Santé
Principes actifs pharmaceutiques: peut-on les relocaliser?
Le coût du principe actif diffère selon qu'il est fait pour un médicament générique ou un nouveau médicament innovant. Dans tous les cas, "il représente rarement plus de 5% à 10% de la boîte de médicament en pharmacie".
La question de la dépendance à l'étranger s'est posée de façon aiguë durant la pandémie, en particulier pour le secteur pharmaceutique, avec des tensions qui ont porté notamment sur certains principes actifs. Le point sur leur potentielle relocalisation.
Qu'est-ce qu'un principe actif ?
Les principes actifs (ou API pour Active Pharmaceutical Ingredient) sont des substances présentes dans le médicament qui lui donnent ses propriétés thérapeutiques ou préventives.
On les trouve dans certaines plantes, mais ils sont surtout synthétisés par la chimie. Fabriquer un API, c'est "un séquençage de réactions et de synthèses que l'on fait progressivement pour concevoir cette molécule finale", explique Pierre Luzeau, le président du laboratoire français Seqens.
Plus la molécule finale est complexe, plus elle nécessite d'étapes, jusqu'à 25, précise Gilles Belloir, directeur des opérations industrielles du laboratoire Servier.
Or "dans bien des cas, quand il y a une rupture d'approvisionnement sur un principe, c'est qu'un des intermédiaires, cinq ou six étapes avant la fabrication de ce principe actif, se trouve en rupture", souligne Vincent Touraille, président du Sicos Biochimie, le syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie.
Le coût du principe actif diffère selon qu'il est fait pour un médicament générique ou un nouveau médicament innovant. Dans tous les cas, "il représente rarement plus de 5% à 10% de la boîte de médicament en pharmacie", indique Vincent Touraille.
La France en produit-elle toujours ?
En France, environ 80 sociétés font encore des principes actifs. Il s'agit de PME, d'ETI ou de groupes comme Sanofi, qui a annoncé récemment qu'il allait faire de cette activité une entité à part. Car la tendance actuelle, pour les grands laboratoires, est de sous-traiter les "API" à d'autres sociétés.
Depuis une trentaine d'années, la chimie fine européenne a par ailleurs largement été délocalisée vers l'Asie, surtout vers l'Inde et la Chine. Au point que 60% à 80% des API sont désormais produits hors de l'Union européenne.
La raison de la délocalisation? Ici comme ailleurs, le coût plus bas de la main d'œuvre. S'y ajoutent des contraintes réglementaires (environnement, sécurité) moins strictes sur d'autres continents.
Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde s'est désengagé, d'autant que les différences de coûts salariaux se réduisent.
Le groupe Servier dit ainsi produire 98% des principes actifs nécessaires à ses médicaments princeps (médicaments d'origine, pas encore génériqués, NDLR), via la filiale Oril Industrie, en Normandie.
Et l'Europe a des mastodontes: Seqens affiche un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros, et celui du suisse Lonza atteignait près de 6 milliards de francs suisses en 2019.
Peut-on relocaliser?
Le secteur est unanime, il est illusoire de penser que tout peut être relocalisé en Europe, et encore plus en France. En revanche, les industriels s'accordent pour soutenir une sécurisation de la production de principes actifs et intermédiaires stratégiques, au niveau européen.
"Il faudrait récupérer 150 à 250 principes actifs sur l'Europe", estime Vincent Touraille.
Pour Gilles Belloir, de Servier, il y a notamment une carte à jouer sur les produits à forte valeur ajoutée.
"Relocaliser est valable sur des produits de haute technologie et avec un haut niveau d'expertise", estime-t-il. Cela pourrait notamment passer par des technologies comme la chimie en flux, qui existe depuis longtemps mais commence à se développer dans le secteur pharmaceutique.
Quelles sont les pistes?
Le gouvernement français a lancé un appel à manifestation d'intérêt doté de 120 millions d'euros pour la production de médicaments nécessaires durant la pandémie, dont des principes actifs. Il s'est notamment focalisé sur le rapatriement du principe du paracétamol, et est en discussions sur ce sujet avec les laboratoires Seqens, Sanofi et Upsa.
Mais pour Isabelle Fréret, représentante CFE-CGC de la branche industrie pharmaceutique, cela ne sera pas suffisant. Même s'il est difficile d'estimer le coût du transfert d'une ligne de production, cela peut parfois atteindre des dizaines de millions d'euros, fait-elle valoir.
Les industriels membres du Sicos réclament, eux, un soutien à l'investissement dans de nouveaux moyens de production innovants. Mais aussi davantage d'informations de la part des pouvoirs publics.
"Si on ne nous informe pas des besoins en principes actifs, on ne va pas les développer pour rien", souligne Vincent Touraille.
Le Sicos demande par ailleurs d'inscrire l’origine de production du principe actif sur les boîtes de médicaments, ou encore de constituer des stocks stratégiques de principes actifs essentiels auprès d'acteurs européens.