Le Dialogue social, une culture, pas une nature – Par Naïm Kamal

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Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, mardi 30 novembre 2022 à la Chambre des conseillers répondant à une question centrale sur "le dialogue social, consécration de la notion de l'équité sociale et mécanisme pour la réalisation du développement économique"

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Par Naïm Kamal

Henry Ford (1863 -1947) n’a pas uniquement construit sa légende sur la mise en place d’un mode de production en série fondé sur le principe de ligne d’assemblage, plus connu par le travail à la chaine. Il a aussi bâti son entreprise en recourant à des salaires qui stimulent la consommation de masse. Mais pas seulement. 

L’anecdote rapporte qu’entre deux ingénieurs à compétence égale qu’il avait invités à diner dans un restaurant pour tester leurs aptitudes, il avait recruté, sans avoir à aucun moment eu à vérifier leurs compétences techniques, celui qui s’était montré pendant le diner le plus attentif des deux, le plus poli aussi à l’endroit du personnel de service.

‘’L’esprit allemand’’

Le rapport patronat/ force de travail est dans tous les systèmes qui ont su allier performance et social dans une société pacifiée et sereine, la pierre angulaire du développement. La concertation préalable entreprises-syndicats qui fait l’économie des grèves et des conflits syndicaux a longtemps expliqué, en partie, la performance allemande par rapport aux autres européens et notamment les Français. Certes, on revient souvent à la ‘’ discipline allemande’’ comme l’un des secrets des succès l’Allemagne, mais avec le tort de l’évoquer comme naturelle et non pas culturelle. 

Il faut rappeler, qu’il s’agisse du système fédéral fondé sur les länder, ou de la coopération entreprises-syndicats, le fonctionnement de l’Allemagne a toujours attiré l’attention du Roi Hassan II. A plusieurs reprises le défunt Souverain y a fait référence dans ses discours. Par digression, il est possible d’avancer sans trop de risque que c’est la préexistence de cet intérêt dans le sérail royal pour la nature fédérale de la Germany, rappelant ce que le Maroc a toujours été, en dépit du centralisme makhzanien, une ‘’fédération de tribus’’ , selon l’expression de Pierre Loti, qui a, quelque part, inspiré et encouragé le Roi Mohammed VI à s’engager sur la voie d’une solution d’autonomie pour le conflit du Sahara.

Le dialogue social au Maroc

La consultation, même si elle n’a pas à chaque fois abouti, a toujours été dans la conception politique du Maroc un vœu et un désir. On la retrouve dans différentes instances de consultation et de réflexion à l’image de différents conseils supérieurs (enseignement, droits de l’homme, Economique et social etc.) ou de représentation nationale à l’instar de la Chambre des conseillers (auparavant le ‘’tiers indirect’’) consacrée aux communes, aux représentants des syndicats (ouvriers et patronaux) et aux chambres professionnelles.

Un document bien élaboré du Conseil National de la Jeunesse et de l’Avenir, LE DIALOGUE SOCIAL AU MAROC – 1996, livre une étude fournie sur le concept et son application au Maroc. Mais ce que l’on peut relever par un simple retour sur les relations professionnelles au Maroc est qu’elles ont été depuis l’indépendance corrompues par leurs accointances politiques qui les jetaient dans des conflits de pouvoir et de rapports de force entre le Makhzen et les partis en dépit des efforts de l’Union Marocaine du Travail de contenir l’action des travailleurs dans un cadre strictement syndical et revendicatif. Même lorsqu’au milieu des années du siècle dernier les rapports partis-pouvoir ont commencé à s’apaiser, la tonitruance politico-syndicale ne s’est pas arrêtée.

Il aura fallu un patron…

Cette imbrication a fait que la concertation est restée un vœu pieux et le dialogue social en panne. Ni le gouvernement du socialiste Abderrahmane El Youssoufi ni moins encore le gouvernement islamiste de Abdalilah Benkirane et dans sa suite de Saad Dine El Otmani n’ont voulu ou réussi à lui donner corps. ‘’Paradoxalement’’, c’est le gouvernement Akhannouch que ses pourfendeurs veulent coute que coute enclaver dans le cercle des ‘’forces de l’exploitation’’ qui a redonné vie à une orientation de tout temps au cœur de l’Etat. Et serait-il hasardeux d’en déduire qu’il aura fallu un patron et sa culture d’entreprise pour sortir le Dialogue social des limbes ?

Devant la Chambre des conseillers mardi dernier, le chef du gouvernement a déroulé les aboutissements (cliquer ici pour accéder aux principaux extraits de son intervention) des différents rounds du dialogue social qui n’ont jamais été aussi nombreux que depuis l’installation de ce gouvernement.

Pour Aziz Akhannouch, la question ne fait pas débat. Il agit en application des orientations contenues dans le message du Roi Mohammed VI aux participants à la seconde édition du Forum parlementaire international sur la justice sociale, le 20 février 2017. Il en retient ‘’la mobilisation du gouvernement à approuver davantage de mesures sociales, comme voie pour la relance économique et la justice sociale, dans le but de répondre aux attentes et aux aspirations de larges catégories sociales et d'améliorer l'efficacité et l'impact de la performance publique.’’

La signature de la charte nationale du dialogue social le 30 avril dernier, que beaucoup estimaient inatteignable, a été un des couronnements de ces orientations. Le secret ? Beaucoup de patience et de doigté. Des concessions de part et d’autre, l’objectif n’étant plus pour les syndicats de bloquer le gouvernement ni pour le gouvernement de réduire et de soumettre les centrales syndicales. L’absence donc, partiellement, de l’interférence et de l’exploitation politique qui inscrivaient en permanence ces négociations dans une spirale de surenchères lui a évité de déboucher comme autrefois sur l’impasse. C’est d’autant plus notable que cela se réalise dans une conjoncture des plus difficiles. 

L’amélioration du pouvoir d'achat des salariés et des employés, la mise en œuvre des engagements pris dans les dialogues sectoriels tels les secteur de l'éducation et de la formation, de la Santé et de la Protection Sociale, de l'enseignement supérieur, les conditions professionnelles et de travail et promotion de la liberté d'association etc., aucun sujet ni thème n’a été occulté et tous ont été abordés dans un même esprit. Tout le monde ne sera pas à la fin entièrement content et personne ne sera totalement insatisfait. 

Si cet esprit du compromis et du possible perdure tout en continuant à aspirer à mieux et à plus, le gouvernement Aziz Akhannouch et les différents syndicats auront réussi leur pari : transformer le Dialogue social en consécration du concept de justice sociale et en outil de développement économique. Reste à en enraciner la culture pour que dans les relations professionnelles et interprofessionnelles, il devient une seconde nature portée sur la concertation aux dépens de la confrontation.

 

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