El Othmani et son bilan : Le faux -semblant...(Par Mustapha SEHIMI)

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L'année prochaine, à compter du printemps et des préparatifs des élections locales, régionales et nationales, Saâdeddine E1 Othmani aura des difficultés à revendiquer un bon bilan.

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L'actuel Chef de gouvernement, Saâeddine E1 Othmani, a-t-il été bien inspiré pour présenter le bilan de son cabinet ? La question se pose pour plusieurs raisons liées entre elles d'ailleurs. La première a trait au choix du moment. En ces temps de pandémie aggravée, il ne peut sérieusement susciter l’intérêt ni des citoyens ni celui des milieux d'affaires et des opérateurs économiques. La seconde regarde, elle, les conditions dans lesquelles ce document a été articulé et marketé. Quelque 350 pages plutôt indigestes. Et puis, trois ans et sept mois après son investiture par le Parlement, à la fin avril 2017, cela rime à quoi ? 

El Othmani n'a pas encore trouvé, semble-t-il, le bon tempo. L'on se souvient que pour les quatre premiers mois de son mandat, le 10 septembre 2017 - soit 120 jours - il avait présenté un premier bilan de "120 mesures". Un document peu probant mixant les annonces, les souhaits et les généralités qui n'ont pas aidé à crédibiliser la faisabilité du programme d'investiture. Pas de quoi parler d'un bilan "honorable" comme l'avait déclaré un ministre PJD de son cabinet. Il a repris cette même procédure en différentes circonstances - tel un "ftour " de Ramadan mais avec des organes de presse sélectionnés... Il a aussi donné une interview à l'hebdomadaire "Jeune Afrique" au début de juin 2019 avec cette surprenante déclaration : "Le Roi Mohammed VI est satisfait de notre travail". 

Avec le document rendu public aujourd'hui, relatif aux trois années de son mandat - il se limite au début de mars 2020 - il précise qu'il a été élaboré et réalisé de "manière collective", sur la base d'une synthèse des réalisations des différents départements ministériels. Il s'articule autour de cinq axes : renforcement de l'option démocratique, des principes de l'Etat de droit et la consécration des la régionalisation avancée ; le deuxième intéresse la bonne gouvernance éthique, réforme de l'administration. Le troisième regarde le modèle de développement, la promotion de l'emploi et le développement durable ; le quatrième est centré sur les engagements relatifs au renforcement du développement humain ainsi que la cohésion sociale et spatiale ; enfin, le dernier porte sur l'international autour du renforcement et du rayonnement du Maroc et la défense des causes justes à travers le monde. Sur les 581 mesures annoncées dans le programme gouvernemental en 2017, il est indiqué que 519 d'entre elles, soit pratiquement 90%, ont été réalisées. Il en reste donc 62 qui sont en "stand by". Dans le détail, le tableau est plus contrasté et moins optimisme. C'est en effet ce même document qui avance que seuls 56% des engagements sont globalement réalisés ; que 35 % ne le sont que partiellement ; que 4 % sont dans la phase de démarrage ; et que seulement 7 ne démarrent pas. 

 Le Chef du gouvernement met davantage l'accent sur la troisième année. Ainsi il a souligné la poursuite et l'accélération des chantiers et des réformes initiés depuis 2017 ; il a cité aussi l'amélioration de la compétitivité de l'économie nationale, l'appui à l'entreprise couplé à la refonte des CRI (centres régionaux d'investissement) et les efforts relatifs à l'environnement des affaires. Dans le domaine social, il a relevé plusieurs avancées : généralisation de l'enseignement préscolaire, couverture médicale au profit des indépendants, mobilisation de ressources pour le secteur de la santé. Enfin, pour ce qui est des réformes structurelles et de la gouvernance, il a fait référence à la Charte de la déconcentration administrative, au processus de la simplification des procédures et à la digitalisation de l'administration. 

La tonalité générale ? Elle est- et reste - celle de l'autosatisfaction. Saâdeddine El Othmani n'a pas de doute, pas d'états d'âmes ni de regrets ; il est tel qu'en lui-même, avec ses certitudes, comme dans une "bulle" à nulle autre pareille. 

Les conditions dans lesquelles il a duré depuis avril 2017 sont intéressantes à relever. Deux mois après son investiture, voilà ce cabinet houspillé et même pratiquement censuré par le Roi lors du Conseil des ministres du 25 juin à Casablanca par suite de son  incapacité à juguler la contestation du hirak du Rif et à appliquer le programme lié aux conventions signées en octobre 2015 sur la région. Les dix ministres concernés sont assignés durant l'été tandis que la Cour des comptes se voit confier le dossier. Le 24 octobre suivant, quatre ministres sont limogés, des hauts responsables de l'Etat aussi. Sur la base du principe constitutionnel de la reddition des comptes corrélée à la responsabilité, d'autres sanctions suivent : celle du ministre des Finances, Mohamed Boussaid (RNI) le 1 er aout 2018, et de Charafat Alilal, Secrétaire d'Etat à l'Eau (PPS) ; puis d'une bonne quinzaine de ministres et de secrétaires d'Etat le 9 octobre 2019. L'idée est de leur substituer, dans un cabinet restreint, de "nouvelles compétences"... Cette opération a-t-elle porté ses fruits ? 

