officielles au détriment des informations diversifiées" à propos de l’agence. C’est du passé ?

Cela est le fait de l’article 2 des statuts actuels de la MAP. La prépondérance est légale. Aujourd’hui, il suffit de regarder les statistiques (voir encadré). La vocation de la MAP est d’être au service des pouvoirs publics. C’est la loi de 1977 qui le dit et c’est reconduit dans la nouvelle loi. Nous sommes une agence de presse qui est au service de l’Etat et du gouvernement. Pour changer cela, il faudrait changer l’article de loi, ou créer une autre agence. Néanmoins, nous avons fait évoluer ce concept de service public, en développant ce que nous appelons le "service au public". Nous aurions pu nous contenter d’être une agence de presse officielle, auquel cas nous prendrions simplement les communiqués officiels envoyés pour les diffuser. Cette partie-là, c’est à peine 10 % de notre production. Les 90 % restant, c’est de l’économie, de la culture, de l’écologie, de la société. Avoir installé le pluralisme et la diversité dans la production de la MAP, c’est la réalisation dont la MAP et ses équipes peuvent être fières.   

En termes d’image, nous sommes encore perçus comme une caricature d’agence officielle. Ce n’est pas la réalité de notre activité qui est diversifiée et plurielle.

Dans le traitement de l’information officielle, ne pensez-vous pas que la MAP peut encore évoluer, peut-être en apportant plus de background, davantage de recul ? 

C’est vrai ! Et nous le faisons de plus en plus. Les gens qui posent cette question s’attendent à ce que la MAP se comporte comme un média privé. Or, nous sommes un média public. Nous sommes une entreprise publique. Une bonne dépêche c’est de l’information. Quand ce n’est pas un communiqué, c’est une attaque, un avis A, contrebalancé avec un avis B, et un rappel ou du background. Cela donne un article qui donne une information, avec une source, et dont les propos sont équilibrés selon la charte de déontologie de la MAP. Cela on le fait. Nous donnons des informations qui permettent ensuite aux journalistes abonnés, privés ou publics,  de se forger une idée, et de faire un article documenté. Je ne vois pas pourquoi les gens attendraient de nous des postures éditoriales. Même une position critique sur un film, je suggère de la pondérer. Pourquoi ? Parce que nous sommes là pour encourager les arts et la culture, pas pour descendre un film que le réalisateur a mis quatre ans de souffrance à faire.

On n’attend pas non plus d’une agence de presse gouvernementale qu’elle joue la mouche du coche lors d’évènements comme ceux d’Al Hoceima. C’est l’exemple type du faux débat. On avait des équipes, on a filmé. On a donné des éléments sur les efforts faits pour remédier à la situation qui s’était compliquée. On a fait ce travail. Ce n’était pas toujours très agréable, nos journalistes se sont fait caillasser, mais il n’y a que sur la MAP que vous trouvez les informations concrètes sur l’état d’avancement réel des projets "Manarat Al Moutawassit".  Les gens ne payent pas un abonnement à la MAP pour savoir ce que nous pensons de tel ou tel sujet. Ils attendent des news. C’est ça la vocation de la MAP.

Ferez-vous un autre métier une fois que la loi sera passée ?

La loi est portée par la majorité, elle devrait être adoptée.  Je considère qu’à ce moment c’est la fin d’une séquence dans ma mission. Nous avons fait de la restructuration et de la mise à niveau à partir de 2011, des organes de gouvernance ont été installés. Le plan stratégique a été bouclé. Après le passage de la loi, on arrive à une autre séquence. Et ça, c’est une autre vision stratégique qui devrait prévaloir.

Laquelle ?

C’est l’étape du développement. Il faudrait aller vers plus de croissance du chiffre d’affaires, vers l’amélioration de la prestation, être plus proche des demandes des abonnés et des nouveaux clients. Je pense à la presse électronique pour qui il faudrait faire davantage.

Il faut aussi continuer à mettre de l’ordre dans cette maison, faire en sorte que par la formation continue, les journalistes fassent leur travail avec davantage de professionnalisme, et de manière autonome. L’autonomie c’est choisir un sujet en conférence de rédaction, passer des coups de fil, se plonger dans les archives et faire un papier équilibré et utile.

Et vous, vous envisagez un départ ?

Ce n’est pas une affaire personnelle. Mon destin importe peu, il y va de l’avenir d’une entreprise stratégique de l’Etat. J’ai été nommé en 2011 par Sa Majesté le roi, c’est un honneur et une responsabilité. Je suis arrivé à la MAP pour faire un certain nombre de tâches. Pour cette phase-là, il me semble qu’un certain nombre de cases ont été cochées.  

Est-ce qu’un jour une chaine d’info en continu, MAP TV, émettra depuis les bureaux acquis par l’agence dans les locaux qui font face au siège ?

