Transport maritime : Ce ministre qui nous mène en bateau... Par Abdellah Chankou

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La manœuvre abdeljalilienne visait manifestement à occulter que le Royaume disposait dans les années 70-80 d’un armement fort de 66 navires qui lui permettait d’assurer près de 25% de son commerce extérieur

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Par Abdellah Chankou (Canard Libéré)

Mohamed Abdeljalil maîtrise l’art de noyer le poisson. Ce qu’il a prouvé devant les conseillers de la deuxième Chambre.

Mardi 21 novembre, le ministre du Transport et de la Logistique  repeint aux couleurs de l’Istiqlal pour la bonne cause (gouvernementale)   a annoncé aux élus la grande décision qu’il  a prise :  le lancement d’une  «étude sur la constitution d’une flotte nationale de commerce maritime compétitive ». La belle affaire! Une information relayée par la MAP dans une bonne dépêche qui a reproduit l’essentiel du propos du ministre.
Une petite mise au point, tout d’abord!  La constitution, terme utilisé par M. Abdeljalil, est pour le moins inappropriée. Quel est alors le vocable juste ? La reconstruction. Entre les deux mots, il y a, vous en conviendrez, tout un océan de différence.

En parlant de constitution, Mohamed Abdeljalil  a cherché à opérer une petite manœuvre  pour faire croire à ses interlocuteurs que le Maroc vient de décider de se doter d’une flotte suite « aux Hautes orientations royales, contenues dans le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte, dans lequel le Souverain a mis en exergue  la dimension atlantique du Royaume ». La manœuvre abdeljalilienne visait manifestement à occulter que le Royaume disposait dans les années 70-80 d’un armement fort de 66 navires qui lui permettait d’assurer près de 25% de son commerce extérieur. Ce qui en reste, incarné par la Comanav,   Comarit de feu Abdelmoula et  IMTC de feu Karia, a disparu dans les années 2000 et 2010. Compagnie publique, la Comanav a été bizarrement privatisée en 2007 sous l’époque  de  Fathallah Oualalou, alors argentier du Royaume, et cédée   au groupe français CMA-CGM de Jacques Saadé. Ce qui fait du Maroc le seul pays du Maghreb à avoir bazardé sa compagnie étatique.  A ne rien y comprendre.

Quant aux opérateurs privés  IMTC et Comarit, ils ont coulé sous les effets ravageurs d’une libéralisation irréfléchie et irresponsable du transport maritime, menée  à l’initiative de l’ex-ministre istiqlalien de l’Équipement et du Transport Karim Ghellab. Une étude réalisée en 2012 par un cabinet espagnol  du nom de ALG Transportation, Infrastructure & Logistics, sur l’Open Sea au Maroc, a conclu d’ailleurs  que la libéralisation sauvage du secteur maritime national a accéléré la disparition des compagnies locales... M. Abdeljalil peut retrouver cette enquête, commandée par l’ex-ministre PJD Abdelaziz Rabbah, dans les tiroirs de son ministère et économiser les fonds publics  en reprenant ses recommandations (qui sont toujours d’actualité) pour reconstruire un pavillon national solide, compétitif, digne de la place du Maroc dans le monde et à la hauteur de la hauteur de vue de son souverain. Parmi les 17 mesures proposées par ce cabinet, doter le Royaume d’un pavillon bis.

Souveraineté maritime

Cette libéralisation, qui s’est faite sans les mesures d’accompagnement appropriées des armateurs nationaux qui n’étaient pas préparés à cette ouverture brutale, a profité par conséquent au pavillon étranger. Résultat : Le Maroc s’est retrouvé sans armateurs alors qu’il possède deux belles façades maritimes longues d’environ 3500 Km et de grands ports d’envergure mondiale notamment celui de Tanger Med.  Mais point de flotte.    