En tout cas, ce cabinet remanié va se trouver confronté, quelques mois plus tard, à la crise majeure de la pandémie COVID-I9, dès la fin mars 2020. A –t-il été à la hauteur ? Cela reste fortement sujet à caution. Il faut distinguer à cet égard entre deux séquences. La première jusqu'au mois de juin a bien marqué une prise en main conséquente avec la création d'un CVE (Comité de veille économique) et diverses mesures sanitaires, sociales et économiques. Mais les décisions ont été prises par le Roi. La seconde phase relative à un déconfinement progressif n'a pas réussi - encore ? - à faire face à la situation : tant s'en faut. Le sentiment général , tel qu'il se traduit par l'Enquête L'Economiste -Sunergia de cette semaine, est celui d'une mauvaise gestion " (5 %) par manque de mesures coercitives (14%), de clarté dans la communication (13 %), d'encadrement (12%) et de retard dans les prises de décision (8%). Rien d'étonnant, sur ces bases-là, que seuls 10 % des Marocains soutiennent encore le gouvernement EL Othmani, 65 % étant critiques ... 

Face à la pandémie actuelle, tout était évidemment à revoir, les hypothèses de la loi de finances 2020 étant remises en cause. Ainsi, les dépenses d'investissement de 198 milliards de DH sont réduites à hauteur de 182 milliards de DH (- 0,75 %) répartis comme suit : budget général à 94,4 MMD., soit + 22% ; établissements et entreprises publics avec 75,5 MM DH , soit - 28,3% et un repli de 23% pour les collectivités territoriales avec 15 MM DH. Le planning de réalisation de certains projets a été révisé; d'autres ont été reportés. Quant aux hypothèses de la loi de finances rectificative en date du 27 juillet 2020, elle a retenu notamment les points suivants : un cours moyen du gaz butane à 290 dollars la tonne (contre 350 dans la loi de finances 2020), une parité euro/dollar de I,II ; un recul des exportations de 20% (hors produits de phosphates et dérivés) ; une production céréalière de 30 millions de quintaux en forte baisse des 70 millions prévus, soit une baisse de près de 5 % de la valeur ajoutée du secteur agricole. Sur ces bases-là, il a été retenu pour l'année 2020 un taux de croissance en recul (-5 %) alors que les prévisions initiales avaient retenu + 5,7% . Dans cette même ligne, le déficit budgétaire ne peut que se creuser à hauteur de 7,5 % du PIB contre 3,5 % prévu. De quoi aggraver encore la situation sociale par suite de l'impact de la pandémie sur le niveau d'activités des entreprises, les unes en arrêt, d'autres en arrêt partiel et d'autres menacées par les incertitudes de la relance. Le taux d'emploi s'est ainsi détérioré aujourd'hui avec un chiffre de 12,5 %, alors qu'il était de l'ordre de 10 %. 

Cela dit, quel bilan peut exciper le Chef du gouvernement ? Une bonne gouvernance ? Ce n'est pas soutenable d'autant que la pandémie a illustré les hésitations et les insuffisances de sa politique. A-t-il renforcé sa majorité dans cette conjoncture difficile ? Pas vraiment ! Les tiraillements et les polémiques n'ont pas cessé lors des trois années écoulées. A telle enseigne que la majorité n'arrive même plus à se réunir pour coordonner son action et ses prises de position alors qu'une Charte bien contraignante avait été signée en février 2018. Ce cabinet a un bilan, un actif et un passif. Qui assume les réalisations ? Les grandes réformes déclinées autour de programmes sectoriels ont été lancés par le Roi (régionalisation, déconcentration, formation professionnelle, enseignement préscolaire, Fonds spécial dédié à l'impact de la pandémie,...). De plus, les ministres PJD paraissent bien en retrait alors que d'autres départements sont, eux, en première ligne : Intérieur, Santé, Education. Le département des Affaires étrangères échappe pratiquement à El Othmani : la question nationale du Sahara et la conduite de la diplomatie relèvent du domaine réservé du Souverain, 

L'année prochaine, à compter du printemps et des préparatifs des élections locales, régionales et nationales, Saâdeddine E1 Othmani aura des difficultés à revendiquer un bon bilan. Pas davantage, il n'a réussi à porter des réformes et à se distinguer par une capacité d'incarnation de nature à nourrir l'adhésion des citoyens. Le faux-semblant ne peut faire illusion... 

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