On y pense mais ce n’est pas l’essentiel.  Je pense que, si cela doit se faire un jour, ce sera fait dans le cadre d’une mise à niveau globale du pôle audiovisuel public. Ça sera une porte d’entrée pour la réforme globale du secteur et la division du travail au sein de ce pôle. Une chose est certaine est que le statu quo actuel ne peut plus durer. 2M est en graves difficultés, notamment financières. La première chaine est dans une sorte d’impasse en termes de financement et de gouvernance. Mais cette réforme du pôle public passera aussi par la libéralisation de la télévision, c’est un choix irréversible de l’Etat.  Et puis il va falloir redéfinir les missions du pôle public d’information et son modèle économique. Publicité ou pas publicité ? Céder ou pas 2M ? De la publicité ou pas sur Al Aoula ? Ce sont des discussions qui doivent avoir lieu tranquillement. Dans cette reconfiguration, la MAP peut apporter un plus avec son projet d’information. Nous faisons partie de la solution avec notre professionnalisme, nos produits, notre réseau, nos infrastructures. Dans ce secteur, le Maroc doit pouvoir compter sur toutes les ressources existantes pour relever le défi. C’est cela notre contribution et notre solution.

Une solution à 100 millions de dirhams ?

Un peu plus ou un peu moins ! Mais de toute façon cela doit être fait dans un cadre plus global, celui d’un État qui re-projette son service public et lui assigne de nouvelles missions. Nous sommes les professionnels, pas les décisionnels. Il y a des arbitrages à faire. Le Maroc doit pouvoir compter sur un pôle public, — intégrant les possibilités qu’offre la MAP, — plus dynamique, plus moderne, et qui accompagne mieux l’évolution de la société. On continue à dépenser près de 2 milliards de dirhams par an à fonds perdus dans un pôle public qui est en grande souffrance. Alors que l’on peut libérer les énergies, libérer l’action et faire une télévision de qualité en s’appuyant sur le réseau de la MAP. Aujourd’hui, nous avons la maturité nécessaire pour développer un produit audiovisuel d’information de qualité. Et d’une manière générale, les budgets sont plus abordables que par le passé, car les technologies ont beaucoup progressé et coûtent largement moins cher.

La critique formulée par ce pôle public à l’encontre du projet de MAP TV, c’est que ce ne serait "pas le rôle de la MAP" de produire une chaine d’info en continu. Que répondez-vous ?

Cette critique serait recevable si ceux qui la font parlent d’un lieu qui s’appelle la réussite ou l’excellence. Vu l’état de quasi faillite de notre secteur public on devrait tous être très modestes. Sinon sur le rôle d’une agence de presse, Bloomberg est une agence qui est aussi une chaine d’info. Novosti, une agence russe a une chaine d’information Russia Today. Et on peut citer des dizaines d’exemples. La question n’est pas là. Le problème c’est que nous voulons faire une chaine adossée à une agence dont les coups seront forcément maitrisés. Ça ne peut déranger que ceux qui font des chaines chères et peu efficaces. Et ceux qui ont été incapables, depuis des décennies, de rentrer dans ce marché de l’information. Eux n’ont pas réussi, mais il n’est pas écrit que le destin du Maroc est d’être le dernier élève de la classe en matière d’audiovisuel.

Si l’on considère que le Maroc n’est pas bien loti dans ce domaine, il est de notre devoir de prendre des initiatives. C’est ce que nous faisons ! Est-ce que cette situation satisfait quelqu’un aujourd’hui ? Est-ce que les tenants du statu quo sont contents de leur travail ? Les Marocains ont émigré vers les télévisions satellitaires. Le débat public se fait ailleurs. A notre détriment. Ce débat, ou son semblant, ne doit pas être organisé que sur Al Jazeera, ou sur France 24. Ce débat doit être organisé au Maroc. Perdre la main sur le débat public, c’est ce que j’appelle perdre la « souveraineté » sur l’information. Il faut sur le service public, une offre d’information telle qu’elle permette aux Marocains de rapatrier le débat, de bâtir leur démocratie, et de construire d’une manière souveraine leur l’avenir.

Quand vous imaginez MAP TV, est-ce que c’est une chaine qui couvrirait les activités royales ?

C’est une décision stratégique qui ne relève pas de notre responsabilité. Mais pourquoi s’en priver ? Des modèles qui vont dans ce sens existent notamment dans les pays du golfe. Quand le champ de l’audiovisuel s’ouvrira inéluctablement au Maroc, il y aura 4 ou 5 télévisions privées. Qui va leur donner les images des activités royales ? Un de leurs concurrents ? La MAP a plus vocation à couvrir ces activités et mettre à disposition ces images au service de tous, puisque nous le faisons déjà pour l’écrit, pour la photo, puisque nous sommes neutres vis-à-vis de tous les opérateurs présents et à venir et que, finalement, c’est notre vocation. Mais encore une fois, tout cela relève de décisions stratégiques globales et d’arbitrages d’un très haut niveau qui dessinent l’avenir.

 

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