C’est comme si vous disposiez d’un maillage ferroviaire de premier plan ou d’une infrastructure aéroportuaire exceptionnelle sans les trains ou les avions qui sont censés aller avec…! Une situation pour le moins paradoxale qui, plus grave encore, ne semblait aucunement émouvoir les responsables qui se sont accommodés depuis longtemps du naufrage de son armement et le recours, côté fret, aux mastodontes de la filière comme Maersk et CMA-CGM. Le pays a également perdu en matière de transport des passagers notamment les MRE pendant la saison estivale.  La faillite de IMTC et Comarit, qui assuraient  les liaisons  sur le détroit de Gibraltar en vertu d’une convention maroco-espagnole de partage du trafic à part égales,  a porté un coup dur à l'économie maritime nationale. Depuis des années, ce sont les compagnies étrangères, comme l’Espagnol Acciona ou l’italien GNV, qui transportent les Marocains installés en Europe aux tarifs qu'ils souhaitent en l'absence d'une concurrence nationale. Et la souveraineté maritime, bon sang !, pourrait-on s'écrier ! La disparition de l’armement du cru, containers et passagers, s’est traduite pour l’économie nationale par un manque à gagner de près de 30 milliards de DH par an, une manne colossale qui va aux enseignes internationales pour le transport de ses marchandises et de ses passagers. Le Canard n’apprend rien  des turpitudes et des errements  maritimes  marocains au ministre Mohamed Abdeljalil. Avant d’embrasser la carrière ministérielle,  cet ingénieur Pont et Chaussées, passe par le ministre de l'Equipement et du Transport comme directeur des programmes et des études, était aux avant-postes de la chose maritime du fait de sa fonction de directeur général de Marsa Maroc, ex-ODEP, qu’il a occupée pendant 15 bonnes années. Le renouveau du maritime dans un pays qui était doté par le passé d’un ministère de la Mer- un ministère qu’il  faudrait peut-être réinstaurer  à  la lumière des défis actuels dans le domaine du commerce et autres échanges avec l'Afrique- ne sera pas assuré par les études onéreuses confiées à des cabinets de consulting étrangers.  Le gouvernement doit prendre à bras-le-corps ce dossier stratégique en se rappelant la fameuse déclaration de feu Hassan II  dans un de ses discours historiques  selon laquelle le transport maritime est une continuation de la défense nationale.

Au fait, savez-vous que le code maritime national date du 26 mai 1919, du temps du protectorat ?!  

Le Maroc, l’Espagne et les autres

Le cabinet ALG a benchmarké le Maroc avec 27  pays possédant des pavillons et/ou des intérêts maritimes qui peuvent servir de comparaison ou de référence pour le Maroc de par leur situation géographique, économique ou de par leur type de flux commerciaux. Parmi les pays retenus en raison de leur similitude avec le Maroc, l’Espagne, le Portugal et le Chili. Selon l’étude, ces pays ont vécu un processus de libéralisation du transport maritime mais ils ont réussi à maintenir et même à augmenter leur activité dans le secteur. Chacun de ces pays présente une particularité dans le développement de sa flotte et le transport maritime. Ils peuvent donc être une référence pour que le Maroc reprenne la mer avec sa propre flotte qui reste bien entendu à reconstruire.

• Espagne : un niveau élevé de flotte nationale a été maintenu en créant un registre bis. De plus, l'activité d'armateur a légèrement augmenté en raison du renforcement du transport maritime lié à l'intégration dans l'UE et au processus de globalisation. Néanmoins, on constate que le registre bis n'est pas encore compétitif par rapport à d'autres registres ouverts, c'est pourquoi avec la crise le flag-out a été repris.

• Portugal : Une flotte avec un registre bis très compétitif a été développée. Il a réussi à attirer vers ce pavillon des armateurs étrangers, essentiellement des pays des environs.

• Chili : Il n'existe pas de registre bis, mais une activité d'armateur a été générée avec la sortie à l'extérieur de compagnies maritimes nationales qui ont profité du processus de libéralisation, dans tous les domaines, qu'a connu le pays. Dans ce cas, il faut souligner le nombre réduit de flotte appartenant aux compagnies maritimes elles-mêmes et les accords avec d'autres compagnies.

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