Politique
A propos de l’alternance politique et de la technocratie
Le Parti de la Justice et du Développement (PJD) est à la tête du gouvernement depuis neuf ans, les deux mandats étant aussi différents que chaque expérience a son propre style et son propre contexte, ainsi que ses conditions politiques spécifiques.
A l’échelle internationale et régionale, et quelle que soient les nuances entre les islamistes du Maroc et ceux d’Orient, et peu importe leur divergence quant à leur appréhension de l’acte politique, et même si le pouvoir et les islamistes eux-mêmes essaient de minimiser la caractère islamiste de ce parti en le présentant comme un parti ordinaire parmi d’autres dans l’environnement politique marocain, les acteurs étrangers et régionaux persistent à porter sur les islamistes marocains leur propre regard. Seule la monarchie, un gage de stabilité, les rassure de par ce que la Constitution lui confère comme pouvoirs aussi bien sur la sécurité, la religion que les relations internationales.
En interne, et peut-être en interaction avec l’étranger ou indépendamment de lui, de nouvelles idées politiques ont émergé dans la foulée de la gestion de la crise du Covid-19. Certaines proposent un gouvernement d’union nationale, tandis que d’autres font prévaloir que pour gérer l’étape à venir, le Maroc a besoin d’un gouvernement de compétences.
Derrière ces deux orientations, même si la première a été déclassée par les évènements, se retrouve la volonté de dépasser le fait gouvernemental PJD, voire le désir de transcender le Politique.
Les intentions importent peu, comme il importe qu’il ait une tendance plus dans son élément avec les technocrates, ou qu’elle partage avec eux des intérêts communs, ou souhaite se débarrasser de la bureaucratie du politique. Ce qui importe c’est la quintessence de cette tendance, car ceux qui la portent constatent qu’il y a une quasi répulsion envers le gouvernement d’El Othmani, que son faible rendement nécessite son changement et qu’un gouvernement de technocrates, limité en nombre, dont les membres se distingueraient par une maitrise des dossiers, une capacité de gestion et une grande compétence d’exécution serait le plus indiqué pour cette période.
Je ne veux pas entrer en confrontation avec les tenants et aboutissants de cette idée, mon objectif étant de décrypter son message. Outre que le passage d’un gouvernement partisan sorti des urnes en conformité avec la constitution, à un gouvernement technocrate pose une problématique constitutionnelle et politique, il interpelle aussi sur l’opportunité des élections. In fine, toutes ces questions remettent sur la table la problématique de l’alternance, et la manière dont certaines élites la conçoivent.
Ce qu’il faut retenir de ce débat, c’est l’existence d’un désir d’une alternance qui verrait le renouvellement du champ politique et la modification de la composition gouvernementale de façon à ce que le PJD régresse ou soit relégué au rang de simple partenaire gouvernemental au lieu d’en être le parti leader.
En vérité le principe de l’alternance est sensé et épouse la logique démocratique fondée sur la rotation pacifique sur le pouvoir. Mais le problème reste l’usage qu’on fait de l’urne. Est-ce que la volonté politique est préalable au vote et en conditionne l’issue ? Ou celle-ci s’en tient aux résultats du scrutin pour façonner la carte politique ?
Certains réactualisent les possibilités constitutionnelles que le Roi a évoquées la veille de la nomination de Saad Eddine El Othmani, et avancent que la Constitution offre des options autres que celle de donner la chefferie du gouvernement au parti arrivé premier aux élections.
Si tel est le cas, e Maroc se retrouverait, encore une fois en situation de blocage si le PJD arrive ne tête des élections ? Que ceux qui pensent, donc, à l’alternance en dehors de la logique des urnes fassent pression pour créer une large alliance partisane contre le PJD si jamais il remporterait encore les élections. Afin que celui-ci comprenne que le moment de l’alternance est venu et que l’heure d’autres options a sonné.
Si telle est l’orientation, le Maroc y perdraient beaucoup. Sa Constitution dont les dispositions saillantes, comme la chefferie du gouvernement revenant au parti arrivé en tête des élections, ont été perçus par les érudits du droit constitutionnel comme des phares sur la voie démocratique dans le monde arabe. L’interprétation de la Constitution dans un autre sens la transformerait de facto en un document inerte qui aurait perdu son essence démocratique. Non seulement le Maroc verrait l’altération de son image démocratique dans le monde, mais la répétition du même comportement, fut-ce par d’autres moyens, à l’encontre d’un même parti, renverrait à l’existence d’un acte délibéré, voire d’un complot.
A mon sens, la rotation sur le gouvernement est importante, mais ne pourrait se faire en dehors du politique, même avec la technique qui consiste à peindre les technocrates aux couleurs partisanes. Le champ politique est barbant certes, mais la possibilité de sa réviviscence n’est pas si difficile. Le PJD n’est pas aujourd’hui au meilleur de sa forme, la fissure au niveau de son leadership est encore vivace, la satisfaction des Marocains de ses politiques n’est pas évidente. Cependant, il suffit d’avoir un peu de confiance en l’indépendance de la décision partisane et de sacrifier certains symboles partisans qui ont porté atteinte à la réputation de partis jouissant d’une grande popularité, pour que survienne un nouveau démarrage.
Le parti de l’Istiqlal a regagné une partie de sa vivacité organisationnelle, résorbé ses divergences intestines, insufflé un certain élan dans ses structures économistes et est sorti des crises après le départ de son ancien leadership. De même, le PPS s’est imposé en tant que force de proposition sur la place.
Ce dont a besoin le champ partisan c’est d’une dose confiance dans la liberté des partis qui le composent à former leurs structures et d’une somme d’autonomie de décision, ce qui insufflerait une nouvelle dynamique l’USFP pour revenir concurrencer le PJD.
Certains craignent qu’il résulte de cette approche la constitution d’un front national démocratique pesant, ce qui n’est pas , vu l’état des lieux, acquis ni en termes de prédispositions chez les leaders politiques, ni de culture partisane et encore moins en termes d’aspirations politiques.